Loin du front occidental, il se mena une guerre farouche sur le territoire de l’Empire Ottoman durant la Première Guerre mondiale. Cette dernière prit trois formes : le combat direct qui donna lieu à la bataille des Dardanelles et de Gallipoli ; une salve d’attaques répétées menées par les Britanniques en Mésopotamie et par les Russes en Perse et enfin, le soulèvement des tribus arabes contre le joug turc. C’est dans ce dernier cadre qu’eut lieu la célèbre prise du port d’Aqaba par T.E Lawrence immortalisée dans le magnifique film Lawrence d’Arabie de David Lean (1962)[1].

 

Le contexte

1916 : les tribus arabes ont soif de se libérer de la tutelle turque. Après de longs atermoiements et sans jamais clairement définir leur position[2], les Britanniques reconnaissent la légitimité de ce combat et finissent par soutenir les offensives menées par le chérif de la Mecque Husayn dont celle de Médine du 5 juin 1916. En parallèle de cette dernière, les Britanniques mènent et intensifient à travers les déserts de l’Egypte des actions de guérilla dirigées par T.E Lawrence.

Le charisme de cet homme d’exception, sa culture et son esprit de finesse, permirent à Lawrence de s’imposer dans le monde tribal arabe et notamment de gagner la confiance du prince Faysal ainsi qu’il le conte dans son fameux ouvrage Les 7 piliers de la sagesse[3]. Réussissant à convaincre ce dernier et quelques autres chefs de tribus arabes de prendre Aqaba par les terres il partit à la tête d’une expédition relevant autant de la folie que de l’exploit.

L’exploit du Nefoud et la prise d’Aqaba

Cette folie qui consacrera Lawrence n’est autre que la traversée du désert du Nefoud qui constitua le prélude à la prise d’Aqaba. Le Nefoud est un vaste désert de plus de 50 000 kilomètres carrés d’une extrême aridité (il n’y pleut qu’un à deux jours par an). Barrière naturelle supposée infranchissable comme les Ardennes durant la Seconde Guerre mondiale, le Nefoud ouvre sur la ville portuaire d’Aqaba. Les canons de cette dernière empêchaient sa chute jusqu’à l’exploit réalisé par Lawrence qui, en traversant le Nefoud, pris les Turques à revers et put ainsi s’emparer de la ville par les terres sans essuyer de tirs d’artillerie lourde puisque les canons d’Aqaba étaient dirigés vers la mer. Initiative isolée, menée conjointement avec les troupes arabes et la tribu des Howeitat de Auda Abu Tayi, la prise du port stratégique d’Aqaba permit notamment le déplacement des troupes de Fayçal plus loin vers le nord, où des opérations purent dès lors être menées grâce au support logistique britannique transitant par Aqaba. L’ouverture de ce second front eut, entre autres conséquences, d’isoler les troupes ottomanes établies à Médine.

Le visionnaire stratégique : la guérilla selon T.E Lawrence

A l’heure où partout en Europe, la guerre à outrance fait rage, T E Lawrence devance et écrit les principes de la guerre moderne en pensant la guérilla et la guerre asymétrique. Loin de l’obsession de l’anéantissement des forces ennemies partagées des deux côtés du Rhin durant « 14-18 », Lawrence opte pour l’insurrection menée par des petites unités mobiles, la guerre de harcèlement et la guerre psychologique qui tend à s’attirer la sympathie de la population. L’influence de Lawrence ira croissante durant toute le vingtième siècle surtout lorsque l’on sait que le général Giap avait fait des Sept piliers de la sagesse son livre de chevet…

La conduite de la guérilla et de la guerre asymétrique, Lawrence la consigna au travers de 6 principes qui passent par le fait d’avoir :

  • une base inexpugnable où les insurgés puissent se régénérer tant contre les assauts physiques que psychologiques de l’ennemi ;
  • un ennemi technologiquement supérieur à combattre (ce qui multiplie d’autant sa vulnérabilité), principe directeur de la guerre asymétrique contemporaine ;
  • a minima le soutien passif de la population (gagner la bataille des cœurs et des esprits) ;
  • un ennemi incapable de couvrir la totalité d’un territoire (impossibilité de quadriller la zone de conflit, faire du terrain le meilleur des alliés) ;
  • un vivier de combattants endurants, agiles et indépendants logistiquement (concept repris par les forces spéciales) ;
  • les armes nécessaires pour frapper l’ennemi dans le domaine des transmissions et de la logistique.

L’autre qualité dont sut faire preuve Lawrence d’Arabie fut d’user de son empathie avec science, ce que lui permit notamment sa grande culture combinée à son extrême sensibilité[4]. C’est fort de cette empathie qu’il sut fédérer et emporter avec lui les tribus arabes. Car ajoutée au courage personnel et à l’intégrité dont ce dernier fit preuve, l’empathie constitue le facteur décisif d’adhésion qui emporte et galvanise les troupes. Fort de cette capacité d’entraînement, T. E Lawrence devint bien plus qu’un officier d’exception, il devint une légende dont les récits nourrissent encore aujourd’hui l’imaginaire de millions d’hommes sur la planète.

[1] Récompensé par 7 oscars, le film est porté par la magistrale interprétation de Peter O’Toole.

[2] Positions qui déboucheront sur les accords Sykes-Picot, accords secrets signés le 16 mai 1916, après négociations entre novembre 1915 et mars 1916 entre la France et le Royaume-Uni prévoyant le partage du Proche-Orient à la fin de la guerre en plusieurs zones d’influence.

[3] Seven Pillars of Wisdom, 1922. Le titre de l’ouvrage est emprunté à un verset de la Bible. C’est aussi le nom donné à une formation rocheuse située dans le désert de Wadi Rum en Jordanie.

[4] T.E Lawrence comme nombre de génies était un homme torturé psychologiquement, éthiquement et moralement ce qui expliqua entre autres qu’il souhaita finir sa carrière dans l’armée sous un nom d’emprunt et ce jusqu’à sa tragique disparition dans un accident de la circulation.

Photo telle que reproduite sur : https://www.herodote.net/Lawrence_d_Arabie_1888_1935_-synthese-1882.php