(Par Murielle Delaporte) – Si le Service interarmées des munitions – SIMu – créé voici deux ans (1) a déjà été engagé en opération extérieure (Pamir et Harmattan), c’est la première fois, avec Serval, qu’il mettait en œuvre une projection réelle et, grande première également, ce fut l’occasion pour les armuriers de l’armée de terre et de l’armée de l’air de travailler sur le terrain et de partager leurs savoir-faire en totale synergie interarmées.

Interviewé en avril dernier, l’adjudant-chef S. explique ici sa mission en tant que responsable du dépôt de munition de Bamako, point d’entrée et de départ de toutes les munitions terre et air destinées au théâtre malien. Il s’auto-décrit comme le « comptable munition de tout le théâtre », mais l’on découvre rapidement que sa fonction et celle des équipes qui l’entourent vont bien au-delà d’un suivi comptable certes complexe vu le volume concerné, mais qui intègre par ailleurs la distribution vers les dépôts avancés pour recomplètement des unités, le maintien en condition opérationnelle et reconditionnement des munitions dans le cadre des «visites de reversement» inhérentes aux chassés croisés des GTIA, leur destruction si nécessaire, voire la conduite d’essais sur pas de tir. Tout cela avec 17 PAX répartis sur tout le théâtre.

Adjudant-chef,  en tant que responsable du dépôt de munitions de Bamako, quelle est votre mission et comment vous êtes-vous organisés pour assurer la bonne distribution des munitions auprès de plus de cinq mille hommes dispersés au sein d’un vaste territoire comme le Mali ?

Prévenu la veille pour le lendemain, je suis arrivé le 24 janvier de Canjuers sur le théâtre malien pour prendre en compte tout ce qui concerne la gestion des munitions : je suis le comptable munition du théâtre. Pour effectuer cette mission, qui concerne un volume important de munitions de l’armée de terre, mais aussi de l’armée de l’air (voire également de la marine, dans la mesure où certaines munitions air et marine sont interchangeables), nous étions en début de mandat un total de 17 PAX opérant sous l’autorité de l’AISM (Adjoint interarmées du soutien) et  répartis sur trois dépôts de munitions : le dépôt principal de Bamako et deux dépôts avancé basés respectivement à Gao et Tessalit.

Concrètement, notre rôle a consisté à réceptionner toutes les munitions venues de France soit par voie aérienne à destination de l’aéroport de Bamako, soit par  voie maritime et convoi depuis le port de Dakar. Nous avons également réceptionné des ravitaillements de dépôts de munitions intra-théâtre basés autour du Mali, lesquels ont assuré les premières ressources de munitions. A partir du moment où quelqu’un – qu’il appartienne à l’armée de terre, à l’armée de l’air, voire aux forces britanniques avec lesquelles nous avons ce que l’on appelle une convention (dite contradictoire) de stockage – arrive avec des munitions,  le point d’entrée est ici.  Nous avons ainsi reçu jusqu’à 17 KC par convoi, des containers arrivés par bateau qu’il faut dépoter et distribuer rapidement. Lorsqu’elles arrivent par avion, le DETIA (Détachement de transit interarmées Air) nous prévient et nous envoyons un vecteur récupérer les munitions.  Ces dernières proviennent de tous les dépôts de France : elles sont regroupées et embarquées à partir de la ZRA (zone de regroupement et d’attente) de Miramas, puis sont dirigées sur Istres si elles partent en avion, sur Toulon si elles partent en bateau.

« Vue la faune environnante (nous avons tué un python de 1,50 mètres qui logeait entre deux containers), nous devions dormir, toutes portes fermées, dans les KC vides de munition, dont la température journalière atteignait 58 degrés Celsius. »

Sur ce dépôt de Bamako, une fois réceptionnées, les munitions sont comptabilisées, vérifiées et distribuées aux dépôts de l’avant pour alimenter les forces. De fait, notre section s’est très vite scindée : deux, puis six des dix-sept PAX sont partis sur les autres sites et nous nous sommes retrouvés pendant une grande partie de notre mandat à sept ou huit personnes.  Nous sommes actuellement dix avec des renforts arrivant de métropole. Mais que ce soit ici, à Gao, Tessalit ou Tombouctou, nous avons tous les mêmes missions : réapprovisionner les forces en délivrant les munitions, les récupérer lorsqu’une force quitte la zone,  les passer en visite et, à partir de là,  soit la munition est restockée, soit elle est déclassée si elle est jugée dangereuse. Ce parcours fait également l’objet d’un suivi informatique.

Quels ont été et quels sont les défis rencontrés dans le cadre de votre mission ?

Le début des opérations a été caractérisé par la mise en œuvre d’un dépôt de munition de première intervention dans un contexte de tempo opérationnel soutenu et dans un cadre particulièrement rustique.  En trente-quatre ans de service,  je n’ai  jamais connu cela. Quand nous sommes arrivés ici, il n’y avait bien-sûr pas de dépôt de munition. Une petite étude a donc été faite pour savoir si nous pouvions nous implanter sur une zone située entre l’aéroport et la partie Mirage 2000 du DETAIR (Détachement Air). Un dépôt de munition doit toujours être à l’écart pour des raisons de sécurité. Nous travaillons donc depuis trois mois à proximité de la piste d’atterrissage qui est à cent mètres avec les décibels qui vont de pair.  A notre arrivée, nous n’avions que les munitions : ni véhicule, ni campement, ni eau, ni électricité. Nous avons donc dormi à même le dépôt de munition. Et, vue la faune environnante (nous avons tué un python de 1,50 mètres qui logeait entre deux containers), nous devions dormir, toutes portes fermées, dans les KC vides de munition, dont la température journalière atteignait 58° Celsius. Nous avons reçu nos matériels de campement au bout de quinze jours et l’armée de l’air nous héberge avec deux tentes dotées de filets anti-chaleur. Il est important d’être à proximité du dépôt en raison des risques d’incendies. Notre relève qui arrive le 10 mai logera dans un nouveau dépôt de munition en cours de construction, qui ressemblera à un vrai dépôt  de munition et non à une piste d’ULM !

Déployer très vite et distribuer les munitions aux forces, nous savons faire et ces dernières ont été contentes de nos prestations. Le retour pourrait cependant être difficile, car un gros travail d’inventaire nous attend dans la mesure où pendant deux semaines avant notre arrivée sur le théâtre, les munitions ont été distribuées dans l’urgence. A l’heure actuelle, si le rythme est un peu plus calme, les GTIA commencent à reverser dans les dépôts de l’avant et nous devons les trier et les passer en visite avant qu’elles ne soient rapatriées en France et reloties. Une caisse de munition arrive en effet sur le théâtre avec un lotissement précis,  lequel va être modifié pour revenir en France, de façon à  ce que l’on sache qu’elles reviennent du Mali, qu’elles ont donc subi de fortes températures, et qu’elles doivent être consommées en priorité une fois en  métropole. Elles restent bonnes dans la mesure où elles n’ont pas quitté leur container logistique, mais elles ont malgré tout été stockées dans des températures extrêmes ; si par contre, elles ont été déstockées ou portées sur l’homme, elles passent en visite chez nous.

Quelle est la teneur de ces visites et quelles sont les problèmes spécifiquement rencontrés en matière de MCO des munitions sur le théâtre malien ?

Nous traitons de toutes sortes de munitions de la cartouche pour arme portative – FAMAS, PA – jusqu’au missile et la bombe avion (les GBU positionnées sur Mirage 2000 pour lesquelles différentes  configurations sont possibles) et d’ancienneté variable, nos plus anciennes munitions remontant à 1958. Toutes subissent des visites détaillées tous les cinq ans, consistant à effectuer un prélèvement de munitions dans un lot et le tester : on fait des essais de tir pour voir si la précision de tir est toujours bonne, si les explosifs partent correctement, s’ils sont encore malléables à la main, etc… Tous les deux ans ont lieu par ailleurs des visites sommaires, au cours desquels on prend un échantillonnage au hasard dont on vérifie le conditionnement : sur un lot à dix mille, on prélèvera  par exemple cent cinquante cartouches. Ces visites ont lieu dans tous les établissements de France, chacun ayant sa spécialité, et on sous-traite également avec l’établissement la Délégation générale de l’armement de Bourges pour certains types de munitions nécessitant des bancs particuliers. La durée de vie des munitions est donc variable, car tant que celles-ci répondent aux exigences demandées, elles sont conservées sans problème. En revanche, à la moindre défaillance de tir ou en cas de blessure, une interdiction d’emploi régional au niveau du théâtre malien serait lancée, puis Paris bloquerait la dite munition pour une interdiction d’emploi national pour tous les dépôts de France et  d’Outre-Mer, en OPEX ou en missions de courte durée. De notre côté, s’il s’agissait d’une cartouche par exemple, nous ferions un prélèvement de cartouches que nous testerions sur un pas de tir, tandis que le personnel responsable de l’armement petit calibre ferait la même chose, car ce n’est pas toujours la munition qui doit être incriminée pour défaillance. Ce peut être une pièce usée, ce qui est arrivé par le passé, mais pas au Mali.

Dans notre nouvelle installation, nous allons déployer un atelier de maintenance sous tente AT2N, qui va nous permettre de passer toutes les munitions en visite. Cette tente sera climatisée et  protégée par un système de bâches et de  filets anti chaleur. Le produit fini sortira pas une trappe à l’arrière, afin d’être remis en magasin et redéployé sur les théâtres avoisinants pour recompléter leurs stocks, puisque beaucoup de munitions sont venues  au début des dispositifs Epervier et Licorne,  ou rapatrié en métropole. Le SIMu travaille sur cette répartition en liaison avec le CICLO (Centre Interarmées de Coordination de la Logistique des Opérations).

Le temps de reconditionnement  dépend de la munition et  cela peut prendre la journée : une cartouche de 12/7 portée sur les engins par exemple sera déconditionnée, huilée, comptabilisée, remise en condition et réinsérée dans son emballage initial, lequel fait parfois défaut en raison de l’urgence du début des opérations. Dans certains cas, pour des missiles par exemple, il faut faire un remarquage sur ces derniers pour définir le bon lot en fonction des containers logistiques. Nous passons en ce moment en visite des missiles Hot issus du reversement d’unités du GTIA1. Ceux stockés dans des containers logistiques capables de supporter des écarts de températures allant de -46 à + 71 degrés Celsius seront reconditionnés ; s’ils ont été déconditionnés en revanche, les missiles ne peuvent pas supporter des températures inférieures à -31 degrés et supérieures à + 51 degrés Celsius. Or s’ils ont été déconditionnés et pré-positionnés sur alerte en pleine lumière, il y a de fortes chances qu’ils aient été exposés à des températures dépassant ce maximum. Nous allons donc proposer un classement au SIMu selon le type de problème rencontré : si la membrane ou le système de visée est abimé par exemple, on va déclasser le missile et le proposer pour destruction.

La poussière et sable, plus fins qu’en Afghanistan, alliés aux variations de températures entre le jour et la nuit, posent problème en ce qui concerne les missiles, s’ils ne sont pas stockés dans leurs containeurs logistiques de protection.  Mais posés tels quels sur un dépôt d’alerte, les membranes avant et arrière finissent par jouer, car elles rentrent à l’intérieur du tube avec la chaleur sèche et ressortent la nuit en se gonflant avec la fraîcheur. A force de faire ce mouvement de va et vient, la membrane perd de son efficacité et laisse entrer du sable, ce qui, lors d’un tir, peut poser problème. Pour les munitions sensibles à la chaleur, nous disposons de moyens de protection de première urgence, à savoir les filets anti-chaleur qui permettent une variante de dix degrés par rapport aux températures extérieures. Une autre solution consiste comme en Afghanistan à ensabler nos KC munitions ou à les enterrer en les recouvrant avec du bois et de la terre. Les GBU n’enregistrent pas de perte, mais ont en revanche besoin, ainsi que leurs sous-ensembles, d’un KC20 climatisé pour passer aux bancs de test, lesquels ne résistent pas à la chaleur et ne fournissent pas de données fiables par forte température.

“Lors de ces visites de reversement,  soit on sort un produit apte à être remis dans un magasin et dans  le circuit  de délivrance, soit il faut donc détruire les  munitions non qualifiées.”

Lors de ces visites de reversement,  soit on sort un produit apte à être remis dans un magasin et dans  le circuit  de délivrance, soit il faut donc détruire les  munitions non qualifiées. Ici, nous disposons d’un terrain de destruction situé à une quarantaine de kilomètres de Bamako. Nous sommes des artificiers et le SIMu donne son accord pour un tel processus. Sur un reversement cartoucherie de GTIA, 70 à 75 % des munitions sont détruites, dans la mesure où les munitions qu’un combattant porte sur son FAMAS et ses chargeurs ont été déconditionnées de leur emballage d’origine. J’ai environ un million de 5.56 F1A réparties sur une quarantaine de lots, et lorsque les unités des différents GTIA se croisent, les munitions sont mélangées pour des raisons d’entraide naturelle. C’est pour cette raison que ces visites sont très importantes afin de sécuriser le personnel : tout est reversé de façon à ce qu’il n’y ait pas de munitions critiques et pour éviter les accidents de tir ultérieurement. En ce qui concerne la destruction des munitions, les artificiers du SIMu ne gèrent ici que celles de l’armée de terre et de l’armée de l’air que nous connaissons, ainsi que le matériel d’emploi  (les munitions étrangères sont prises en charge par le Génie d’Anger qui a reçu une formation adéquate). Pour effectuer ces destructions, nous procédons par fourneau : lors de la première destruction, le sol était si dur qu’en l’absence de moyens suffisants pour le creuser, nous avons fait un premier fourneau de surface créant ainsi le premier trou.  Au fur et à mesure des mandats, il y aura plusieurs trous et il sera dès lors possible de constituer deux, trois ou quatre fourneaux pour les destructions de munitions.

Quelle a été la réactivité de la chaîne SIMu au plus fort de Serval ?

Nous n’avons pas  rencontré de gros soucis. Les forces transmettent les informations relatives à l’état de leur stock munitions et l’AISM surveille que le stock ne tombe pas dans sa limite critique, sinon il faut commencer à recompléter. L’AISM fait alors sa demande au CICLO et au SIMu. Il est clair que nous avons été suivis de près par Paris, car les munitions nous sont parvenues très rapidement. Au moment des combats les plus intenses, les munitions pouvaient arriver suite à une commande dans la semaine. Nous avons travaillé dans l’urgence et le moindre avion qui décollait partait avec des munitions. De jour comme de nuit, dès qu’un avion se posait, une équipe en alerte partait récupérer les munitions pour armer notre dépôt, car nous ne pouvions pas nous permettre de laisser le chargement sur le tarmac. Maintenant que les opérations sont ralenties, il faut compter huit semaines entre le moment où la commande est lancée et celui où elle arrive. Les munitions de l’armée de l’air sont également venues par la chaîne du CSFA (Commandement du soutien des forces aériennes) basé à Mérignac et avec lequel nous travaillons en étroite corrélation.  Le SIMu est constitué de Terriens, de Marins et d’Aviateurs. Au Mali, nous sommes une grande majorité de Terriens et quelques Aviateurs. Les méthodes sont différentes, car les munitions sont différentes, mais nous avons pour la première fois mis en commun nos savoir-faire dans le cadre d’une opération de projection réelle.

SIMu : une fertilisation croisée réussie

Fraîchement arrivé de Solenzara dont le dépôt munition est déployé à 30%, l’adjudant F. est l’un des deux « Pétafs » issus du CSFA venus en renfort dans le cadre du SIMu pour prêter main forte à l’équipe en place. De son point de vue, l’expérience d’Harmattan, au cours de laquelle « c’était 24h sur 24 et les avions décollaient au fur et à mesure », l’a bien préparé à un théâtre où «tout est à mettre en place et où l’on change de dimension ». Analyse comparative de l’« avant-après SIMu »…

«C’est la première fois que nous arrivons sur un théâtre d’opération avec les armuriers de l’armée de terre : je suis de fait l’un des premiers armuriers de l’armée de l’air à rejoindre ces derniers au titre du SIMu pour créer un seul corps.  Nous sommes deux actuellement sur le théâtre malien, avec un Sergent parti à Gao pour quatre mois pour aider au reversement du GTIA. Nous sommes tous des militaires dans l’âme, et même si nos cultures respectives entre Terriens et Aviateurs diffèrent à la base, la transmission et la mise en commun de nos savoir-faire se passent très bien. Les principales différences sont au niveau gestion, en ce sens que les gestions spécifiques à chaque armée ont fusionné en un seul système interarmées SIMU (le GTSM2). Ce système est en train de se mettre en place sur toutes les bases aériennes et nous sommes en train de l’approprier. Côté terrain, les munitions à embarquer diffèrent : l’armée de l’air gère traditionnellement les bombes et les leurres, l’armée de terre des obus et de l’artillerie, mais ces derniers deviennent notre cœur de métier également, car nous procédons par transfert d’information et non par répartition des tâches en fonction des munitions. J’ai montré comment procéder à  l’assemblage des bombes, mais j’ai découvert de nouvelles munitions que je n’avais jamais vues. Tout cela s’apprend vite et nous avons la documentation disponible. Ce qui est intéressant est que notre savoir-faire de part et d’autre s’élargit : nous croisons les données et nous améliorons en conséquence. L’idéal est de conserver cette double culture pour ne pas perdre notre énorme savoir-faire sur avion. Je suis armurier sur Mirage 2000 et je suis capable d’aller en cabine, de faire des tests, d’assembler les munitions, de faire les correspondances avec les avions. Ceci est vrai pour n’importe quel type d’aéronef (hélicoptère ou autre). Il faut prendre garde de ne pas perdre cela avec le SIMu. Ce serait aussi une perte pour l’Armée de l’air, d’autant que nous ne voudrions pas perdre notre culture avion. Ne pas assembler les bombes sur les avions que nous voyons à côté nous manque. En passant SIMu par contre, les horizons s’ouvrent : c’est un énorme avantage, car si nous étions un peu cloisonnés auparavant,  nous nous retrouvons tout d’un coup appelés partout et le travail devient de plus en plus intéressant. J’étais très enthousiaste pour venir, car le Mali est un vrai théâtre …

1) Voir : Entretien avec le général Ovaere, DCSIMu, Soutien Logistique Défense numéro 5,Printemps-Eté 2011.

Crédits photos © EMA / ECPAD