L’opération Harpie, bras armé de la lutte contre l’orpaillage illégal (LCOI) en Guyane française, vient de fêter ses dix années d’existence. Fort de cette première décennie opérationnelle, il est désormais possible de dresser un premier bilan permettant d’apprécier la réelle efficacité de cette mission intérieure dont on ne soulignera jamais assez à quel point elle est, et ceci à maints titres, une mission à haut risque.

De bons résultats sur dix ans…

Lors du lancement de l’opération Harpie en 2008, l’orpaillage illégal connaissait un regain d’intensité conséquent le nombre de sites d’orpaillages illégaux recensés atteignant le chiffre de 535. Il est successivement passé à 493 en 2013 pour passer à 228 en 2015 et 160 en 2016[1]. Cette baisse spectaculaire atteste de toute évidence d’une réelle réussite de l’action conjointe des forces armées en Guyane (FAG) et des forces de gendarmerie dans le cadre de la LCOI (même si de nombreux autres acteurs interviennent eux aussi au profit de la LCOI comme nous l’avons vu dans notre précédent article).

Dans le même ordre d’idée, on estime que le coût des saisies de matériel s’élève à plus de 36 millions d’euros pour les garimpeiros, ceci rien que pour la période comprise entre 2014 et 2016. L’état-major des armées a récemment communiqué sur le fait que les 10 années de l’opération Harpie ont notamment permis la destruction de 31 345 campements (à ne pas confondre avec les sites d’orpaillages), ainsi que la saisie de 1 820 pirogues, 761 quads, 1 920 m3 de carburant et de plus de 1 500 armes létales[2].

Mais une efficacité en demi-teinte

S’ils témoignent d’une réelle activité opérationnelle et d’une certaine performance, force est de constater que le grand absent des chiffres relayés par l’état-major des armées demeure la saisie d’or réalisée par les forces armées sur les sites occupés par les garimpeiros. Car, au sein de ce bilan très positif, c’est bien au niveau de ces données que le bât blesse. De fait, nul ne sait exactement combien d’or est extrait illégalement de Guyane chaque année et il demeure extrêmement difficile de mettre la main sur le précieux métal tant les organisations criminelles qui font travailler les garimpeiros demeurent dans leur organisation agile et réactive. En 2017, 3 kg d’or auraient été officiellement saisi sur les sites illégaux sur les plus de 3 tonnes par an estimées de la production clandestine soit 0,1%.

De plus, Harpie a un coût humain. En effet, il convient tout d’abord de ne pas oublier que cette mission intérieure a coûté la vie de 5 militaires français depuis 2008 et que plus d’une dizaine de soldats ont été blessés de manière plus ou moins conséquente lors des opérations de LCOI. De même, les soldats engagés dans Harpie s’expose à des conditions de vie extrêmes (90% d’humidité sous une température moyenne annuelle de 28 degrés) ainsi qu’à des risques sanitaires avérés tel le paludisme ou la dengue.

Enfin, Harpie implique que plus de 300 militaires sont déployés chaque jour au sein de la forêt amazonienne et que, rien que pour l’année 2017, plus de 9000 heures de vol ont été consommées au profit de cette MISSINT et que cette dernière a nécessité pas moins 17 000 patrouilles. En ce sens, Harpie consomme un potentiel opérationnel fort pour les armées à une heure où les états-majors n’hésitent plus à parler de suractivité opérationnelle et cette dernière se traduit elle aussi en coûts financiers.

Depuis 2017, une recrudescence de l’orpaillage illégal

Enfin, il convient de ne pas être naïf dans notre approche de l’orpaillage illégal. En effet, si Harpie a réussi à en limiter la propagation, elle n’a jamais permis d’éradiquer ce phénomène. De même, si Harpie permet de contenir et de limiter très fortement l’accroissement de cette forme de criminalité à la fois économique, sociétale, sanitaire et environnementale, les réseaux mafieux qui œuvrent au développement de l’orpaillage clandestin savent profiter du moindre relâchement de la LCOI pour regagner en vitalité. Ainsi, les grèves massives qui ont gagné la Guyane en 2017 et qui ont obligé les FAG et la gendarmerie à réorienter leurs activités, voire à ne pas pouvoir exercer ces dernières, ont eu comme effet indirect de faire remonter l’activité des garimpeiros au sein de la forêt guyanaise. Fin 2017, le nombre de sites aurifères illicites à dépasser le seuil atteint en 2008[3] ce qui représente en soi une involution très inquiétante dans le cadre de la LCOI mais ce qui témoigne aussi de la capacité de nuisance des garimpeiros.

Les forces armées et de sécurité face à d’autres priorités

Les mauvais résultats de la LCOI pour 2017 s’expliquent aussi par la recrudescence des actes de violence en Guyane ainsi que par le passage du cyclone Irma qui a nécessité le déploiement de militaires et de gendarmes stationnés en Guyane sur les îles de Saint Martin et de Saint Barthélémy. Enfin, n’oublions pas que les forces armées en Guyane mènent de front deux autres opérations d’envergure que sont la mission Titan de protection du Centre spatial Guyanais (CSG) et l’opération Polpêche de surveillance de l’activité de pêches menée au large des côtes de Guyane. Les forces de gendarmerie, les douanes et la police de l’air et des frontières devant en plus lutter contre la recrudescence du trafic de drogue avec l’augmentation croissante de « mules » (surnom donné aux personnes transportant illégalement de la drogue) sur le territoire guyanais.

En synthèse, il va de soi que la mission Harpie est une opération qui a prouvé son utilité et son efficacité. On n’ose imaginer l’ampleur qu’aurait fini par prendre l’orpaillage clandestin sans la LCOI. Reste que sans un relai suffisamment puissant au niveau international et un manque de collaboration satisfaisante avec le Surinam notamment, la France se retrouve finalement isolée dans la lutte qu’elle mène contre les garimpeiros et le trafic mafieux qui permet et soutient logistiquement l’action dévastatrice de ces esclaves modernes qui usent leur vie et détruisent le biotope des populations originaires de Guyane qui demeurent les premières victimes de l’orpaillage clandestin à savoir: les amérindiens Arawak de la forêt amazonienne.

Crédits photo Romain PETIT

[1] L’ensemble des chiffres présentés ici sont issus des rapports annuels édités par la préfecture de la région Guyane portant sur l’opération Harpie.

[2] Pour en savoir plus lire : https://www.defense.gouv.fr/operations/operations/points-de-situation/point-de-situation-des-operations-du-15-fevrier-2018

[3] Selon les propos du Procureur de la république de Cayenne.