Crédits photos © Murielle Delaporte

Le Lieutenant-Colonel Fontaine est l’un des trois officiers logisticiens français insérés au sein d’ACT, où il va commencer sa quatrième année comme adjoint de la section Déploiement au sein de branche logistique après avoir quitté le 519e Régiment du Train (519e RT) de La Rochelle restructuré, depuis, à Toulon sous la forme d’une unité interarmées, le 519e Groupe de Transit Maritime (519e GTM). Son poste, créé à son arrivée en 2011, l’a conduit en particulier à développer un cours sur le Mouvement, une spécialité qui n’existait pas auparavant dans le cursus d’enseignement logistique de l’OTAN, mais également à promouvoir la pensée logistique de niveau stratégique par l’organisation d’un forum international semestriel – le Movement & Transportation Forum – , ainsi que le développement doctrinal logistique de l’Alliance. Les expériences récentes, notamment en Afghanistan, ont mis en avant la nécessité et la possibilité de mettre en commun certaines ressources et concepts dans un domaine en pleine mutation.

Déchiffrer l’environnement logistique de l’OTAN

L’OTAN comprend deux états-majors stratégiques : ACO (Allied Command Opera- tions) situé à Mons (Belgique) et ACT (Allied Command Transformation) situé à Norfolk (USA). Tandis que le premier se focalise sur les opérations actuelles, le second envisage celles-ci sous un angle prospectif portant sur les vingt-trente prochaines années .A ACT, la logistique est intégrée dans le directorat « développement capacitaire » (Capability Development Directorate) au sein d’une branche (Logistics Deployment & Sustainment, LD&S) composée depuis deux ans de deux sections comprenant chacune de 6 à 8 officiers : « Deployment » en charge des dossiers mouvement de niveau stratégique et « Sustainment » pour le volet soutien. La logistique OTAN fonctionne essentiellement par la complexe interaction d’une myriade de comités et de sous-comités. Les décisions majeures de ce niveau sont prises au sein du Comité Logistique basé à Bruxelles, dont dépendent trois sous-comités (pétrole, logis- tique et mouvement et transport) qui se réunissent eux aussi au siège de l’OTAN.

En juillet 2013, SACT a défini quatre grandes priorités : la Connected Forces Initiative (CFI), le développement capacitaire, la coopération et le renforcement du lien transatlantique. Pour le domaine logistique, les orientations à terme devraient tendre vers un allègement de l’empreinte logistique terrestre, un rééquilibrage capacitaire entre l’Europe et les Etats-Unis et une meilleure interopérabilité en particulier au niveau opératif en termes de réseaux (les systèmes d’information logistiques nationaux devant interagir avec le futur réseau OTAN LOG FS), mais aussi de procédures (« déconfliction » logistique de niveau théâtre entre les capacités de soutien offertes par les nations contributrices opérée notamment par le Joint Logistic Support Group (JLSG)). Paradoxalement, la période durable de restrictions budgétaires traversée par les états membres de l’Alliance devrait à terme préparer les esprits à l’idée de l’opportunité d’une mutualisation capacitaire consentie et maîtrisée, également sur le plan logistique, domaine traditionnellement plutôt rétif au partage : c’est tout l’intérêt de l’initiative « Smart Defense » portée par SACT.

Un des défis capacitaires de l’Alliance concerne les transports stratégiques : acheminer les troupes – mais aussi les matériels, les moyens de communication et les PC – d’une coalition de l’OTAN vers un théâtre d’opération lointain a été le grand défi de la réforme opérée par l’Alliance au cours de la dernière décennie, offrant un outil – la NATO Response Force (NRF) – plus modulaire et plus projetable qu’auparavant. Le désengagement du théâtre afghan des cinquante nations contributrices de l’opération ISAF, après plus de dix ans de déploiement, invite désormais à considérer comment appréhender les enjeux du désengagement dès la phase de planification du déploiement d’une future opération, ce qui n’est pas sans incidences doctrinales. Se dessine par ailleurs pour les an- nées à venir le défi – en termes de capacités de transports stratégiques, mais aussi de mécanismes financiers – du déploiement des troupes, matériels et PC de l’Alliance pour les exercices majeurs de l’OTAN dont ACT a désormais la responsabilité.

L’EATC (European Air Transport Command) et le MCCE (Movement Coordination Centre Europe) – tous les deux basés à Eindhoven – mais aussi la reconduction des accords SALIS pour une ou deux années supplémentaires, l’arrivée de 80 Antonov supplémen- taires sur le marché international, les C17 et l’A400M auront tous leur part à jouer dans la recherche des meilleures solutions capacitaires qui ne sauraient se limiter aux capacités propres des membres de l’Alliance.

Défricher la logistique otanienne de demain

Le Comité Logistique a développé un plan d’action logistique définissant les directives logistiques majeures de l’Alliance pour la décennie à venir : le « NATO Logistics Visions & Objectives (V&O) 2013-2022 » Ce document, combiné aux retours d’expérience (Retex) des opérations récentes de l’Alliance, confirme le rôle majeur assumé par ACT dans le domaine logistique sur un triple plan : doctrinal, formation et interopérabilité.

• Sur le plan doctrinal

ACT est responsable de la coordination et de la cohérence de la production doctrinale interarmées de niveau théâtre, en liaison avec les nations qui se sont portées volontaires pour la rédaction et la mise à jour d’un ou plusieurs document(s) (Allied Joint Publications, AJPs). Pour la logistique, la production doctrinale n’est pas déléguée à une Nation. ACT assure le développement doctrinal de toute la série logistique des publications interarmées (AJP de série 4). Cette singularité permet à ACT de garantir la pleine cohérence entre les seize fonctions logistiques de l’Alliance. Je suis ainsi responsable (« custodian » dans le jar- gon doctrinal) du développement de trois publications doctrinales (l’AJP-4.4 sur le Mouvement, l’AJP-3.13 sur le Déploiement, l’ATP-3.13.1 sur l’entrée de théâtre (Reception, Staging, Onward Movement, RSOM) et coresponsable du développement d’une nouvelle doctrine de l’Alliance sur le Redéploiement.

Par le volume de flux logistiques qu’il im- plique sur un espace géographique et temporel limités – soit, pour la seule année 2013, 45 000 hommes, 27 000 véhicules et 25 000 matériels -, le désengagement de l’Alliance du théâtre afghan confirme le rôle essentiel joué par les planificateurs en charge de la priorisation, de la déconfliction et du séquençage du redéploiement afin d’éviter tout engorgement en sortie de théâtre. Fort de cette expérience unique dans l’histoire logistique de l’Alliance, notre rôle à ACT est de traduire cet acquis multinational en une doctrine qui servira de référence standardisée pour le redéploiement des futures opérations de l’OTAN. Seuls trois pays disposent en effet d’une doctrine sur le redéploiement : deux depuis 2007 – les Etats-Unis (US Joint Publication 35 qui nous a servi d’ossature pour ce document) et le Royaume-Uni (UK Joint Doctrine Publication 4-00) – et la France qui a publié en novembre 2013 la doctrine interarmées Désengagement (DIA-4.2.1) dans laquelle le Centre interarmées de concepts, de doc- trines et d’expérimentations (CICDE) intègre certains Retex de l’opération Serval. Les pays membres de l’Alliance tendent à se calquer de façon croissante sur les publications de l’OTAN, soit parce qu’elles n’ont pas de doctrine nationale, soit par souci d’interopérabilité comme le font les plus grands pays. C’est le cas de la France dont le CICDE a opté pour une structure doctrinale nationale en miroir des documents OTAN.

 

ACT est responsable de la coordination et de la cohérence de la production doctrinale interarmées de niveau théâtre, en liaison avec les nations.

 

• Sur le plan de la formation

Notre branche est chargée de la formation logistique de l’Alliance pour toutes les fonctions logistiques. In fine, chaque cours est prodigué une à deux fois par an en Allemagne, à l’école de l’OTAN d’Obrammergau. Il incombe à chaque nation d’inculquer le socle de connaissance minimal requis en matière logistique avant d’envoyer ses officiers sur des postes logistiques au sein de l’Alliance. De manière schématique, on évalue ce socle de fondamentaux au niveau 100. A partir de cela, une échelle de niveaux de connaissances classe les différents cours prodigués ensuite par l’OTAN en fonction du degré de connaissance requis par le poste à tenir. En 2011, notre section a créé un nouveau cours répondant à un besoin de planification : disposer d’opérateurs et d’officiers sachant planifier les vecteurs de transport multimodaux pour une opération multinationale de l’OTAN [ndlr : mission remplie par le Centre multimodal des transports – CMT1 – en France]. Ce « Movement Course » en est à sa septième édition et est constamment révisé afin de répondre parfaitement aux besoins de l’Alliance.

ACT dispose également d’une école en Italie (Latina), laquelle va basculer au Portugal suite à la dernière réforme décidée par l’OTAN. Cette école forme des opérateurs à la maîtrise des logiciels de planification logistique utilisés pour les planifications OTAN. Pour la partie mouvement, les logiciels ADAMS (niveau stratégique) et EVE (niveau tactique) permettent de faciliter la planification du déploiement d’une force multinationale de plusieurs milliers d’hommes et de matériels issus des différentes nations contribuant à une coalition. Sur un plan plus général, le logiciel LOGFAS est actuellement en pleine refonte, de façon, d’une part, à offrir une visibilité logistique correspondant aux besoin du commandeur d’un théâtre, et, d’autre part, à permettre la connexion des différents Système d’information logistique (SIL) nationaux avec ce nouveau système.

Training for logistics cooperation in Slovakia

Crédits photos © NATO / Exercice Capable Logistician

• Sur le plan de l’interopérabilité

SACT a défini la Connected Forces Initiative (CFI) comme la priorité majeure pour ACT, en vue de maintenir et même de renforcer la capacité des membres de l’Alliance à travailler ensemble une fois le mandat afghan terminé. Obtenir des forces pleinement « connectées » passera par un entraînement accru des unités se préparant à la NRF. Sur le plan logistique, cet effort se traduit essentiellement sur l’entrée de théâtre où se situent notamment trois « pièces » maîtresses de l’échiquier : le SPOD (Sea-Port of Debarkation) point d’entrée logistique maritime du théâtre permettant les flux logistiques pondéreux (chars, véhicules, munitions, matériels) ; l’APOD (Air Port of Debarkation) point d’entrée logistique aérien du théâtre par où transite essentiellement le person- nel des unités déployées ; le JLSG (Joint Logistics Support Group) enfin, c’est-à-dire l’Etat-major qui va « déconflicter » les besoins logistiques du théâtre au regard des capacités détenues par les différentes chaînes logistiques nationales qui partagent la responsabilité collective.

C’est sur ce segment de l’entrée de théâtre que l’initiative « Smart Defense » portée par SACT se révèle particulièrement intéressante et opportune. Le projet Theater Opening Capability (TOC) – développé par les quatre nations du Quadrilateral Logistics Forum (QLF) (le Royaume-Uni qui est le pays leader du projet, le Canada, les Etats-Unis et l’Australie) et la France – propose une vision novatrice de la façon de déployer les deux premières pièces maîtresse de l’entrée de théâtre. Jusqu’à présent, chaque génération de force consistait à définir un an à l’avance quelle nation allait fournir l’APOD et le SPOD du prochain tour d’alerte NRF. La grande nouveauté est la recherche d’une solution TOC multinationale. Ceci correspond de fait à planifier la mise en alerte d’un APOD et d’un SPOD multinationaux de façon à alléger le partage du fardeau (burdensharing) entre les pays contributeurs. Peu de nations sont capables de déployer un APOD et un SPOD complets comme le Royaume-Uni, le Canada, les Etats-Unis ou la France. C’est donc autour de ces « Lead Nations », destinées à fournir à tour de rôle le noyau de ces unités multinationales, que viendront s’agréger les capacités complémentaires des « Participating Nations ». Cette association pays leader/pays contributeurs se concrétisera dès 2016 pour le TOC APOD, tandis que le développement du TOC SPOD débutera en 2015.

La France, en raison de son expérience en matière de déploiement et au titre des accords de Lancaster instituant la capacité à déployer une force expéditionnaire franco-britannique de 16 000 hommes en 2016 (la CJEF ou Combined Joint Expeditionary Force), a un rôle majeur à jouer dans ce projet dirigé par le Royaume-Uni. L’exercice Trident Juncture 2015 organisé par ACT offrira ainsi une opportunité unique de tester sur le terrain un premier TOC APOD multinational en vue de la certification de ce premier module aérien. Concernant le module maritime, dont l’étude ne devrait débuter qu’en 2016, des réflexions sont en cours pour envisager également le déploiement d’un noyau de SPOD franco-britannique qui préfigurerait les travaux à mener ensuite pour développer un TOC SPOD multinational. La 104th Logistics Brigade (brigade d’entrée de théâtre britannique) a d’ores et déjà manifesté son intérêt pour que le 17th Port & Maritime Regiment britannique opère avec son équivalent français le 519e GTM de Toulon des opérations portuaires de déchargement de navire (Roro ou autre) coordonnées depuis un Centre d’Opérations conjoint.

Propos recueillis par Murielle Delaporte.

Article paru dans le magazine Opérationnels SLDS numéro 19 – Printemps 2014 : 

Magazine 19