La Délégation internationale de l’ANAJ-IHEDN à Londres vous propose, pour son tout premier article, d’évoquer avec vous la question de la réglementation du commerce entre les industries de défense européenne, dans le contexte du Brexit… Opportunité ou inconvénient ?! Bonne lecture !

Brexit et réglementation du commerce
entre les industries européennes de défense

DATE : Jeudi 23 février 2017 – Londres
Délégation internationale de Londres – ANAJ-IHEDN

Avertissement général

Ce texte n’engage que la responsabilité du / des auteur(s).
Les idées ou opinions émises ne peuvent en aucun cas être considérées comme l’expression d’une position officielle.

Le 23 juin 2016, le Royaume-Uni a voté par référendum pour une sortie de l’Union européenne (ci-après « UE »). En conséquence, la fourniture de biens « double-usage[1] » par les 27 Etats membres restants devra être considérée non plus comme un transfert mais comme une exportation et sera soumise à un nouveau régime de licence. Dans ce contexte, il convient de se demander quelles seront les conséquences du Brexit pour les industries européennes de défense et le marché intérieur. L’analyse sera centrée sur les lois régissant le commerce des biens « sensibles », classés « double usage » ou « militaires », entre les États, c’est-à-dire principalement la réglementation liée aux douanes et au contrôle des exportations.

Si aucun bouleversement n’est à craindre à court et moyen termes (I), à long terme, l’avenir est plus incertain (II).

I/ Les conséquences du référendum pour les industries européennes de défense 

L’impact du référendum n’est pas réellement significatif et ne le sera pas pour les prochains mois. Ceci pour deux raisons principales.

La première est que la procédure pour déclencher l’Article 50 du Traité est longue. Elle fait d’ailleurs à l’heure actuelle l’objet de nombreux débats. En effet, depuis juin 2016, en dépit des déclarations de son Premier ministre Theresa May, le Royaume-Uni peine à lancer la procédure et à s’accorder sur les moyens juridiques pour la mettre en œuvre.

La seconde tient au fait que les réglementations relatives au commerce entre les États membres et au contrôle des exportations resteront en vigueur jusqu’à ce que cette procédure prenne fin et que la sortie du Royaume-Uni soit effective. Ainsi, le régime export control de l’UE et les sanctions affectant le commerce intra et extra-communautaire resteront applicables pour toute la durée des négociations, jusqu’à un maximum de deux ans.

En outre, le Royaume-Uni est toujours membre des régimes internationaux de contrôles affectant le commerce des biens « sensibles » (par exemple l’arrangement de Wassenaar, le Missile Technology Control Regime, le Nuclear Suppliers Group ou encore l’Australia Group).

II/ Les conséquences à venir du Brexit pour les industries européennes de défense

En ce qui concerne les prochains mois, voire les prochaines années, on peut distinguer quatre domaines qui seront potentiellement affectés par les suites du référendum.

  • Conséquences limitées pour l’exportation des biens « double usage »

Une fois la sortie du Royaume-Uni officielle, les mouvements de biens et de technologie seront qualifiés d’exportations et non plus de transferts. Ils nécessiteront alors une licence. Deux principaux scenarii sont alors envisageables :

  • (i) le Royaume-Uni pourrait bénéficier de la Licence Générale EU001 exposée à l’article 9 et à l’annexe II.a du Règlement 428/2009 ;
  • (ii) l’ECJU (Export Control Joint Unit)[2] britannique, autorité gérant les autorisations de licence, pourrait élaborer une Open General Export Licence (OGEL) pour les 27 Etats membres restants.

Ces deux cas de figure présentent toutefois un inconvénient majeur : l’apparition d’obligations liées à l’archivage et au classement (record-keeping) ainsi qu’aux audits associés, contraintes qui n’existent pas à l’heure actuelle dans le marché intérieur. Il est donc recommandé que les industries de défense anticipent ce changement réglementaire.

  • Conséquences très limitées pour l’exportation des biens militaires

En tant que prérogative nationale, la réglementation qui touche les biens militaires ne sera pas affectée par la mise en place effective du Brexit.  L’impact est donc très limité dans ce domaine, voire inexistant. En effet, les licences d’exportation militaires sont requises même pour des mouvements intra-communautaires.

Néanmoins, les britanniques peuvent décider de se séparer totalement de l’EU Code of Conduct on Arms export ainsi que de la Common Military List de l’UE.

  • Conséquences majeures au regard des programmes de commerce préférentiels

Les accords préférentiels seront affectés dans la mesure où le Royaume-Uni ne sera plus membre d’environ 57 accords relatifs au commerce dans le marché intérieur.

Il existe toutefois des alternatives que les britanniques peuvent considérer, parmi lesquelles :

  • (i) rejoindre l’Espace économique européen ;
  • (ii) négocier un nouvel accord avec l’UE (accord qui peut refléter ce qui a été mis en place pour la Norvège et la Suisse par exemple) ;
  • (iii) négocier des accords bilatéraux avec l’UE ;
  • (iv) échanger avec l’UE en tant que membre de l’OMC.

Quelle que soit l’alternative choisie, le Royaume-Uni devra s’engager dans des négociations et une procédure longues et complexes.

  • Conséquences sur les programmes de sanctions

Le Royaume-Uni restera lié par les sanctions élaborées par l’OTAN. L’UE ne jouera plus un rôle d’intermédiaire. La principale difficulté est que les résolutions de l’ONU en matière de sanctions sont souvent moins bien élaborées et détaillées que celles de l’Union.

Le pays est également membre de l’OSCE. Par conséquent, il continuera d’exercer son rôle et de respecter ses obligations y compris pour ce qui relève des embargos et recommandations de l’OSCE.

Les lois britanniques transposant les sanctions de l’UE énoncent que l’European Communities Act de 1972 confère le pouvoir au Trésor d’instaurer des sanctions nationales. Ainsi, si l’acte venait à être abrogé, les Britanniques devront créer leur droit primaire afin de pouvoir imposer leurs propres sanctions.

Toutefois, si le pays poursuit sa politique stricte vis-à-vis de la Russie et/ou s’aligne sur celle des Etats Unis, la divergence qui en résultera avec le cadre réglementaire communautaire pourrait engendrer des difficultés pour les institutions et les entreprises qui opèrent des deux côtés de la Manche.

  • Conclusion

En définitive, tout dépendra de ce qui ressortira, d’une part, des négociations avec l’Union et, d’autre part, de la gestion du Brexit par le gouvernement britannique.

Le Royaume-Uni peut choisir de maintenir son régime de contrôle des exportations actuel reflétant la législation de l’Union (et elle subira alors des changements mineurs) ou utiliser le Brexit comme une opportunité pour se départir de ce cadre européen afin d’adopter un régime législatif propre (en conformité toutefois avec les accords internationaux en vigueur).

Pour conclure, ce tableau présente un résumé des législations britanniques qui seront ou non affectées par le Brexit.

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Lucie CORDIER
Membre de la délégation internationale de Londres de l’ANAJ-IHEDN
90e séminaire Jeunes, Paris 2015


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[1] Les biens dits « double-usage » sont des biens civils qui peuvent être détournés à des fins militaires. Par exemple, le senseur d’étoile, technologie destinée à guider les lanceurs dans l’espace extra-atmosphérique peut également être embarqué sur des missiles balistiques.

[2] L’ECJU rassemble l’expertise opérationnelle et politique du DfIT Export Control Organisation, FCO et MOD pour promouvoir la sécurité globale à travers les contrôles stratégiques des exportations et afin de faciliter des exportations responsables.