Par Laure Singla –  La gestion raisonnée des risques sanitaires majeurs à l’aune du principe de sécurité juridique : plaidoyer pour une vision bio-responsable mondiale des risques sanitaires environnementaux et leur régulation

Laure Singla est commandant de réserve citoyenne dans l’armée de terre. Docteur en droit et spécialiste des questions en stratégie sécuritaire, elle a fondé et dirige le cabinet Juris Eco Conseil. Elle est également observateur international CIDCE près du Groupe de l’Environnement des Nations-Unies, expert près la Cour d’Appel de Montpellier – spécialités D-04.05 Stratégie et politique générale d’entreprise, D-05 conflits sociaux, E-03.01 Pollution Air, E-08 Transport aérien (usage usagers) -, membre CNEJE et médiateur Près les juridictions judiciaires et administratives.

Dans cette série de six articles, elle nous propose d’aborder la crise du Covid-19 sous l’angle juridique en mettant en avant les structures existantes et les aspects méritant d’être améliorés en vue de faire face à toute crise sécuritaire ultérieure. En voici la seconde partie.

 

Mode d’identification actuel des risques sanitaires majeurs et des dispositifs déployés

Il n’est pas déraisonnable d’expertiser la capacité nationale et internationale de force de frappe applicable en cas de pandémie mondiale suite aux événements SRARS-CoV, MERS-CoV ou ceux suscités par les virus H1N1, et autres grippe aviaire H5N1. Or, certains – écrivain, statisticien, essayiste spécialisé en épistémologie des probabilités et praticien en mathématiques financières libano-américain – avaient averti de ce danger au lendemain du SRARS-Cov [1]. Malgré ce, les suspicions d’un tel scénario n’ont pas été véritablement et correctement expertisées de façon transversale. La question est de savoir pourquoi.

Flagrance de la non reconnaissance du risque sanitaire majeur accidentel

Le XXème siècle a connu de grandes vagues de pandémies virales infectieuses mondiales comme la grippe espagnole [2] et ses 40 millions de mort, la première apparition du virus H1N1 en Chine en 1918 et ses victimes célèbres [3], la grippe asiatique en 1956 par les virus H1N1 et H2N2 et ses 4 millions de victimes, la grippe de Hong-Kong (Mai 1968- mars 1970) par son virus H3N2 et ses 1,5 millions de victimes. Le XXIème siècle a connu par ailleurs depuis 20 ans l’épidémie du SRAS (en 2002 et 2003) et celle du virus H1N1 (en 2009 et 2010).

L’Afrique, à elle seule a enregistré trois grandes épidémies entre 1969 et 2014 : la Fièvre de Lassa au Nigeria en 1969, l’épidémie de méningite bactérienne en 2009 et celle d’Ebola en 2014. Nous vivons donc depuis des siècles avec le risque sanitaire permanent. Et nous sommes loin des grandes épidémies moyenâgeuses de la variole, la peste et la rougeole grâce aux avancées scientifiques qui ont permis leur neutralisation au moyen de vaccins.

Pour autant, il convient de retenir une chose importante : ces pandémies étaient accidentelles, sectorielles et rapidement neutralisées par un vaccin. Le Covid-19 est une première exception. Il y en aura d’autres. Il faut donc revoir rapidement les failles sous l’angle de l’expertise en comprenant les modalités d’expertise traditionnellement retenues.

1- Observations sur les modalités d’expertise traditionnellement retenues

S’agissant du Covid-19, il convient de rappeler que ce type de virus, fait partie d’une large famille incluant des virus responsables de simples rhumes mais aussi, le plus connu, SRAS induit par le virus SARS-CoV. L’INRS nous apprend que « le Coronavirus MERS-CoV est une souche particulière jamais encore identifiée chez l’homme, apparue en 2012 en Arabie Saoudite, non encore classé ». Il s’agit donc d’un agent pathogène naturel dont le réservoir reste l’animal et l’homme. Cette forme de grippe infectieuse reste saisonnière pour l’OMS [4]. Et la grippe saisonnière tue chaque année en France entre 10 000 et 15 000 personnes fragiles par an contre 36 000 aux États-Unis [5] sans pour autant mettre en péril le système économique mondial. C’est donc dans cette logique que toute nouvelle pandémie d’ordre accidentel reste expertisée sous l’angle de l’événement exceptionnel, rare, et pouvant être neutralisée. Le Covid-19 a été ainsi au départ expertisé de cette manière.

Parallèlement, l’idée de pandémies intentionnelles (non accidentelles) liées à des actes de guerre ou de terrorisme n’est pas nouvelle. Soixante-dix ans après le massacre des Poilus au gaz moutarde durant la première guerre mondiale, l’idée resurgit hélas régulièrement en temps de paix, tel qu’au moment du massacre par arme chimique des habitants d’Halabja (Irak) en 1988. C’est donc pour pallier à cette typologie de pandémies qu’a été adoptée en 1992 par les Nations-Unies une convention portant sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’usage des armes chimiques et sur leur destruction [6]. Trois ans plus tard, l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995 a plongé le monde dans une nouvelle réflexion qui a eu pour conséquence la création d’un dispositif mondial de riposte NRBC par États (pour nucléaire, radiologique, biologique et chimique). Ce dispositif repose sur l’identification de toute menace, intentionnelle en terme de terrorisme, d’ordre chimique, nucléaire, biologique et chaque service ayant une mission de sécurité et tranquillité publique (armées, pompiers, police, gendarmerie) a été doté d’une cellule NRBC spécifique.

La pandémie sanitaire mondiale provoquée par le Covid-19 reste une menace d’ordre accidentelle et non intentionnelle et, n’étant pas répertoriée dans le dispositif précité, elle n’entre pas dans la catégorie des menaces permettant le déclenchement des dispositifs sécuritaires type NRBC ou autres plans de prevention. Elle n’est donc pas qualifiée juridiquement dans cette logique comme une possible atteinte à l’intégrité d’un territoire au sens du droit interne actuel [7].

2- Observations sur les stratégies retenues jusqu’en 2020

Il faut rester humble et observer que cette erreur reste mondiale. Car elle repose sur une logique prédéfinie. Sans véritable stratégie solidaire sur le plan sanitaire mondial. L’Europe reste donc bien loin des discours en la matière (Schengen, RGPD…), même si la Banque centrale européenne (BCE) a compris la mesure de l’impact économique de la pandémie. Il en est de même pour d’autres nations, telles que les Etats-Unis, la Russie ou encore l’Inde. La question reste donc de savoir comment les États vont s’organiser à compter de la sortie de cette crise. Quid du « Jour d’Après »?

Pour y répondre, il faut d’abord comprendre que les pandémies sanitaires majeures présentent un caractère accidentel qu’on a catalogué un peu trop hâtivement de « rares » et qu’à ce titre, on n’a pas véritablement retenu leur gestion dans les dispositifs sécuritaires actuels. Est-ce par ignorance ou par oubli volontaire ? Les États ont tous accepté à tord ou à raison que leurs systèmes économiques reposent sur une logique issue de la théorie du bénéfice-risque d’après-guerre pour expertiser leurs risques sous l’angle de cette théorie retenue dans le mécanisme juridique de la réparation d’un dommage. On a banalisé tous les risques depuis 1989, de façon en particulier à réparer a minima dans un souci logique d’économie et de rentabilité. Cette logique se retrouve dans la logistique hospitalière notamment, ainsi que les défaillances dans le domaine des matériels de protection l’ont montré [8].

Or les risques environnementaux démontrent la faille de cette « stratégie de la rentabilité » en fragilisant tous les pans économiques à l’heure d’une société numérisée à outrance. L’expérience du Covid-19 doit donner lieu à une réflexion sur cette question.

(A suivre) 

Illustration © Gravure d’une épidémie de choléra à Toulon en 1884, telle que publiee dans http://eurolibertes.com/evenements/loccident-reste-monde-epidemies-meurtrieres/

 

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Notes de bas de page

[1] = « Interconnected complex systems have some attributes that allow some things to cascade out of control, delivering extreme outcomes » (Nassim Nicholas Taleb & Yaneer Bar-Yam, « The UK’s coronavirus policy may sound scientific. It isn’t », The Guardian, 25 mars 2020)
[2] Septembre 1918 – avril 1919
[3] Guillaume Apollinaire, le peintre autrichien Egon Schiele ou le président du Brésil, Rodrigues Alves
[4] 21 Organisation Mondiale de la Santé
[5] Sources OMS https://www.who.int/fr/
[6] Convention internationale sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’usage des
armes chimiques et sur leur destruction ou CIAC du 3 septembre 1992 entrée en vigueur le 29 avril 1997
[7] Article 410-1 Code pénal
[8] Voir : Ulrich Beck, Sociologie politique : la société du risque, éditions Aubie, 2001 ; et : NUGA, A/RES/44/236. International Decade for Natural Disaster Reduction, 22th décember 1989