Par Murielle Delaporte – Du 21 septembre au 9 octobre derniers s’est tenu VOLFA, un exercice organisé par le Commandement des forces aériennes (CFA) depuis la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan. Fusion de plusieurs sessions VOLFA annuelles et d’autres exercices de préparation opérationnelle de nos forces aériennes (tels que SERPENTEX notamment), VOLFA a grossi au fil des années pour devenir un exercice majeur attirant une participation internationale croissante, ainsi que le souligne le lieutenant-colonel Marc, adjoint au Directeur de l’exercice ou DIREX[1].

Ce fut ainsi le cas en 2019 avec la participation de deux cent cinquante militaires britanniques, belges, canadiens, américains, espagnols, portugais et italiens[2]  et, n’eût été la crise du coronavirus, l’édition 2020 aurait dû inclure la participation de huit pays alliés : Belgique, Espagne, Grèce, Allemagne, Royaume-Uni, Etats-Unis,  Canada et Suisse[3]. Ces cinq derniers pays ayant annulé, ce sont les armées de l’Air espagnole (Ejercito del Aire) et grecque (Polemiki Aeroporia[4]), avec respectivement deux F18 et quatre F16, et la Défense belge, avec une équipe de contrôleurs aériens avancés, qui ont rejoint les forces françaises pour trois semaines d’exercice de haute intensité[5].  Côté armée de l’Air et de l’Espace française, VOLFA 2020 réunissait l’ensemble du spectre de ses capacités, parmi lesquelles : une dizaine de Rafale de la 30e escadre (Mont-de-Marsan) et de la 4e escadre de chasse (Saint-Dizier), douze Mirage 2000 (D, RDI et -5[6]), six Alphajet de la 8e escadre de chasse (Cazaux) jouant les plastrons parmi d’autres aéronefs, un AWACS, un C130J, un Transall, un CASA 235, un C130,  un A400M Atlas, deux Caracal de l’EH 1/67 « Pyrénées », un C135, un A330 Phénix MRTT (Multi Role Transport Tanker) et un drone Reaper (Cognac), sans compter les JTACs (Joint Terminal Attack Controllers), l’escadre sol-air de défense aérienne (Avord) ou encore les contrôleurs aériens (Cinq-Mars-la-Pile)[7] et des commandos parachutistes de l’Air. VOLFA étant également interarmées, participaient par ailleurs côté français l’armée de Terre avec la 11e Brigade Parachutiste, la Marine avec deux Rafale et un Hawkeye, et la Gendarmerie (FAGN).  Soit un total d’une quarantaine d’aéronefs et de cinq cents participants pour un bilan final de près de quatre cents sorties aériennes …

Un exercice d’autant plus crucial que les missions se complexifient

« L’entraînement est dans la nature des armées. Il est nécessaire pour développer des procédures et des tactiques éprouvées, vérifiées et partagées. Dans la troisième dimension, l’entraînement est nécessaire pour préparer les corps et les cerveaux de nos équipages à gérer des situations de combat éminemment complexes dans un milieu qui n’a rien de naturel pour l’homme, et dans lequel tout va très vite. Des décisions vitales s’y prennent sous fort facteur de charge, à proximité du sol, en patrouille rapprochée et dans des conditions météorologiques parfois hostiles. L’unité de temps décisionnelle là-haut est de cinq secondes… », rappelait le général Philippe Lavigne, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace (CEMAAE), lors de son discours de bienvenue à son homologue grec, le général Georgios Blioumis pendant VOLFA[8].

Le CEMAAE et son homologue grec © CESA, armée de l’Air, BA 118, 7 octobre 2020

Cet entraînement portait cette année encore sur un scenario de conflit de haute intensité avec comme objectif le soutien des forces de résistance d’un pays ami envahi par un pays hostile : entrée en premier, CSAR (recherche et sauvetage au combat) et appui aérien au programme face à un ennemi doté de capacités de déni d’entrée de plus en plus sophistiquées et des « théâtres de moins en moins permissifs », comme le rappelait également le CEMAAE en ces termes : « ce qui se joue durant VOLFA et dans nos exercices quotidiens est factice. Les missiles sont simulés. Mais nous ne jouons pas ! Car les défis sont bien réels… Des puissances étatiques réarment et déploient des moyens aériens et anti-aériens de toute dernière génération pour servir leur stratégie du fait-accompli. La liberté de circulation aérienne est menacée. En Méditerranée, ou dans la zone Pacifique par exemple. Les théâtres sur lesquels nous évoluons ne sont plus les mêmes qu’il y a vingt ans. Ils sont de moins en moins permissifs. Nos matériels et nos équipages doivent être prêts à se déployer vite et loin, pour affronter des environnements plus hostiles. »

Pendant cette édition, les participants ont pu s’adonner à des missions de supériorité aérienne, de reconnaissance, de projection de force et de protection de troupes au sol qui s’inscrivent dans la perspective opérationnelle du concept de dissuasion et de défense de la zone Euro-Atlantique (Concept of Deterrence and Defence of the Euro-Atlantic Area ou DDA)[9]. Cette démarche est de nature à favoriser le passage d’une situation normale à une situation de crise et contribue à une forme de dissuasion conventionnelle.

Le concept de DDA © OTAN

Pour les pays alliés, il est essentiel de travailler en permanence sur cette capacité d’intervenir de manière conjointe, avec une masse critique et en parfaite interopérabilité par le biais d’opérations aériennes combinées (dites COMAO pour « Composite Air Operations ») de plus en plus complexes, non seulement parce qu’elles sont de plus en plus intégrées au sol, mais aussi parce qu’elles doivent maîtriser de nouveaux types de moyens et menaces (cyber) et associent différentes générations d’équipements. Si s’entraîner le plus souvent ensemble est considéré essentiel « pour maintenir le niveau », c’est encore plus le cas cette année avec la Covid de façon à « compenser le confinement », ainsi que l’a souligné le général Matthieu Pellissier, Commandant des forces aériennes, en mettant en avant le double focus porté pendant cet exercice sur le « C2 (commandement et conduite) et opérations multi-domaines ».

Ainsi, dans le domaine de la défense anti-aérienne et pour l’EDSA (Escadron de défense sol-air) ayant mis en œuvre pour l’occasion huit sections MAMBA et dix-sept Crotale NG, des radars et une station de brouillage, « ce qui s’est joué avec VOLFA était de tester notre capacité à assurer une protection multicouches – y compris basse altitude face au risque que posent les drones – et la chaîne C2 OTAN passage temps de crise-temps de guerre »[10]. Pour le commandant Nicolas, Mont-de-Marsan est ainsi le site rêvé pour ce type de travail collaboratif avec les avions en raison de l’espace disponible et de la proximité du champ de tir le plus grand du pays, même si des progrès restent à faire en termes de mobilité et de réactivité aux scenarii joués par rapport aux procédures d’autorisation de déploiement. L’évolution de la menace balistique (en particulier à courte portée) entraîne l’évolution actuelle de la doctrine d’emploi dans le domaine de la défense antimissile en liaison avec l’emploi conjoint des chasseurs et ce type d’exercice permet d’identifier les zones de perfectionnement. Ce travail collaboratif a également eu lieu entre l’EDSA et l’ESADA (Escadre sol-air de défense aérienne – 1er Régiment d’artillerie de l’air) de la base aérienne (BA) 702 « Capitaine Georges Madon » d’Avord, laquelle avait déployé « deux dispositifs de défense sol-air sur la base aérienne 113 de Saint-Dizier et en terrain libre dans les Combrailles d’Auvergne ». VOLFA a également permis de tester la capacité de projection des systèmes d’armes en réalisant pour la première fois deux missions d’aérotransport de modules MAMBA (shelter et véhicule porteur/système de lancement missiles) par A400 M « en respectant les modes opératoires de chargement dans l’A400M qui avaient fait l’objet d’essais au sol sur la BA123 d’Orléans »[11].

Présentation des missions VOLFA de l’EDsa 12.950 Tursan et du système SAMp/T MAMBA
© CESA, armée de l’Air, BA 118, 7 octobre 2020

Jeannette ou la fin du « knock-it-off »

VOLFA est ainsi un exercice permettant dans les mots du CEMAAE de « planifier, exécuter et fédérer ». Mais une telle fédération est rendue possible grâce à la mise en œuvre de nouveaux logiciels par le Centre expert du combat collaboratif (CECC ou DMOC pour « Distributed Mission Operations Center ») créé en 2018 et localisé sur la BA de Mont-de-Marsan, en l’occurrence TacView et Jeannette.

TacView, outil de visioconférence créé par un jeune Capitaine s’inspirant des « serious games », permet de façon très économique (par rapport à d’autres systèmes existant sur le marché) de restituer et de réaliser un débriefing en 3D des missions d’équipages pouvant opérer de façon délocalisée. VOLFA fonctionne en fait ainsi depuis trois ans à partir de forces délocalisées pouvant demeurer dans leurs bases respectives, et l’apparition de la Covid cette année n’a fait, comme dans toutes les armées du monde, que valider et renforcer cette tendance à la numérisation et à la délocalisation[12].

Jeannette est un outil utilisé en amont et pendant l’exercice pour créer et animer des scénarios complexes d’entraînement les plus réalistes possible suivant la philosophie du « Train as you Fight » en intégrant la liaison 16. La grande nouveauté consiste à densifier les missions en mélangeant le réel, le virtuel par le biais de la simulation et le constructif par l’injection d’éléments simulés[13]. Une telle innovation compense non seulement la difficulté pour les pays de s’entraîner ensemble régulièrement pour des raisons de coût, de logistique, de MCO et/ou de pandémie, mais aussi contourne la problématique du manque d’espace aérien et de la sécurité des couloirs aériens (dans le cas de VOLFA édition 2020, dix-sept zones réglementées temporaires ont été nécessaires[14]), sans compter les besoins de classification inhérents à ce type de démonstrations, ou encore – tout simplement – les aléas météorologiques qui entraînaient, avant la mise au point du concept de LVC (« Live Virtual Constructive ») l’interruption de la mission, le fameux « knock it off » en termes chasseurs…

Ainsi que l’explique le lieutenant-colonel Yann, commandant le CECC, « Jeannette permet par sa fonction « constructive » d’injecter des fausses pistes sur le réseau, qui vont permettre de faire évoluer la mission. Aujourd’hui, un avion de transport devait larguer des parachutistes sur une DZ (drop zone). Si la météo n’avait pas permis de le faire, l’ordinateur l’aurait simulé : la liaison 16 permet en effet à tous les acteurs de voir l’effet simulé, dans ce cas un faux plot. La seule différence est que les Rafale ne le verront pas au radar, mais la mission pourra malgré tout être sauvée. L’Airboss injecte ainsi de nouveaux scénarios dès qu’il l’estime nécessaire pour que chaque minute d’entraînement compte… »[15].  Les données stockées permettent en un deuxième temps d’identifier les lacunes capacitaires éventuelles et l’objectif à l’horizon 2025 est de connecter tous les simulateurs pour réaliser une même mission au même moment.

Crédit illustration © Diginext

Ainsi que l’a souligné le chef d’état-major de l’armée de l’Air grecque – dont la participation à VOLFA était une première et a été remarquée en raison de la commande récente par Athènes de Rafale à la France –  « le nouveau mot est ‘’connectivité’’ ». C’est cette connectivité que Jeannette et TactView autorisent aujourd’hui permettant aux équipages et à tous les acteurs de VOLFA de s’entraîner dans un univers aussi réaliste que possible.

Ainsi que le notent nombre d’experts sur le LVC, il est bien sûr impossible de reconstituer parfaitement les conditions d’un vol en situation de combat (ne serait-ce que pour des raisons évidentes de sécurité), mais l’idée est d’habituer le pilote en particulier à prendre des décisions en un temps de plus en court tout en étant confronté à un nombre toujours croissant de données arrivant de façon simultanée : en résumé, travailler ce que les Anglo-Saxons appellent la « muscle memory »[16], ce que le général Lavigne appelle « les cerveaux et les corps », pour que supériorité aérienne, fluidité et subsidiarité demeurent les maîtres mots de la troisième dimension.

 

Photos # 1 et diaporama : démonstration dynamique et exercice de permanence opérationnelle pendant VOLFA © Murielle Delaporte, BA 118, 7 octobre 2020

 

 

Notes de bas de page et références :

[1] Briefing, BA 118 Mont de Marsan, 7 octobre 2020

[2]  Voir : https://www.defense.gouv.fr/air/actus-air/volfa-2019-c-est-parti-pour-3-semaines-d-entrainement

[3] Voir : https://skywards-review.fr/volfa-2020

[4] Voir : https://www.haf.gr/en/2020/10/haf-s-participation-in-volfa-2020-exercise/

[5]  Voir : https://www.defense.gouv.fr/air/actus-air/volfa-2020-trois-semaines-d-entrainement-intensif-pour-les-forces-aeriennes ; http://www.paxaquitania.fr/2020/10/volfa-2020-en-images.html ;

[6] Voir : https://www.defense.gouv.fr/air/actus-air/la-2e-escadre-de-chasse-dans-l-exercice-volfa

[7] Voir sur ce sujet : https://www.defense.gouv.fr/air/actus-air/exercice-volfa-2020-la-ba-705-au-coeur-du-controle

[8] Allocution du 7 octobre 2020, BA 118 de Mont de Marsan

[9] Le DDA est un concept ayant pour vocation de coiffer les différents plans de défense et de dissuasion de niveau opérationnel à venir, tout en donnant de la cohérence aux différents grands projets de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord). Voir à ce sujet notamment : Press statement by Air Chief Marshal Sir Stuart Peach, Chairman of the NATO Military Committee following the Military Committee in Chiefs of Defence Session (https://www.nato.int/cps/en/natohq/opinions_178033.htm)

[10] Commandant Nicolas, Briefing, Mont de Marsan, 7 octobre 2020

[11] Voir : https://www.facebook.com/pg/baseaerienne702avord/posts/ (post du 20 octobre 2020)

[12] Voir : Matt Medley, The Impact of COVID-19 on Defense Organizations: The Digital Dimension, defense.info, 09/09/2020 (https://defense.info/re-shaping-defense-security/2020/09/the-impact-of-covid-19-on-defense-organizations-the-digital-dimension/)

[13] Voir par exemple : Christopher Best, Science and Technology Enablers of Live Virtual Constructive Training in the Air Domain, Air & Space Power Journal, Winter 2018 (https://www.airuniversity.af.edu/Portals/10/ASPJ/journals/Volume-32_Issue-4/F-Best_Rice.pdf)

[14] https://www.aerovfr.com/2020/09/exercice-militaire-volfa/

[15] Briefing Mont de Marsan, 7 octobre 2020

[16] Connie Lee, Navy Pushed Live, Virtual, Constructive Training, National Defense, 27/11/2018 (https://www.nationaldefensemagazine.org/articles/2018/11/27/navy-pushes-live-virtual-constructive-training)