Le service de santé des armées français a fêté ses trois cents ans en 2008. C’est l’un des plus anciens parmi les services de santé des armées du monde, consacré par l’édit royal de 1708 qui a « porté création de médecins et chirurgiens inspecteurs généraux, chirurgiens majors des camps et armées, médecins et chirurgiens majors des hôpitaux des villes et places de guerre, et des armées de terre » (1). Cet acte a été symboliquement désigné comme l’acte fondateur du Service car il représente la reconnaissance officielle des devoirs de l’Etat envers ses soldats. Pour atteindre cette consécration, le soutien santé des forces armées s’est construit progressivement, de manière souvent chaotique, depuis l’Antiquité.

Ainsi, les millénaires qui ont précédé la formalisation d’une organisation santé des forces sont aussi extrêmement riches en enseignements pour les acteurs militaires confrontés aux conflits modernes.

De nombreux ouvrages ont été consacrés à l’histoire du soutien santé des armées et à celle du service de santé des armées français en particulier. Ces approches historiques ont abordé les aspects techniques (2) ou organisationnels du soutien, à travers les grandes batailles, offrant aux lecteurs actuels de très précieux retours d’expériences. Ces deux angles d’approche sont essentiels et c’est naturellement sur eux que reposent l’efficacité, la cohérence et l’efficience des services de santé des armées dans le monde.

Cependant, il reste un point qui a été peu exploré, il s’agit de la place que le domaine santé a tenue, et tient aujourd’hui, dans la pensée des chefs militaires. On peut s’interroger sur la raison de cette absence, est-ce un oubli, une omission ou bien un désintérêt pour le partenariat santé/armées? L’histoire témoigne d’un fait d’évidence qui est que la guerre et la médecine ont coexisté, à travers les siècles, dans des rapports ambigus et cycliques.

Pourtant, tout était réuni, dès le début des guerres « civilisées » pour que l’appariement guerre-médecine s’installe durablement. En effet, comme l’a écrit le Médecin Général des Armées Bernard Lafont (3) : « la pérennité de la guerre dans l’histoire de l’humanité engendre un lien particulier entre les nations et leurs soldats. L’attention que la communauté porte à leur protection, à leur soutien, à la qualité des soins qui leurs sont prodigués, et, le cas échéant à leur retour en son sein, traduit le niveau de reconnaissance qu’elle accorde à leurs sacrifices » (4). Dans ces conditions, la place du domaine médical, dans la pratique guerrière et dans l’art du commandement, a été fortement influencée par les techniques de chaque époque et le prix attaché à la vie des autres ou en substance la place de l’homme dans la société qu’il défend.

La démarche tentée, ici, est donc de comprendre pourquoi il y a eu tant de variations dans les relations du duo santé/armées et de démontrer toute la complémentarité potentielle des deux domaines. La nouvelle typologie des conflits, corrélée à l’évolution globale, exige que la stratégie militaire évolue, notamment dans le domaine du facteur humain. C’est pourquoi, la place du domaine médical dans la pensée militaire, appelée ici « médicostratégie », doit être définie. Cette appellation a été choisie par analogie avec le terme de Géostratégie, et dans une moindre mesure avec ceux de topostratégie, morphostratégie, physiostratégie, ou encore météostratégie, même si ce sont des facteurs statiques alors que la médecine ne l’est pas, employés par Hervé Coutau-Bégarie dans son Traité de stratégie. La médicostratégie signifie donc que le domaine santé militaire a une dimension stratégique, de valeur constante dans l’histoire. Cette dernière n’a pas toujours été exploitée mais trouve son élan dans l’époque moderne. L’objectif de cette étude est que les décideurs militaires intègrent la médicostratégie dans la théorisation de la pensée militaire, et que les dirigeants des services de santé donnent au domaine santé la dimension militaire nécessaire pour son exploitation dans la stratégie générale. Le partenariat est, à présent, parvenu à maturité, il est donc apparu nécessaire d’étudier son passé pour mieux conduire son avenir.

Médecin en chef Valérie DENUX

  1. Edit du ROY, donné à Versailles au mois de janvier 1708, enregistré au parlement le 22 mars 1708.
  2. Les aspects techniques concernent tous les éléments se rapportant à la pratique médicale.
  3. Directeur central du service de santé des armées du 1er octobre 2005 au 1er octobre 2009.
  4. Bernard Lafont, Editorial : Hier, aujourd’hui, demain…, Médecine et armées, 2008, 36,5, cité p 389.
Crédit photo : Ministère de la Défense