Les premiers mois de l’opération Serval furent particulièrement riches en enseignement sur la conduite des convois logistiques au Mali au vu de leur nombre et de leur complexité. Ces convois ont été menés depuis le port de Dakar au Sénégal jusqu’aux confins du désert au sud de la frontière avec l’Algérie en passant par Bamako, Sévaré, Tombouctou, Gao, Kidal. Malgré quelques similitudes, ces convois ne ressemblent pas à ceux que nous avons pu connaître en Afghanistan. Cependant, sur le plan technique, nous trouvons beaucoup de points communs avec les convois que nos aînés ont pu faire en Indochine sur les routes coloniales et plus récemment en ex-Yougoslavie au début des années quatre-vingt-dix.

Autonomie et Système D

Une des grandes caractéristiques de nos convois est leur durée : par exemple, certains éléments sont partis de Sévaré pour une mission globale de cinq à six jours en enchaînant sur Tombouctou après avoir effectué un premier convoi sur Gao. Les patrouilles doivent dans ces cas-là prévoir une autonomie en eau et vivres, sachant que les stocks d’eau nécessaires sont le plus dimensionnant, avec 4 à 5 litres par personne par jour au minimum.

La longueur des trajets, combinée à de faibles moyens d’appui laisse souvent le chef de convoi seul : seul à gérer les pannes avec les moyens du bord disponibles, seul à devoir gérer un incident ou un IED, seul à devoir gérer d’éventuels blessés, car l’autonomie des hélicoptères ne permet pas d’atteindre la position du convoi. L’isolement des convois sur les tronçons d’itinéraire les plus éloignés les oblige à être totalement autonomes. Le départ pour un convoi de plusieurs jours demande par ailleurs beaucoup d’organisation et de système D pour les équipages afin de caler l’intégralité de leur équipement et tout le matériel nécessaire dans leur VHL [véhicule] (eau, rations, munitions, lits picots, etc). Chaque équipage doit prévoir à son niveau les moyens de lutter contre la chaleur et la fatigue. Contre la chaleur, les pilotes essayent de prévoir des caches soleil de fortune (mise en place de bastion-wall sur les P4 par exemple) et inventent des systèmes afin de garder en permanence de l’eau fraîche (bouteille d’eau mise dans une chaussette mouillée et accroché au rétroviseur ou la “vache à eau”).

Des moyens d’escorte limités

En raison du grand nombre de vecteurs logistiques à escorter, les moyens d’escorte, dimensionnés au plus juste afin de pouvoir armer l’intégralité des convois et en assurer la protection, se trouvent vite limités. Il faut ajouter à cela la fragilité mécanique des PVP utilisés sur le théâtre qui ont eu des problèmes récurrents sur différents points : plaquettes de frein, courroies et galets tendeurs, durites… Cette fragilité a réduit considérablement le nombre de moyens d’escorte disponibles. Les moyens à disposition du PCR 515 afin de remplir ses missions d’escorte sont constitués d’une douzaine de véhicules comprenant des PVP SITEL 7,62 mm, VAB Carthage 7,62 mm, GBC allégement 12,7 mm, GBC SIR et TRM 2000. Afin de pouvoir pallier le manque de moyens d’escorte et de continuer à assurer la protection des convois, le PCR du 515 a créé, à l’image de ses aînés d’Indochine, des gun trucks à partir de GBC Cargo 12,7 mm. En Indochine, l’élément d’éclairage était souvent armé par un blindé léger de la cavalerie (scout car armé d’un canon de 20 mm) tandis que le reste des éléments d’escorte assurés par la circulation routière étaient sur des half-tracks ou GMC transformés en gun trucks. Les convois, qui dépassaient souvent la centaine de véhicules en Indochine afin de ravitailler les postes les plus isolés, devaient pouvoir compter sur des VHLs, certes non blindés, mais fiables techniquement car les moyens de dépannage étaient assez limités. C’est en ce sens que le PCR du 515 a imité les anciens tringlots en transformant les GBC en moyens lourd (le bunker mobile du convoi) et en les combinant avec des moyens plus légers pouvant intervenir rapidement sur un incident le temps que le moyen lourd manoeuvre et déborde. Ce GBC gun truck est ainsi binômé avec une P4 qui dispose d’un moyen transmission plus performant et est en mesure de le guider plus facilement dans sa manoeuvre. Par ailleurs, les moyens d’escorte limités ne permettent pas au chef de convoi de détacher une patrouille entière à la reconnaissance d’itinéraire, d’autant plus que les moyens d’escorte ne sont pas toujours blindés. Ces faibles moyens d’escorte obligent le chef à faire un choix quant au niveau et à la répartition de ces derniers en fonction des renseignements obtenus sur les itinéraires empruntés concernant la menace ennemie, de la ressource à escorter et de la nature des vecteurs logistiques à escorter.

Une longueur de convois à prendre en compte

La taille des convois nécessite toujours de placer l’escouade la plus importante ou la plus contraignante sur la vitesse du convoi à l’avant (VHL les plus lents/ VHL les plus longs…), afin de réguler la vitesse du convoi au mieux et d’éviter de le scinder en deux. Avec la longueur des convois et les difficultés mécaniques, deux éléments sont devenus indispensables au sein des convois. Le premier est l’élément de liaison à longue portée, soit un VAB Carthage ou une P4 Melchior qui permet, en fonction de l’antenne, de maintenir les liaisons vers le haut jusqu’à 1000 km. Le second élément est l’intégration obligatoire dans tous les convois d’un ou deux PEB (Porte-engins blindés) lisses afin de pouvoir charger les vecteurs en panne. Très fiables, les PEB ont été utilisés sur tous les convois. Les pannes étant effectivement très nombreuses, ces pauses improvisées et imposées doivent de fait impérativement être mises à profit par les équipages afin de contrôler leurs véhicules au cours d’un check rapide (sanglage/ état du chargement/ contrôle des pneumatiques/ présence de fuites…).

La durée des convois et les conditions météos particulièrement défavorables demandent au chef de convoi d’insister sur un point à la fin des briefings, à savoir que « la gestion de la fatigue est un acte de combat ».

La longueur des convois a aussi eu des conséquences importantes sur leur autonomie en termes de moyens santé, de dépannage et de moyens transmissions longue portée qui sont indispensables au sein de chaque convoi. Ces moyens sont très limités sur le théâtre et ne permettent donc pas de garantir à tous les convois un appui SAN, ELI ou d’avoir une P4 Melchior/VAB Carthage. Dans l’articulation des vecteurs, il convient ainsi de répartir au mieux les moyens transmissions et armement. Nous avons ainsi procédé à un “égrenage” des vecteurs de l’escorte pour avoir un visuel sur le maximum du convoi et avoir des points transmission tout le long dans le but de rendre compte au plus vite d’un accident, d’une panne ou d’une situation tactique particulière (prise à partie, IED etc.

Conduite de combat

Le briefing avant départ doit permettre d’insister sur un point particulier : la conduite de combat. La conduite de combat chez les équipages du Train peut se définir la mise en oeuvre de l’ensemble des mesures actives et passives dans le domaine de la conduite permettant de se prémunir, se protéger ou réagir face à un incident ou une situation rencontrée en convoi (consignes de déplacement pour minimiser le risques des IED, à la conduite dans un village, aux consignes à l’arrêt lors des haltes.. La population a toujours calmement attendu le rétablissement de la circulation et n’a jamais manifesté d’animosité envers nous. Dernier point lié aux caractéristiques de Serval, la durée des convois et les conditions météos particulièrement défavorables demandent au chef de convoi d’insister sur un point à la fin des briefings, à savoir que «la gestion de la fatigue est un acte de combat». Chaque véhicule est composé d’un équipage de trois personnes se relayant pour la conduite, mais les haltes sont peu fréquentes et la vigilance s’impose (quitte à rapidement changer de conducteur en cas d’endormissement), d’autant que la température la nuit demeure élevée et empêche parfois un sommeil réparateur, pareil au niveau des siestes potentielles (les premières tentes climatisées ne sont arrivées à Bamako qu’en avril) : le co-pilote doit donc en permanence surveiller le pilote…

Crédits photos © Brigadier-chef Julien, 515e RT, 25 mars 2013