(Histoires militaires) – Peu de batailles ont connu la postérité de celle de Roncevaux. Défaite militaire, Roncevaux constitue un tour de force politique et symbolique, puisqu’on retient avant tout de cette dernière le sacrifice du chevalier Roland. Ce sacrifice tentera de faire oublier le massacre que l’arrière garde de l’armée de Charlemagne subit ce 15 août 778 et donnera naissance à la plus célèbre des chansons de geste, le chevalier Roland de Roncevaux incarnant dès lors, intuitu personae, les valeurs de la chevalerie.

La Bataille de Roncevaux

Fils de Pépin le Bref, le fondateur de la dynastie carolingienne, Charles Ier dit Charlemagne, du latin Carolus Magnus, est proclamé roi des Francs en 768. Celui qui se fera couronné empereur des Romains en 800, dignité disparue depuis 476, est avant tout un roi guerrier et conquérant ce qui explique pour partie la fascination qu’il exercera sur Otton Ier, Charles Quint et Napoléon.

Après avoir lutté contre les Lombards et les Saxons à plusieurs reprises, Charlemagne part en guerre contre les musulmans installés dans le nord de l’Espagne. Les émirs du nord de l’Ebre s’étant révoltés contre le calife de Cordoue, Charles Ier leur promet son appui notamment pour éloigner de son royaume les incursions musulmanes et soulager les populations chrétiennes de la Péninsule.

C’est avec deux armées que Charlemagne traverse donc les Pyrénées. A la tête de l’une d’entre elles, il annexe aisément Pampelune. Souleiman conduit alors Charlemagne devant Saragosse où la jonction est faite avec sa seconde armée qui vient de soumettre Barcelone. Mais à Saragosse, El Hussayn, qui dirigeait la ville avec Souleiman, refuse d’ouvrir les portes de la ville aux Francs. Charlemagne, qui n’est pas en mesure de mener un siège décide alors de ne pas s’attarder à Saragosse d’autant que les Banu Qasi s’approprient Pampelune et en agitent la population. Charlemagne, avant de traverser les Pyrénées revient alors à Pampelune et rétablit son autorité sur la ville.

Reprenant le chemin de la France avec son armée via les Pyrénées, l’armée de Charlemagne subit une embuscade, non des Sarrasins ainsi que le conte la Chanson de Roland, mais des natifs basques de cette région, les Vascons. Nous sommes le 15 août 778 est l’arrière-garde de l’armée de Charles Ier finit massacrée au col de Roncevaux ainsi que le conte le moine Eginhard dans sa Vita Karoli Magni. La conduite de Roland, neveu de Charlemagne et préfet de la Marche de Bretagne, est héroïque lors de ce guet-apens. Pris dans une embuscade, Roland luttera âprement pour permettre le passage de l’armée. C’est finalement dans son dernier souffle qu’il décidera de sonner du cor (un olifant en vérité) pour alerter l’avant-garde de l’armée de Charlemagne et l’appeler au secours. Roland succombera de ses blessures et son sacrifice sera magnifié pour servir d’exemple à tout chevalier, ce dernier incarnant par son courage et son abnégation, l’idéal chevaleresque. Finalement, l’expédition pour la conquête des marches d’Espagne restera célèbre à cause de cet épisode épique mais assez insignifiant à l’échelle de l’Histoire et qui va devenir un mythe collectif. Pour Charlemagne, le désastre de Roncevaux est un coup dur à maints titres. En effet, la nouvelle du massacre se répandant, les Saxons de Widukind vont à nouveau se lever contre lui l’obligeant à mener d’âpres luttes contre ces derniers jusqu’en 785. Pour Roland, Roncevaux va devenir le lieu d’inscription de sa légende.

Postérité

La bataille de Roncevaux est devenue inséparable de son héros Roland notamment à cause de la plus célèbre chanson de geste appelée Chanson de Roland, écrite en France à la fin du XIe siècle. Cette Chanson de quatre mille vers et divisée en quatre parties raconte Roncevaux au travers de quatre épisodes.

Le premier traite de la trahison de Ganelon. Ganelon est le beau-frère de Charlemagne et le beau-père de Roland, jaloux de la préférence de Charlemagne envers son neveu, il les trahit tous deux en livrant l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne à l’armée ennemie de Marsile, roi de Saragosse, ce qui constitue une contre-vérité historique par le remplacement des Vascons par les Sarrasins. Le second concerne la bataille de Roncevaux : Roland et son compagnon le chevalier Olivier, ainsi que toute l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne, meurent dans la bataille en emportant avec eux une grande partie de leurs assaillants. Le troisième chante la vengeance de Charlemagne sur les Sarrasins, ce dernier ayant entendu l’olifant de Roland vole au secours de son neveu mais ne parvient pas à le sauver même s’il finit par battre les Sarrasins. La dernière partie traite du jugement de Ganelon qui finit écartelé.

En fait, la Chanson de Roland s’arrange comme souvent de vérités historiques pour les sublimer. Dans cette dernière, beaucoup de faits se révèlent historiquement inexacts, Roland de Roncevaux devenant dès lors davantage un mythe censé incarner le bienfondé de l’affrontement entre chrétiens et musulmans qui connaîtra avec les croisades son paroxysme. Ici encore, la mystification de l’Histoire sert une vision politique.

Mais la légende de Roland dépasse celle de la Chanson de Roland. Entrée dans la mythologie pyrénéenne, Roland y est dépeint comme un géant à qui l’on attribue la brèche de Roland, gigantesque entaille naturelle dans la paroi des falaises situées sur le pourtour du cirque de Gavarnie, suite aux coups portés par le héros pour briser son épée Durandal qui renfermait dans sa garde une dent de saint Pierre…

Dans un autre registre, Charles VII voudra lui aussi récupérer l’épopée de Roland notamment via l’enluminure qu’il commande à Jean Fouquet et qui figure dans la première histoire de France écrite dans notre langue. Roland y est dépeint couché sur l’herbe, Durandal et son cor à ses côtés, mort mais semblant apaisé d’avoir sauvegarder son honneur via son sacrifice. Dans cette illustration, Roland figure en première place, veillé par Charlemagne agenouillé à ses côtés, lui rendant hommage. Ici Fouquet peint Roland dans un décor qui contraste avec l’autre partie du tableau où la bataille fait rage. Baigné dans une lueur chaude et bienveillante, Roland apparaît tel un martyr mort pour sa patrie et sa foi, digne chevalier de France et honneur de son pays. Charles VII, vainqueur de la guerre de Cent ans – et qui dut la reconquête de son trône à Jeanne d’Arc qu’il ne défendit pas lors de son procès -, avait besoin de faire appel à d’autres grands noms de notre Histoire pour faire oublier sa trahison envers Jeanne. Vingt-six ans plus tard,  il ouvrira cependant un procès en réhabilitation. La mémoire de Roland fut là encore instrumentaliser à des fins politiques…

Finalement, le sacrifice de Roland aura fait l’objet de maintes récupérations, mythes et légendes à travers l’Histoire. Son souvenir fut chéri ou vénéré souvent pour des raisons bien éloignées de son courage et de son abnégation mais, in fine, son nom a traversé l’Histoire et il incarne aujourd’hui encore dans notre imaginaire collectif le sens de l’honneur.

Illustration telle que reproduite sur le site: https://www.herodote.net/15_aout_778-evenement-7780815.php