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(Par Murielle Delaporte) – Entretien avec le médecin général des armées Jean-Marc Debonne, Directeur central du service de santé des armées.

Suite à sa prise de fonction en octobre 2012 à la tête du Service de santé des armées (SSA), le médecin général des armées Jean-Marc Debonne a défini dans le cadre de son premier ordre général trois axes sous-tendant son action, à savoir la proximité avec les forces, la qualité du soutien santé et le maintien de l’efficacité opérationnelle. Dans cet entretien, il tire les enseignements des opérations extérieures récentes et décrit les conditions nécessaires à la poursuite de la mission première du Service qu’il dirige, à savoir « déployer en permanence et en autonomie totale une chaîne de soutien santé opérationnelle complète », une mission que la France est l’un des rares pays à pouvoir assurer.Au coeur de deux mondes extrêmement exigeants et parfois divergents – la Défense et la Santé -, le SSA travaille de façon croissante « sous forte tension » et doit donc, de l’avis du général Debonne, ne pas se contenter de s’adapter, mais véritablement changer de modèle, ainsi qu’il l’a expliqué le 16 octobre devant la commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée nationale en présentant son nouveau projet « SSA 2020 ». Cet article souligne les enjeux et les défis auxquels le SSA est confronté à l’aune de cette nouvelle transformation. Suite à sa prise de fonction en octobre 2012 à la tête du Service de santé des armées (SSA), le médecin général des armées Jean-Marc Debonne a défini dans le cadre de son premier ordre général trois axes sous-tendant son action, à savoir la proximité avec les forces, la qualité du soutien santé et le maintien de l’efficacité opérationnelle. Dans cet entretien, il tire les enseignements des opérations extérieures récentes et décrit les conditions nécessaires à la poursuite de la mission première du Service qu’il dirige, à savoir « déployer en permanence et en autonomie totale une chaîne de soutien santé opérationnelle complète », une mission que la France est l’un des rares pays à pouvoir assurer.

Au coeur de deux mondes extrêmement exigeants et parfois divergents – la Défense et la Santé -, le SSA travaille de façon croissante « sous forte tension » et doit donc, de l’avis du général Debonne, ne pas se contenter de s’adapter, mais véritablement changer de modèle, ainsi qu’il l’a expliqué le 16 octobre devant la commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée nationale en présentant son nouveau projet « SSA 2020 ». Cet article souligne les enjeux et les défis auxquels le SSA est confronté à l’aune de cette nouvelle transformation.

Général, le SSA est systématiquement impliqué dans toute OPEX et ce jusqu’au sein des unités combattantes : quels retours d’expérience majeurs faites-vous des principaux théâtres où la France a été engagée ces dernières années ?

Pamir en Afghanistan, Harmattan en Libye, Atalante en Océan Indien et Serval au Mali ont été les temps forts de la sujétion opérationnelle du service de santé des armées sur la période 2008 – 2013. Ces opérations ont été caractérisées avant tout par leurdiversité. Pamir et Serval, pour ne citer qu’elles, illustrent deux types opposés de scenarii malgré d’apparentes similitudes. En Afghanistan, nous avons mené une de contre-insurrection dans un cadre multinational sur un territoire délimité. Au Mali, nous avons réalisé une entrée en premier en “ambiance vitesse” sur une profondeur de plus de 1 000 km et dans un cadre essentiellement national.

Ces opérations par leur diversité nous ont rappelé une fois encore que le retour d’expérience doit contribuer aux indispensables évolutions de la doctrine, de la formation, ainsi qu’à la préparation opérationnelle des acteurs de santé. Sur la doctrine, Pamir aura permis de valider de nouveaux modes d’action comme le sauvetage au combat qui ne doit pas être confondu avec le secourisme, la standardisation internationale des messages d’évacuation de blessés, la fonction de régulation médicale désormais systématiquement assurée par une cellule dédiée, la PEC ou patient evacuation cell. L’opération Serval, quant à elle, aura montré les contraintes majeures d’une manoeuvre dynamique développée sur un territoire immense (Rôles 1 itinérants, redéploiements répétés des Rôles 2, emploi du CASA Nurse pour les MEDEVAC). Lors de cette manoeuvre, le SSA aura aussi pleinement joué son rôle de conseiller du commandement en particulier dans le domaine du soutien. En effet, Serval a constitué, en raison de sa nature, un défi majeur dans le champ du soutien de l’homme : approvisionnement en eau, hygiène, condition du personnel en opération.

Ces opérations ont aussi considérablement influencé la politique de formation du SSA. La mise en condition du personnel dela chaîne santé opérationnelle a dû être adaptée. Elle répond désormais à un processus coordonné au niveau central. Le SSA a ainsi défini une véritable préparation à l’engagement avec :

  • un volet tactique, consacré à la connaissance des milieux, des savoir être et savoir-faire militaires ;
  • un volet clinique, focalisé sur la prise en charge des urgences et les caractéristiques épidémiologiques des théâtres ;
  • un volet médico-militaire, centré sur l’intégration des acquis tactiques et techniques en situations contraignantes simulées.

Le coût de cet investissement humain et matériel est considérable mais il constitue un impératif en termes de qualité du soutien médical des opérations. Le défi de cette politique de formation est de trouver le juste équilibre entre une spécialisation approfondie d’un seul milieu et celle, trop superficielle, d’une intérarmisation à l’excès.Dans cet esprit d’équilibre, la place de la préparation opérationnelle itérative et globale doit être accrue. En effet, il ne faudrait pas uniquement dépendre de la mise en condition avant projection (MCP) spécifique d’un théâtre, au risque delimiter la réactivité et l’adaptabilité du Service.
Au final, le SSA se doit de conserver une vision globale des acquis tirés de ces engagements majeurs, indépendamment du strict contexte opérationnel du moment. Parce que la guerre de demain n’est pas la crise d’aujourd’hui, cette démarche participe à notre capacité de réaction face à l’incertitude du futur.

Le SSA a ainsi défini une véritable préparation à l’engagement avec : – un volet tactique, consacré à la connaissance des milieux, des savoir être et savoir-faire militaires ;- un volet clinique, focalisé sur la prise en charge des urgences et les caractéristiques épidémiologiques des théâtres ;-un volet médico-militaire, centré sur l’intégration des acquis tactiques et techniques en situations contraignantes simulées.

Si l’on reste dans le domaine du RETEX. Quels sont, de votre point de vue, les changements essentiels, technologiques ou organisationnels qui ont marqué le soutien santé en opération ?

Sur la base des standards médicaux en vigueur sur le territoire national, et nourri de son retour d’expérience, le SSA fait évoluer sans cesse ses pratiques opérationnelles. Sans parler de révolution, il met en oeuvre une démarche permanente d’adaptation des pratiques professionnelles et des matériels déployés au sein de ses unités médicales opérationnelles (UMO).

Un exemple illustre parfaitement cette continuelle remise en question. Désormais, chaque combattant reçoit en dotation une trousse de premier secours (trousse individuelle du combattant ou TIC). Elle comprend notamment un garrot, un soluté de perfusion intraveineuse et de la morphine, fabriqués spécifiquement par la pharmacie centrale des armées. Au-delà de la composition de ce dispositif, la véritable innovation réside dans le fait qu’il soit porté par les militaires eux-mêmes et que ces derniers soient formés à les utiliser.

La miniaturisation et la numérisation des matériels se sont considérablement accéléré, facilitant ainsi l’interconnexion des appareils tout en diminuant leur empreinte logistique. Auparavant, leur emploi était une prérogative exclusive du personnel soignant.

Autre tendance lourde, la miniaturisation et la numérisation des matériels se sont considérablement accéléré, facilitant ainsi l’interconnexion des appareils tout en diminuant leur empreinte logistique. C’est ainsi que le module de chirurgie vitale (MCV), capacité opératoire extrêmement compacte et rustique, a pu être conçu pour soutenir certaines opérations militaires particulières.

Dans un autre domaine, la prévention et la prise en charge des états de stress post-traumatiques ont progressé grâce au plan élaboré par le ministère de la Défense et dont le service de santé est le coordonnateur.Je tiens à citer également les avancées remarquables réalisées dans le domaine des prothèses. Les dernières générations permettent une bien meilleure réadaptation de nos blessés amputés et augurent d’avancées encore plus prometteuses.

La France est présidente du COMEDS (Comité des chefs de santé) et fréquemment nation cadre en matière de soutiensanté au sein de l’OTAN. L’expérience en coalition de l’Afghanistan semble conduire vers une mutualisation des moyens de plus en plus importante. Quels sont les avantages et les difficultés d’un tel travail avec des alliés ayant souvent des moyens, des langues et parfois des modes d’action différents sur le terrain ?

En Afghanistan, il semble plus adapté de parler d’interopérabilité entre alliés que de réelle mutualisation des moyens.

Sur demande de l’OTAN, la France, a accepté le rôle de lead nation de l’hôpital militaire de KAIA (Kaboul International Airport). À ce titre, le personnel du SSA travaille au quotidien avec des équipes médico-chirurgicales alliées depuis plusieurs années. Toutefois, il n’y a pas eu de véritable mutualisation, à l’exception néanmoins de la neurochirurgie et de l’ophtalmologie.

Concernant le soutien médical à l’avant, si la France n’a pas de “différence” doctrinale avec les autres nations de l’Alliance, elle conserve cependant des “spécificités” telles que la médicalisation au plus près des combats. La tentation est très souvent de vouloir opposer le Scoop & run américain du “Sauve, stabilise et évacue ensuite” français. Or, il faut se garder de comparer ces deux concepts en termes d’efficacité, car ils s’intègrent respectivement dans des organisations tactiques différentes. Le premier est rendu possible par l’abondance de vecteurs à voilure tournante qui autorise le transfert du patient vers une structure chirurgicale sans attendre sa complète stabilisation. Le modèle français assure un maillage sur mesure du théâtre par la chaîne santé et permet au patient d’atteindre le chirurgien avec un degré de prise en charge aussi proche que possible du niveau préhospitalier du territoire national.
L’un des grands intérêts de l’expérience de la coalition en Afghanistan aura donc été de permettre au SSA et à ses homologues de l’Alliance de confronter leur vision, de s’enrichir mutuellement et de comprendre leurs différences pour pouvoir mieux se coordonner.

L’Alliance doit poursuivre cette démarche pour aboutir à une plus grande mutualisation capacitaire. C’est l’un des principes du nouveau projet de service que nous portons. Comme je l’ai dit le 16 octobre dernier devant la commission de la Défense et des Forces armées de l’Assemblée nationale, dans les prochaines années, nous seronstoujours en mesure de déployeren permanence et en autonomie totale une chaîne de soutien santé opérationnelle complète. Cette ambition du SSA est en conformité avec les attendus stratégiques du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale. Elle garantit la liberté d’action des armées car le SSA constitue une force d’appui déterminante. Le SSA permet l’entrée en premier, mais se retire aussi souvent en dernier. Lorsqu’une une intervention s’inscrit dans la durée, il est toutefois indispensable de partager la charge avec nos alliés et partenaires. C’est là que la mutualisation prend tout son sens.

Le respect des délais d’intervention (10 – 1 – 2) fait partie des normes OTAN. Comment concilier ces normes avec des conditions de théâtre parfois particulièrement redoutables où les élongations ne permettent pas toujours d’assurer le principe de la Golden Hour ?

Les délais de prise en charge et d’évacuation médicale en opération apparaissent dans les publications de l’OTAN comme un outil de planification (medical/surgical planning timelines) et non comme un marqueur normatif du soutien médico-chirurgical des opérations. Ils définissent à cet effet des gabarits horaires pour la prise en charge des blessés. Le « 10 » fait référence aux dix premières minutes qui font suite à la blessure. Durant ce temps, le blessé ou l’un de ses camarades doit pratiquer les gestes réflexes de sauvetage vital. Le « 1 » représente, en heure, le délai de la prise en charge médicale et le « 2 », celui de la prise en charge chirurgicale. Ces chiffres restent toutefois indicatifs. Pour respecter ces prescriptions, l’implication du SSA dès la phase de planification des opérations permet d’établir le juste format du soutien médicochirurgical et de définir le nombre adéquat de vecteurs aériens nécessaires. Une fois sur le terrain, l’interopérabilité du SSA avec les différents acteurs de la manoeuvre tactique représente la clé de voûte de la chaîne médicale opérationnelle et assure sa continuité comme son efficacité.

Au total, la qualité de la prise en charge sur le théâtre consiste à allier protocoles thérapeutiques préhospitaliers préhospitalierset délais optimisés. Le but est évidemment de faire bien… et vite.

Pour poursuivre son action, le Service doit se concentrer sur le besoin des armées tout en s’ouvrant pleinement à la santé publique dont il doit devenir un acteur à part entière. C’est l’enjeu du projet de service “SSA 2020” que le ministre de la Défense m’a demandé de concevoir et de mettre en oeuvre.

Derrière la qualité du SSA se trouvent bien entendu le dévouement et l’expertise/ expérience des hommes et femmes : Avec l’ouverture sur la santé publique, comment maintenir les spécificités de la formation des personnels du SSA et la disponibilité de ces derniers pour maintenir le même niveau de performance démontré en particulier pendant Serval, les gestes médicaux sur un théâtre de guerre et les pathologies des grands blessés de guerre différant parfois beaucoup avec le secteur urgentiste civil ?

La mission du SSA est d’organiser le recrutement, la formation initiale et continue, ainsi que la préparation opérationnelle “métier” de son personnel. Ce personnel soignant du SSA doit être capable d’exercer sa pratique médicale ou paramédicale dans des conditions dégradées, dans un environnement précaire voire hostile et le plus souvent en situation d’isolement. Toutes ces contraintes imposent à nos praticiens, infirmiers et aides-soignants d’acquérir et d’entretenir des compétences médico-chirurgicales dites “de guerre”». Ces pratiques polyvalentes se heurtent parfois à la tendance actuelle d’hyperspécialisation des professions de santé. Ce paradoxe les amène donc à acquérir un double savoir-faire répondant aux exigences des théâtres d’opération comme à celles de la pratique sur le territoire national. En ce sens l’ouverture vers la santé publique a pour objet de maintenir leur performance clinicienne.

Dans ce domaine de la formation, la simulation vous paraît-elle une voie d’avenir ? Dans cet esprit, quel a été par exemple l’impact du Team training de la 3e ACA avant son départ pour Serval ?

L’utilisation de la simulation est clairement un objectif. Elle est un élément clé de la préservation de la double compétence que je viens d’aborder. Sous l’égide de l’école de Val de Grâce, elle est déjà utilisée pour la préparation opérationnelle de nos équipes. Comme les autres antennes chirurgicales, la 3e ACA a bénéficié du cours avancé de chirurgie en mission extérieure (CACHIRMEX) et d’une préparation opérationnelle spécifique. Au cours de cette séquence, outre l’entraînement lié au déploiement de la structure, l’équipe de la 3e ACA a pu se confronter à des simulations d’accueil de blessés graves hémorragiques et de triage médico-chirurgical. Ces entraînements sont encadrés par des spécialistes expérimentés et par des professeurs de la chaire de chirurgie de guerre. Leurs résultats sont en cours d’évaluation et déboucheront très vraisemblablement sur la généralisation de ces outils.

Le service de santé des armées français est l’un des seuls services de santé militaire à pouvoir déployer une chaîne santé complète. Au vu des défis futurs, comment envisagez-vous de préserver ce niveau d’excellence ?

Depuis sa création en 1708, le SSA a toujours su s’adapter aux deux mondes auxquels il appartient : le monde de la Défense et celui de la Santé. Mais aujourd’hui, les exigences de ces deux communautés ne cessent de croître et divergent parfois, mettant le SSA sous forte tension.

Ainsi, pour poursuivre son action, le Service doit se concentrer sur le besoin des armées tout en s’ouvrant pleinement à la santé publique dont il doit devenir un acteur à part entière. C’est l’enjeu du projet de service “SSA 2020” que le ministre de la Défense m’a demandé de concevoir et de mettre en oeuvre. Ce projet novateur dessine un nouveau modèle de Service autour des valeurs et des missions qui sont propres au SSA. Il permettra au service de santé des armées de préserver l’autonomie et l’intégrité de la chaîne opérationnelle santé. Le SSA sera ainsi au rendez-vous du nouveau modèle d’Armée à même de garantir à la France sa souveraineté stratégique…

Propose recueillis par Murielle Delaporte, rédactrice en chef.