Par Sandra Chenu Godefroy, photoreporter

Source  >> Soutien Logistique Défense  # 10 (Octobre 2013) >>

Commissaire, en tant que chef de service du soutien Opérationnel Spécialisé depuis 2010, vous comptez parmi vos unités, la Brigade Fluviale de la Direction Opérationnelle des Services Techniques et Logistiques (Préfecture de Police), pouvez-vous nous la présenter ?

Historiquement, la brigade fluviale existe depuis 1900. Créée par le Préfet Louis Lépine à l’occasion de l’exposition universelle, elle a connu depuis de nombreuses évolutions. A l’origine municipale, elle a été modernisée et pérennisée suite à la grande crue de 1910. Depuis 1991, elle est située au quai Saint Bernard, sur des pontons flottants en plein cœur de Paris, et, depuis la création du Grand Paris en 2009, l’unité a pour zone de compétence territoriale l’ensemble de la région Île de France. La brigade fluviale est constituée d’une centaine de fonctionnaires, plongeurs, pilotes, secouristes. Elle a été renforcée au cours de l’année 2010 par de nouveaux personnels de façon à accompagner l’extension de son ressort territorial de compétence, ainsi que la densification du trafic fluvial en Seine : Paris est aujourd’hui le premier port touristique au monde. Elle a pour missions de veiller au respect de la réglementation à la navigation fluviale et d’assurer le secours en Seine, mais en tant qu’unité spécialisée de police, elle apporte aussi un appui subaquatique et une expertise lors d’investigations judiciaires au profit d’autres unités.

Votre unité concentre la majorité des plongeurs de la Police Nationale, comment sont organisés le recrutement et la formation de vos personnels ?

Le recrutement est spécifique, il fait l’objet de tests physiques (nage capelée, apnée, …), d’épreuves théoriques et d’un entretien avec un jury de sélection, nous recherchons avant tout des policiers très motivés, professionnels et en bonne forme physique que nous formons ensuite à la plongée. En moyenne un fonctionnaire est initialement formé à la réglementation fluviale, au pilotage de bateau, au secourisme et à l’usage du sonar, puis il devient un plongeur pleinement opérationnel après environ deux ans à la BF. Le cursus de formation à la plongée est en cours de réorganisation. Les plongeurs de la Brigade Fluviale peuvent être formés au Centre National d’Instruction Nautique de la Gendarmerie (CNING) à Antibes et, depuis peu, au sein de la structure du Centre International de Plongée (CIP) de Bendor, où des moniteurs de la BF dispensent une formation commune avec des moniteurs de la DCCRS. Les plongeurs de la brigade obtiennent leur qualification indifféremment au sein de la structure du CIP de Bendor ou du CNING, le contenu de formation proposé par ces deux centres correspondant aux besoins de la brigade fluviale. En termes de formation secondaire, nous développons la capacité de police technique subaquatique. A l’image du stage TIS (Technicien d’Investigation Subaquatique) que la gendarmerie propose pour le milieu maritime nous développons de notre côté une formation spécifique à l’activité fluviale et aux eaux intérieures. Cette formation est actuellement en cours d’élaboration en collaboration avec les services de l’Identité Judiciaire de la Préfecture de Police (IJPP) de façon à établir des protocoles de premières constatations, prises de photos, prélèvements et préservation des traces et indices qui soient adaptés au milieu fluvial et aux besoins des services judiciaires. La capacité de plongée en surface non libre (SNL) est aussi à l’étude, au regard de missions de terrain qui se sont dernièrement présentées (bus immergé en Seine). Une formation expérimentale a récemment été organisée en province  au sein d’un club de spéléologie. Dans le cas d’une situation nécessitant un plongeur SNL, nous travaillons en coopération avec la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris qui dispose de personnels formés à ces techniques.

La Brigade fluviale de Paris « a pour mission de veiller au respect de la réglementation à la navigation fluviale et d’assurer le secours en Seine mais en tant qu’unité spécialisée de police, elle apporte aussi un appui subaquatique et une expertise lors d’investigations judiciaires au profit d’autres unités. Unité fluviale, quels sont les quels moyens spécifiques de la brigade pour pouvoir accomplir ses missions ?

La brigade bénéficie d’un parc de quinze unités nautiques de trois types différents : des bateaux pneumatiques rapides pour les missions d’intervention et de secours, des vedettes coque aluminium pour les patrouilles et la police générale, et enfin le remorqueur Île de France, tête de proue de la flottille fluviale. Ce remorqueur multifonctions acheté en 1998 par la Préfecture de Police est un bâtiment unique en son genre : il s’agit d’un remorqueur de port dont la tourelle a été coupée et la structure aplatie de façon à pouvoir passer sous les ponts de Paris. Un fonctionnaire de la BF qui avait des compétences en terme de chantier naval, Jean Claude Vincent, a participé au tracé de ses plans de façon à ce que celui-ci soit parfaitement adapté aux besoins de l’unité : outre sa propulsion de type Voiht qui lui assure une excellente maniabilité à 360° et lui permet de remplir les missions « classiques » d’un remorqueur-pousseur, sa grue lui permet de relever des véhicules immergés, tandis que de puissantes pompes d’aspiration et une lance incendie permettent d’intervenir en cas de sinistre sur un bateau (ou éventuellement dans un contexte de maintien de l’ordre). Un tel bateau nécessite d’avoir reçu une formation spécifique pour être apte à le piloter, ce qui est le cas de 30% des effectifs de la BF, de façon à pouvoir s’en servir 24h/24. La brigade est équipée depuis mars 2009 d’un sonar de recherche à balayage latéral, ce qui a permis au cours des trois années suivantes de dresser un état des lieux des fonds en Seine et en Marne, d’inventorier les 360 véhicules immergés et de procéder au relevage de 77 d’entre eux qui présentaient un danger pour la navigation. Outre cette fonction de cartographie du fleuve, le sonar est intégré depuis 2011 dans le protocole de secours des victimes à l’eau dans Paris ; il est également mis en œuvre dans le cadre de missions de police technique et scientifique subaquatique et d’assistance judiciaire en région Ile de France, et théoriquement dans la France entière sur accord de Monsieur le Préfet de Police. Depuis 2013, deux nouveaux sonars équipent la Brigade Fluviale. Le bateau pneumatique d’intervention rapide, le Cronos, conçu avant tout pour les interventions urgentes et de secours, possède en plus de son importante motorisation (2×150 chevaux), un boudin latéral escamotable qui permet de sortir de l’eau une victime sans lui endommager le rachis et d’extirper du fleuve un individu récalcitrant au cours d’une intervention de police. Une seconde unité nautique de même type vient de compléter le parc nautique, et est actuellement en cours d’immatriculation.

Les missions de police judiciaire sont au cœur de l’activité de l’unité, comment celle-ci a s’organise t-elle pour y répondre ?

La brigade fluviale s’est dotée d’une Unité Judiciaire d’Enquête et de Coordination sur le modèle d’un système qui a fait ses preuves en commissariat : tandis que la brigade de roulement « police-secours », patrouille, constate des infractions et intervient, la cellule judiciaire, quant à elle, prend la suite, traite, entend les auteurs d’infraction à la navigation et transmet les procédures. Ce choix de la spécialisation de certains fonctionnaires dans les procédures permet de maintenir la présence des patrouilles sur la voie publique, là où elles sont visibles et peuvent intervenir rapidement. Cette cellule rassemble trois policiers Officiers de Police Judiciaire (OPJ), lesquels sont spécialisés dans le traitement des procédures. Quand il s’agit de police générale, celles-ci sont initiées puis transmises aux commissariats locaux compétents et quand celles-ci tiennent de la réglementation à la navigation fluviale ou aux pollutions des eaux, elles sont traitées de bout en bout par l’unité. Il n’est pas nécessaire d’être habilité OPJ pour entrer à la brigade fluviale. Nous présentons chaque année des policiers à cette qualification de façon à augmenter le nombre d’OPJ au sein de l’unité pour assurer une présence 24h/24. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. Même si des OPJ sont également affectés en brigade de voie publique, il nous arrive de saisir l’OPJ territorialement compétent.

La brigade fluviale est un des acteurs du fleuve et de la sécurité parisienne, quelle coopération existe-t-il avec les autres services d’état, les pompiers, les gendarmes ? Quelle est l’intégration de la BFPP au sein de la zone de défense ?

La Brigade fluviale travaille en permanence avec les services du fleuve, Voies Navigables de France, Direction Régionale et Interdépartementale de l’Equipement et de l’Aménagement d’Ile de France (ex Service de Navigation de la Seine), Port de Paris. Une collaboration dans les deux sens faite d’information et de prévention, la brigade informe VNF de la présence de hauts fonds repérés par le sonar et elle intervient à son profit lors de décrochages malveillants de barges susceptibles de nuire à la circulation du fleuve. En tant qu’unité de police, bien que spécialisée, l’unité est amenée à travailler avec tous les autres services de police, depuis la Sécurité Publique lors d’opérations conjointes de sécurisation du pont des Arts jusqu’à la Direction du Renseignement de la Préfecture de Police dans le cadre d’une opération de lutte contre le travail clandestin, en passant par de régulières assistances à la Police Judiciaire quand il s’agit de rechercher des armes jetées à l’eau. Des opérations sont ponctuellement menées  en assistance des Douanes, qui sont les seules à connaître réellement le contenu de la cargaison des bateaux, mais pour lesquelles la brigade peut servir de vecteur nautique. Deux unités sont à Paris chargées du secours en Seine :  la brigade fluviale – qui à l’origine a été créée à cet effet – et la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris. La règle de collaboration de ces deux services est simple : à la réception d’un appel de secours, l’unité fait partir son bateau et appelle le standard de l’autre unité pour faire déplacer une deuxième équipe de secouristes. Policiers ou pompiers, ce qui compte pour la victime est d’être sauvée. Le plus important est donc qu’il y ait le plus rapidement une unité sur place : lorsque la brigade fluviale est la première arrivée sur place, elle prend les premières mesures et la victime est ensuite traitée par un véhicule terrestre de la BSPP. L’accident de l’Alcyone en 2008 (une vedette de plaisance éperonnée par un bateau à passagers coûtant la vie de deux personnes) ainsi que des événements ultérieurs de moindre ampleur, ont été déclencheurs d’une réflexion profonde sur l’organisation des protocoles de secours en Seine et de la coopération entre unités. Cette réflexion a abouti depuis 2011 à l’organisation trimestrielle d’un exercice de secours commun auquel participent policiers et pompiers. Avec des scénarios différents à chaque fois, le but de ces exercices est de nous permettre de mieux connaître nos protocoles respectifs pour arriver à mieux se compléter et amener récemment à la mise en place d’un protocole commun d’intervention. Nous partageons par ailleurs une partie de notre zone de compétence, la région Île de France (hors Paris), avec les gendarmes de la Brigade Fluviale de Conflans-Sainte-Honorine (78), leur zone de travail étant très étendue, leurs activités sont plus spécialisées (contrôle de containers à la recherche de déchets toxiques, par exemple). Un lien peut exister entre certains de ces plongeurs policiers et gendarmes qui ont été formés à la plongée ensemble au CNING, mais, d’une manière générale, le travail en coopération, même s’il existe, est peu fréquent. Avec plusieurs centaines de kilomètres de voies d’eau navigables à couvrir, le partage des missions fluviales se fait sans difficultés en fonction des habitudes des services requérant une assistance. Les usagers du fleuve eux aussi, sont en lien avec la BF, la brigade est toujours à l’écoute de la VHF et en cas de besoin, bateliers et éclusiers contactent l’unité par fil ou par radio. Comme tout autre service de police dans sa spécialité, la Brigade fluviale est intégrée à la Zone de Défense parisienne. A ce titre elle est associée aux réunions dans le cadre du plan de prévention des crues  notamment, avec pour missions principales la vigilance lors de la montée de la Seine et l’assistance aux habitants du fleuve.

Quelle évolution pour la brigade fluviale dans un contexte d’augmentation régulière de la navigation fluviale, mais de contraintes budgétaires sérieuses ?

La DOSTL est vigilante à la fois en matière de maîtrise des dépenses publiques, mais également de maintien d’une brigade fluviale opérationnelle. Cela engage l’unité à chercher des axes d’économie, que ce soit en termes d’achats responsables comme de gestion rationnelle de consommables. Le format actuel de la brigade est préservé, les effectifs sont maintenus, ainsi que les deux implantations de la fluviale, qui dispose, en plus de son implantation principale parisienne, d’un poste délocalisé à Joinville-le Pont (94) pour faciliter ses missions dans l’Est parisien. Il existe un projet d’ouvrir un second poste délocalisé à l’Ouest de Paris, pour permettre de travailler plus facilement en grande couronne Ouest et pour accompagner la montée en puissance du trafic fluvial dans cette zone en prévision de la construction du canal Seine Nord Europe. Ce chantier est mis en attente de meilleures perspectives budgétaires.