(Par Murielle Delaporte -) A bien des égards, la politique américaine qui s’annonce sous Donald Trump s’apparente à un « New Deal » à la Roosevelt avec un état des lieux et une reconstruction attendus tant sur le plan intérieur (infrastructures par exemple) qu’international (refonte de certains accords).

Pourtant, malgré la personnalité du nouveau Président des Etats-Unis qui ne laisse personne indifférent, cette élection s’inscrit dans la tradition politique américaine s’appuyant semble-t-il sur cinq grands principes perdurant à ce jour :

  1. Le principe d’oscillation de la politique étrangère et de défense des Etats-Unis entre « sur-engagement et retrait » selon l’expression d’Henry Kissinger [1], entre idéalisme et réalisme, entre vision messianique et Realpolitik : il est clair que Washington s’oriente en matière de défense vers une phase de Realpolitik et de pragmatisme dont le tout premier objectif est l’anéantissement de Daesch.
  2. Le principe d’équilibre des Pouvoirs non seulement entre Exécutif, Législatif et Judiciaire, la Constitution des Etats-Unis s’étant en cela inspirée de l’« Esprit des Lois » de Montesquieu [2], mais aussi entre pouvoir central et Etats : l’Amérique sous Trump pourrait de fait revenir à un fédéralisme et une décentralisation du pouvoir plus marqués et une « RGPP » [3] à l’américaine.
  3. La défense de l’intérêt national, une constante de toute Nation souveraine pouvant être défini aux Etats-Unis selon trois constantes : la sécurité nationale, la pérennité des valeurs américaines énoncées dans la Constitution, le bien-être économique [4];
  4. Le rejet du « Big Brother », d’un Etat centralisé ou d’un Establishment trop fort, qui caractérise traditionnellement l’esprit pionnier américain ;
  5. Un système constitutionnel palliant à toutes les éventualités malgré un système électoral indirect et capable de résister comme actuellement aux turbulences d’une période agitée.

Ce qui a cependant profondément changé au cours de ces quinze dernières années aux Etats-Unis peut se résumer en trois lames de fond :

  1. La crise du « quatrième pouvoir », dont l’objectif de recherche de la vérité – qui avait culminé sous Nixon – s’est mué de façon croissante en recherche du « scoop » et du « star system » et qui, réseaux sociaux et algorithmes aidant, a perdu ses repères classiques. Pendant la campagne électorale aux Etats-Unis, les seuls « sondeurs » ayant prédit la victoire de Trump sont ceux s’étant basés sur le nombre de masques du candidat conservateur vendus pour Halloween (un indice se révélant traditionnellement exact)  !
  2. La mort du « bipartisanisme » qui avait pour caractéristique une grande courtoisie et ouverture d’esprit dans les débats politiques (sans compter un sens de l’humour aujourd’hui disparu que l’on retrouvait affiché sur les « bumper stickers » des voitures des uns et des autres quelle que soit l’appartenance politique de leurs conducteurs) : certes, les Américains ont toujours plus voté pour un homme que pour un parti, et ceci est encore flagrant cette année, mais ce qui diffère est la polarisation idéologique croissante dans laquelle peine à se retrouver la majorité des Américains depuis déjà un certain nombre d’années ;
  3. L’évolution démographique des Etats-Unis, où, comme partout en Occident, le jeu des minorités a considérablement ébranlé les schémas traditionnels de comportement aux urnes.

Conservateur, mais élu en dehors des Partis, des lobbys industriels, des médias, Donald Trump a précisément porté avec lui pour nombre d’Américains l’espoir de redéfinir un système politique permettant à d’autres types de personnalités d’avoir les moyens de représenter les intérêts de la Nation. Le double-choix  (presqu’antinomique) annoncé de Reince Priebus au poste de secrétaire général de la Maison Blanche et de Steve Bannon comme conseiller stratégique semble relever de cette logique, les partis traditionnels allant être de toutes façons contraints de se redéfinir.

Contrairement à la caricature qui en est fait en raison d’une campagne extrêmement virulente de part et d’autre, Donald Trump n’est pas « Hitler » et n’a aucune intention de remettre en cause des institutions ayant prouvé leur efficacité et leur solidité. La nouvelle donne permet de re-mélanger les cartes sur le plan intérieur et sur le plan extérieur, mais celles-ci demeurent inchangées et l’esprit de la démocratie reste sauf, même si susceptible d’être mis à mal par la crise de confiance dans les médias : d’après un sondage Gallup mené en septembre dernier, seuls 32 % des Américains font confiance à la presse contre 72 % en 1976 [5].

 

Crédit illustration >> > www.gallup.com

Notes de bas de page

[1] « Depuis deux siècles, la participation de l’Amérique dans les affaires mondiales a semblé osciller entre le sur-engagement et le retrait, entre un espoir excessif en notre puissance et la honte de celle-ci, entre un optimisme exubérant et la frustration engendrée par les ambiguïtés d’un monde imparfait », Henry Kissinger, cité dans: M. Delaporte, La politique étrangère américaine depuis 1945: l’Amérique à la croisée de l’Histoire, Editions Complexe, 1996, page17

[2] « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps de principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs », écrivait Montesquieu en 1748.

[3] Révision générale des politiques publiques

[4] Cf: M. Delaporte, ibid, page 19

[5]  Art Swift, Americans’ Trust in Mass Media Sinks to New Low, http://www.gallup.com/poll/195542/americans-trust-mass-media-sinks-new-low.aspx