Organisation fonctionnelle

Le DETAIR est localisé sur la partie base aérienne militaire malienne de l’enceinte de Bamako. Les autorités maliennes ont en effet mis à notre disposition leurs locaux et les coopérants français ont beaucoup aidé au début de Serval en rendant possible les prises de contact nécessaires pour ce faire. L’intérêt de l’APOD (Aerial Point Of Debarkation) de Bamako réside dans le fait qu’il s’agit d’une plateforme capable d’accueillir tout type d’aéronef – chasseurs, transporteurs, ravitailleurs, avions de passage, etc – : la piste de 3 200 mètres permet en particulier l’arrivée des gros-porteurs. Son positionnement est par ailleurs central dans la zone AFCO (Afrique Centrale et de l’Ouest), Bamako étant l’un des pions d’un dispositif de théâtre assez large avec des moyens à N’Djamena, Niamey, Libreville, Abidjan, Dakar. Il est ainsi facile d’aller à Abidjan, N’Djamena, etc. En minimisant les ruptures de charge, nous avons ainsi optimisé l’utilisation de nos ATT (avions de transport tactique), qui, comme chacun sait, sont à bout de course. L‘avantage est d’avoir une base militaire malienne et un aéroport, ce qui est ce que l’on recherche généralement. Nous avons placé quelques contrôleurs aériens militaires à Bamako pour faire le lien avec le trafic militaire français ou donner l’alerte, ainsi qu’à Gao et à Tessalit mais dans ce cas, pour des raisons de trafic avec des fonctions de contrôle à assurer.

Le DETAIR est structuré, si on suit une liste fonctionnelle, en sous-détachements se déclinant de la façon suivante :

  • Un détachement chasse de Mirage 2000 D ;
  • Un détachement ravitailleur C135
  • Un détachement Transport opérationnel C160 ;
  • Un détachement force de protection avec des commandos parachutistes de l’air ;
  • Un détachement d’appui au déploiement ou à la projection avec le 25e RGA et le GAAO ;
  • Un détachement SIC avec des éléments du GT qui eux aussi sont parmi les premiers à arriver en déploiement et qui nous lient H24 avec les structures C2 ;
  • Un petit détachement de contrôle aérien et les pompiers, ces derniers contribuant par ailleurs à la formation des Maliens ;
  • Un détachement de transit aérien, le DETIA ou l’« escale » ;
  • Et enfin, la structure de commandement ramassée constituée d’une dizaine de personnes mettant tout cela en mouvement.

À noter en termes de force de protection que la sécurité de l’APOD dépend d’un dispositif en plusieurs couches un peu nouveau, puisqu’il inclut, en plus des mesures physiques mises en place aux points d’entrée, des patrouilles dynamiques à l’intérieur de l’enceinte, mais aussi à l’extérieur. Ce sont ces missions PATEX, patrouilles à l’extérieur, qui sont nouvelles et permettent de sécuriser la zone voisine de l’aérodrome : elles ont grandement contribué à la recherche du renseignement. Le dispositif n’a pas vocation à occuper le terrain, mais à le dominer en empêchant l’action d’éléments hostiles isolés, donner l’alerte en cas de danger, identifier les éventuels axes d’infiltration, les zones de menace de tirs indirects, les zones propices aux tirs sol air lors des phases sensibles d’atterrissage et de décollage. Ce travail de renseignement est mené en collaboration avec la cellule renseignement, la DPSD, la gendarmerie ; l’idée est d’avoir un contact étroit avec les autorités locales et la population en nouant un climat de confiance. Ces patrouilles incluent de fait systématiquement des gendarmes maliens qui font partie de la patrouille. Les CPA sont polyvalents en ce sens que le CPA est donc sur la mission PATEX, mais peut aussi générer la chaîne d’appui aérien (les CTA et les FAC) ; le CPA assure  les patrouilles dynamiques à l’intérieur de l’enceinte, mais a aussi son secteur d’excellence à savoir les opérations de RESCO PR (récupération des équipages). Ce dispositif est très intéressant en ce sens qu’il évite un côté trop statique et donne plus de profondeur et de dynamisme.

«Le positionnement [du DETAIR] est central dans la zone AFCO – Afrique Centrale et de l’Ouest –, Bamako étant l’un des pions d’un dispositif de théâtre assez large avec des moyens à N’Djamena, Niamey, Libreville, Abidjan, Dakar.»

Missions et moyens

Ce DETAIR est très tourné vers l’opérationnel et en termes de volumes, nous avons été à un moment donné plus de 400 (déployés sur Bamako avec quelques aviateurs à Gao et Tessalit). Ce qu’il faut tout d’abord souligner est le fait que sur ce théâtre malien, l’armée de l’air a su se positionner dans un large spectre d’opérations et de missions : renseignement, contrôle de l’espace, frappes (en tant que premier intervenant dans les heures qui ont suivi la décision d’engagement), mais aussi aéroportage, aérolargage, sauvetage. Au niveau CSAR, la chaîne est en place pour porter directement secours à un pilote éjecté et les moyens ont été utilisés pour d’autres missions de sauvetage (Personal recovery). Nous avons ainsi mis en oeuvre tout un potentiel de savoir-faire, dont peu de nations peuvent s’enorgueillir aujourd’hui : intervention immédiate, capacité de conduite des opérations aériennes, recueil de renseignement, capacités stratégiques, sans oublier la formation des aviateurs qui est au fond le coeur du sujet.

Sa raison d’être est le dispositif plot chasse et ravitailleur, ce qui donne une réactivité avec des moyens en alerte H24 et positionnés au plus près de la zone des opérations afin de réduire les élongations. Trois missions relèvent des chasseurs :

  • des frappes en Deliberate air interdiction : c’est une campagne d’attrition où on atteint en profondeur le potentiel ennemi via des frappes planifiées ;
  • des missions phasées dites de SCAR (Strike Coordination And Reconnaissance) : il s’agit de reconnaissance armée où on couvre une grande zone et où on engage si besoin ;
  • des missions de CAS (Close Air Support) : soit l’appui aérien classique au profit des troupes au sol.

Nous avons là une excellence de la chaîne d’appui aérien avec des compétences en termes de contrôle avec un FAC au sol, un CTA pré-positionné au niveau du GTIA dont l’objet est la coordination de la manoeuvre et l’affectation des moyens à des FAC en fonction de la zone qui est couverte : le CTA (Contrôle tactique air) est une équipe Air qui assure la coordination des actions aéroterrestres dans la zone de responsabilité du GTIA et qui attribue ensuite en conduite les moyens aériens au TACPI, nom générique de l’équipe composée de FAC, qui au Mali est Terre et Air. Il s’agit donc d’un poste de contrôle au niveau du GTIA qui contrôle la manoeuvre terrestre. Cela arrive au FAC qui prend en compte l’avion s’il s’agit de cela. Tout est imbriqué, y compris les drones, puisqu’avant de tirer sur une cible, il y a des critères de Positive identification à donner et le drone peut avoir son rôle à jouer. Le potentiel offensif dont je suis responsable est de trois Mirage 2000D et un ravitailleur sachant que l’arme aérienne bénéficie d’une grande réversibilité et peut donc à tout moment être renforcée. Nous l’avons constaté sur ce théâtre avec les frappes effectuées directement à partir de Saint-Dizier

Sa raison d’être est le dispositif plot chasse et ravitailleur, ce qui donne une réactivité avec des moyens en alerte H24 et positionnés au plus près de la zone des opérations afin de réduire les élongations.

Le plot transport amène la cohérence intra-théâtre et évite la rupture de charge sur l’APOD de Bamako : il a permis de monter au Nord Mali tout le matériel de la campagne Serval qui arrivait sur Bamako. Ces moyens Transport fonctionnent en fait selon le principe de poupées gigogne : nous avons 6 Transall du plot Transport, mais nous avons aussi des C130 à N’Djamena et des moyens alliés positionnés pour partie sur Bamako et pour partie sur Dakar (belges, allemands, danois et espagnols). Nous avons par ailleurs bénéficié de moyens inter-théâtre de transport (C17 américains, canadiens et anglais), mais aussi de ravitaillement (C135 américains basés en Espagne). Sur cette sousrégion Afrique, la conduite de la manoeuvre Transport est gérée depuis n’Djamena par un centre dédié, le RAMS (Regional Air Monitoring System).

La structure de commandement est classique :

  • au niveau stratégique, le CPCO (Centre de planification et de conduite des opérations) traduit depuis Paris les décisions politiques en objectifs militaires ;
  • puis au niveau opératif, le PCIAT (Poste de commandement interarmées de théâtre), sous le commandement du COMANFOR à Bamako, construit la séquence en synchronisant et coordonnant les effets produits par les différentes composantes. Nous sommes ainsi co-implantés.
  • Le commandement de la composante aérienne, donc la construction et la conduite des opérations aériennes, relève du JFACC, lequel est basé à Lyon et pour partie sur N’Djamena avec une partie current, J+1 et J+7. La coordination avec les alliés est de son ressort et s’avère excellente, notamment en termes de ravitaillement sans lequel Serval n’aurait pas pu se faire de la même façon.
  • Le COMDETAIR met en oeuvre les ordres du JFACC qui construit les plans avec les effets à obtenir, par exemple avoir les moyens d’appui pour une opération terrestre menée par la Brigade : que veut-on pouvoir faire en termes d’effecteurs (chasse, ISR), puis quels sont les moyens nécessaires pour honorer ce créneau en termes de soutien opérationnel (ravitailleurs) ? Ces moyens sont ensuite réajustés en fonction des aléas inévitables qui peuvent se produire pendant la conduite.

Le plot transport amène la cohérence intrathéâtre et évite la rupture de charge sur l’APOD de Bamako : il a permis de monter au Nord Mali tout le matériel de la campagne Serval qui arrivait sur Bamako.

Les difficultés et défis rencontrés sur ce théâtre

Pour nous aviateurs, les caractéristiques de ce théâtre sont  de trois ordres :

1. Les capacités in situ

Une des difficultés que nous avons est relative à la maintenance et concerne les aires de stockage, la poussière qui s’immisce partout, et la chaleur (avec 47 degrés l’après-midi à Bamako), trois caractéristiques de la zone d’Afrique centrale et de l’ouest. Mais heureusement les pare-soleil construits pour abriter les chasseurs permettent que l’air circule : ces infrastructures sont installées par le GAAO (groupement aérien d’appui aux opérations) de l’armée de l’air, qui comprend nos aviateurs spécialistes des structures verticales. L’avantage de ces abris est qu’il y a une différence de température très nette, ce qui est important pour les membres de l’équipage en termes de mise en condition, mais également important pour l’électronique des appareils. Ce sont des abris que nous nous efforçons de déployer en zone où prédominent de fortes chaleurs. Nous avions déjà ces infrastructures pendant la première guerre du Golfe, où j’ai mené quelques opérations, et nous avons enregistré un taux de panne bien moindre et une résistance des équipements bien supérieure, tandis que les membres de l’équipage peuvent partir en vol sans prendre une suée trop importante.

Le GAAO est toujours déployé avec nous et, avec le 25e RGA, fait partie du personnel projeté en premier sur le théâtre, puisque c’est l’objet même de leur mission de projection afin que la force puisse se déployer. La proportion de ce personnel de soutien par rapport à l’ensemble des forces aériennes déployées est très variable. Au plus fort de Serval, les Sapeurs du 25e RGA et les aviateurs du GAAO étaient une quarantaine de personnes réparties sur plusieurs sites avec la majorité sur Bamako. Ces abris sont la partie la plus visible et la plus reconnaissable de leur travail, mais ils font tout : en schématisant, le GAAO fait la partie verticale (infrastructures de protection) et le 25e RGA la partie horizontale (pistes et maintien en condition des pistes, terrains sommaires, ce qui prend tout son sens ici), chacun ayant une expertise unique en termes de spécificité aéronautique tout en faisant partie de la manoeuvre de façon intégrale. Lorsque l’on a fait un point aérien entre Bamako et le nord Mali à Tessalit, il a fallu faire des travaux sur piste, car celle-ci se dégradait beaucoup en raison du nombre de posers important. C’est donc le 25e RGA qui est parti de manière concomitante avec la manoeuvre afin de rendre l’ensemble de celle-ci possible. Le GAAO est également incontournable pour le déploiement de la force et initier son stationnement

En ce qui concerne l’état des pistes, celle de Bamako donne entièrement satisfaction contrairement à celles de Gao et de Tessalit qui ont été détériorées compte tenu de la fréquence des atterrissages, d’où le recours aux compétences du 25e RGA pour les maintenir en condition. Le pont aérien vers Tessalit a été réalisable, car le 25e RGA possède la totalité de ses moyens aérotransportables pour réaliser cette manoeuvre qui fait suite à la prise de contrôle du terrain, à l’analyse du terrain et au déploiement de moyens génie complémentaires. Autant les opérations aérolarguées du type de la boucle du Niger ne sont pas fréquentes, la dernière remontant à Kolweizi, autant le maintien en condition des pistes est quelque chose de relativement fréquent, en  particulier en Afrique.

2. L’effet de la chaleur

La chaleur, conjuguée à la poussière et à la fatigue, affecte autant le personnel que les matériels, tels que les moteurs déjà très sollicités compte tenu des plages de fonctionnement. La chaleur a un double effet :

  • Obligation de travailler la nuit : la chaleur est telle qu’elle rend le travail pénible et incite à travailler la nuit, mais le facteur fatigue joue puisque le personnel a du mal à se reposer pendant la journée en pleine chaleur. Depuis mars, nous avons quelques tentes climatisées à disposition du personnel navigant et des mécaniciens amenés à dépanner la nuit. Mais tous nos personnels sont opérationnels et travaillent la nuit, ne serait-ce que pour réaliser les essais moteur qui, ici, ne peuvent de toute  façon se faire que la nuit, car le point fixe nécessite une certaine température ;
  • Baisse de performance : les matériels se dégradent et subissent une baisse de performance, sans compter la diminution de la capacité d’emport – moins de kérosène dans les ravitailleurs et moins de charge offerte – : les pilotes de transport commencent ainsi leur journée à trois heures du matin de façon à offrir une charge conséquente. Les chasseurs ont moins de contraintes liées à la chaleur et leur créneau sera dicté par les opérations, mais en revanche les ravitailleurs en ont et c’est donc le JFACC qui bâtit un plan tenant compte de ce facteur.

Le slogan actuel de l’armée de l’air est que « pour faire voler un avion, il faut toute une armée » : c’est ce qui se vérifie ici très modestement, car nous avons une armée en miniature avec une cohérence autour de ce détachement.

3. Une consommation rapide du potentiel

En attendant l’A400M et le MRTT, nos flottes de transport tactique et d’avitailleurs vieillissantes ont rendu la participation alliée d’autant plus importante, que nous consommons rapidement le potentiel et des questions risquent de se poser au niveau de sa régénération. Les atterrissages en terrain sommaire ont par exemple entraîné une usure des hélices, qui ont dû être changées plus fréquemment qu’on ne le fait habituellement en métropole, en raison de l’impact de gravillons. Nous avons ainsi dû acheminer un lot de pales de C160, donc des pièces de taille conséquente nécessitant un transport par gros-porteur. Nous faisons tout pour maintenir la meilleure disponibilité qui est bien sûr différente entre les flottes et supérieure à celle de métropole, ce qui a bien sûr un coût. La maintenance est organisée par détachement, et les mécaniciens sont répartis par flotte : les mécaniciens Mirage 2000 dans le détachement chasse, les mécaniciens C160 dans le groupe de transport opérationnel, les mécaniciens Boeing dans le détachement ravitailleurs. Puis, procédure classique, nous avons une cellule logistique déployée – une CLD, qui fait le lien et commande les pièces selon deux modes :

  • soit en procédure d’urgence – les AOG (Aircraft On the Ground) pour les points bloquants –. La pièce est acheminée en quelques jours (2 à 4 jours depuis la commande à la livraison selon la taille de la pièce et donc le mode d’acheminement) ;
  • soit dans le cadre d’un recomplètement, où le délai est alors d’une dizaine de jours. À noter que le SGMAT met à disposition ses moyens pour nous aider en termes de MCO, au niveau des moyens de levage et de travail en hauteur et de matériel spécialisé dont nous ne disposons pas ici sur le théâtre.

Pour conclure, il suffit de mettre en avant les éléments bruts en matière de flux depuis le début de la campagne, pour montrer à quel point Serval est une opération extrêmement dynamique depuis le début. Ainsi, uniquement au niveau du DETIA de Bamako, Serval équivalait à la mi-avril à :

  • 11 000 tonnes de fret (in et out), dont 7 800 tonnes le premier mois de déclenchement ;
  • 8 000 PAX vers ou depuis Bamako (in et out), dont 3 200 le premier mois.

Si on compare avec Harmattan, la campagne aérienne a démarré de façon similaire du point de vue des opérations aériennes (frappes) ; en revanche, la suite a différé en raison de la présence de troupes au sol dans Serval exigeant des missions de CAS que nous n’avons pas eu dans la campagne de Libye.

Comme en Bosnie et en Afghanistan, l’imbrication des forces complexifie les procédures d’identification positive : c’est toute la difficulté du CAS.

Le slogan actuel de l’armée de l’air est que «Pour faire voler un avion, il faut toute une armée» : c’est ce qui se vérifie ici très modestement, car nous avons une armée en miniature avec une cohérence autour de ce détachement et j’ai la chance de commander des personnels très motivés et totalement engagés dans la mission. Tout comme Sigonella dont j’ai eu la chance de commander également le détachement, Bamako restera une expérience rare et une aventure humaine hors du commun.

Crédits photos © C160, MD, avril 2013, Gao, Mali