Propos recueillis par Quentin Michaud – L’Organisation des Nations Unies (ONU) a débuté des négociations pour ouvrir le dialogue sur la situation en Libye.

Depuis plusieurs semaines, différents acteurs se mobilisent activement pour tenter de trouver une solution à la dégradation de la situation sécuritaire en Libye, pays aujourd’hui qui vit un chaos sans précédent. L’émissaire de l’ONU pour la Libye, Bernardino Leon, réunit ainsi depuis deux jours différentes parties de la communauté internationale à Genève, afin d’engager une réelle mobilisation afin de tenter de former un gouvernement de transition nationale.

En effet, les groupes islamistes chassés du Nord-Mali se sont réfugiés en partie en Libye. Certains chefs dont Mokthar Belmokthar ont été aperçus à plusieurs reprises en territoire libyen. Des armes repérées en Libye ont été ensuite retrouvées dans le nord du Mali où les groupes djihadistes poursuivent des actions éparses à l’encontre des forces maliennes, françaises et onusiennes.

Le gouvernement libyen reconnu par la communauté internationale et réfugié à Tobrouk a appelé la Ligue arabe à lui fournir des armes pour combattre les différents groupes djihadistes implantés dans les villes clefs libyennes, comme Tripoli et Benghazi. C’est un combat que mène le général Haftar tentant de reprendre depuis plusieurs mois la ville de la péninsule de Cyrénaïque. Le 20 décembre 2014, c’est le G5 des pays du Sahel qui demandé à la communauté internationale, réunie autour de l’ONU, d’intervenir en Libye. Le sud Libyen est effectivement une zone de passage pour les groupes djihadistes.

Maryline Dumas est une des rares journalistes occidentales à travailler encore dans la capitale Libyenne, Tripoli. Nous avons recueilli un témoignage essentiel qui apporte un éclairage de terrain sur la situation actuelle dans le pays.

– Vous êtes une des rares journalistes à être basée en Libye. Quelle est la situation aujourd’hui dans la capitale libyenne ?

La situation est relativement calme. Relativement, car depuis la fin de la révolution en Libye en 2011, le pays n’a jamais était complétement sécurisé. Mais à l’heure actuelle, la situation à Tripoli est équivalente à celle qui régnait avant le début des combats dans la capitale cet été. Concrètement, on peut marcher dans la rue, aller dans les cafés. Mais il y a toujours des tensions entre les différents groupes libyens. Le seul changement, c’est que le pouvoir (au sens de force) n’est plus entre les mêmes mains. Avant les Zintanis contrôlaient la ville, aujourd’hui c’est Fajr Libya. Je note quand même que les opposants à Fajr Libya ont peur, alors qu’auparavant personne ne craignait de donner son opinion, quelle qu’elle soit. Certains ont fuit le pays, les autres ne parlent plus à la presse.

– Régulièrement, des combats sont rapportés dans l’est du pays, en particulier dans la région de Benghazi, entre les forces du général Haftar et les groupes djihadistes. Le statu quo domine-t-il dans cette province ?

On ne peut pas parler de statu quo alors que les combats font rage. Actuellement, les troupes du général Haftar reprennent du terrain à Benghazi. Elles contrôlent l’est de la seconde ville du pays. Mais Ansar al-Charia n’est pas vaincu et campe sur ses positions dans l’ouest de la ville. Ces combats ont débuté en 19 mai lorsque Haftar a lancé son offensive « pour nettoyer Benghazi des terroristes », selon ses propres termes. Il estimait que cela ne prendrait que quelques semaines. Récemment, il a dit qu’il contrôlerait Benghazi. Mais ce n’est toujours pas le cas. La vérité c’est qu’aucune des forces en présence ne s’avouent vaincues. C’est bien le problème de la Libye : il faut un vainqueur et un vaincu pour pouvoir passer à autre chose. On est bien loin de cela.

– Le sud-libyen est régulièrement mis en cause pour être une zone de passage des groupes djihadistes en transit entre le nord du Mali et la région de Benghazi. Quelles sont les informations dont vous disposez sur les acteurs qui agissent dans cette zone désertique ?

Le sud Libyen est effectivement une zone de passage pour les groupes djihadistes. On me disait encore il y a quelques jours que Mokthar Belmokthar avait passé 48h à Mourzouk au début du mois de décembre. Selon des sources Toubou (tribu nomade qui vit, entre autres dans le sud libyen), ces groupes djihadistes ne se contentent plus d’aller à Benghazi, mais vont également en Tripolitaine.

– Quel rôle pourrait jouer les autorités libyennes et surtout les pays limitrophes en cas d’intervention ? 

Quelles autorités libyennes ? Actuellement, on ne peut pas considérer qu’il existe des autorités libyennes. Il y a d’un côté la Chambre des représentants, un parlement élu en juin qui a été invalidé par la cours suprême en novembre. Son gouvernement ne contrôle qu’une partie de l’Est libyen. De l’autre côté, il y a le Congrès, un parlement élu en 2012 contre qui le peuple a manifesté depuis le début de l’année 2014 pour demander son départ. Son gouvernement, qui contrôle une bonne partie de la Libye, n’a pas été élu dans les règles (le Congrès étant incapable de rassembler un quorum).

A titre personnel, je ne pense pas qu’une intervention soit judicieuse. Intervenir voudrait dire choisir un camp. La communauté internationale semble pencher pour Haftar, la Chambre des représentants et leurs alliés Zintanis. Mais ces derniers, lorsqu’ils contrôlaient l’aéroport de Tripoli (aujourd’hui inutilisable) y menaient toutes sortes de trafics (armes, drogues…). Haftar est soutenu par les supporters de l’ancien régime. Les Kadhafistes, exilés en Tunisie ou en Egypte, ne cachent pas qu’ils attendent la victoire d’Haftar pour retourner en Libye. Eux-mêmes sont contre une intervention étrangère.

De l’autre côté, on a des gens qui sont alliés avec Ansar Al-Charia et qui ont pris le pouvoir à Tripoli par la force. Et puis que fait-on après l’intervention ? Se retirer comme en 2011, ce serait recommencer la même erreur. Il y a près de 40 millions d’armes qui se baladent en Libye. C’est 6 armes par habitants ! Se retirer, c’est laisser la place à la vengeance. Car en Libye, si on tue ton cousin, il faut que tu tues le meurtrier. Après six mois de combats, il peut y avoir potentiellement un an de vengeance.  L’occupation étrangère n’est pas non plus une solution. Les Libyens n’accepteront jamais une domination étrangère.

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