Reportage photos sur la chaîne santé en Afghanistan réalisé par José NICOLAS.
La Task Force La Fayette, ce sont les unités françaises engagées en opérations en Afghanistan. José Nicolas, ancien sous-officier des Troupes de Marine devenu photographe de guerre chez SIPA Press, indépendant depuis 1995, a accompagné les unités françaises, pendant cette année 2011, depuis leur entraînement à Canjuers jusqu’à leur déploiement, et vécu avec eux des moments dramatiques, passant par exemple plusieurs heures cloué au sol avec eux sous les tirs. Son témoignage est un témoignage fort et très réaliste.
Simplement baptisé « Task Force La Fayette », son livre, publié aux éditions « Esprit de tous les combats », rassemble principalement les photos de José, sur un texte de Christophe Gautier, mais est complété par quelques photos du sergent Sébastien Vermeille, photographe du SIRPA Terre tué par un IED en Afghanistan le 13 juillet 2011, ainsi que du photographe Rémi Ochlick.
Ce livre est dédié à tous les soldats français morts cette année en Afghanistan, ils sont 76 depuis le début 2001.
José n’a pas découvert ce pays aujourd’hui. Depuis 1984, il a parcouru l’Afghanistan, d’abord avec les maquis qui se battaient contre l’invasion soviétique, celui du pro-occidental Abdul Rahmin Wardak puis celui du fondamentaliste Jalaluddine Haqqani. Il connaît donc bien les Afghans, leur diversité, leurs contradictions, et il a découvert cette nouvelle guerre, une guerre aveugle, symbolisée par cette photo d’un poste d’observation placé sur un promontoire face au vide absolu.
« L’engagement des militaires n’est pas en cause, au contraire leur dévouement est total, raconte-t-il. Mais avec la tactique de rester enfermés dans les FOB (Forward operating bases) et d’éviter le contact pour limiter les pertes, il arrive à beaucoup d’entre eux de passer six mois dans ce pays sans voir un seul insurgé, un seul rebelle, et ils finissent par ne plus comprendre ce qu’ils font là ».
Les rares rencontres se font dans les villages traversés au pas de charge, avec des fouilles qui sont autant de malentendus possibles, mais pas d’échanges réels avec la population. Comme si les militaires étaient à côté du pays, sans le voir.
« Elle a commencé dans la nuit du 7 août ; les hommes du 152° régiment d’infanterie, du 19° régiment du génie ainsi que les légionnaires-parachutistes du 2°REP participaient à cette opération de reconnaissance d’une position fortifiée afghane et de recherche d’armes ou d’engins explosifs dans la vallée de Tagab, à l’est du pays. C’est au moment où nous quittions une zone qui venait d’être fouillée que nous avons été pris à partie par un groupe d’insurgés, vers le village de Nawrozkhel ».
« En un moment, ça tirait de partout. On nous a fait coucher sur le sol et préparer un repli en courant, à découvert. Nous sommes restés coincés trois ou quatre heures, alors que nous devions être 250 ou 300, avec les soldats du 15/2, du 19e RG et du 2e REP, contre un groupe d’insurgés mobiles et qui changeaient sans cesse de position. Les Français de la Force Raptor avaient le soutien d’hélicoptères Tigre, de mortiers et de canons de 105. Malgré cela, on a évité le contact pour limiter les pertes ».
Les pertes, ce jour-là, ont quand même été de deux morts et six blessés au moins, malgré la supériorité numérique et de puissance de feu. Ses photos montrent une compagnie aplatie entre deux murets, puis l’évacuation d’un blessé. Certaines photos sont floues, il les a laissées, ce sont des documents : il courait, aussi chargé que les autres, aussi plié en deux que les autres pour échapper aux balles en traversant le wadi à découvert, difficile de faire une mise au point quand on n’a pas deux secondes. C’est du combat réel.
Il n’a pas eu peur ? « La vraie peur c’est de perdre une jambe ou un bras, de revenir handicapé ; sinon j’ai accepté le risque, comme les autres, et j’ai admiré le courage même des plus jeunes des diables rouges du 152° RI à vouloir repartir sous le feu pour ramener leurs camarades légionnaires blessés ». Soldats et cadres ont sans doute apprécié son propre courage, son aptitude opérationnelle. Toujours est-il qu’il a su progressivement capter leur confiance et que beaucoup se sont livrés à lui. Ce qui nous vaut une belle galerie de portraits d’hommes et de femmes de « Raptor », des services de santé, de l’ALAT. Mais aussi, ce n’est pas dans le livre, un flux de messages et de correspondances échangés par Internet encore aujourd’hui.
« Ils reflètent une fierté, celle de leur engagement, mais aussi un malaise, celui de ne pas être compris, celui de ne pas comprendre eux-mêmes. Avec une population prise en otage et qui paie le prix fort, des Talibans insaisissables, une armée afghane encore inconsistante… » Alors que conclut-il de son expérience ? « Que les soldats français sont des combattants formidables mais qu’il ne faut pas les tromper sur cette guerre incertaine ».
Veut-il dire que la coalition occidentale risquerait de perdre de sa légitimité ? Prudent, José refuse de se laisser entraîner sur le plan de la stratégie. Mais reste sur celui du bon sens, qu’il maîtrise indubitablement : « ce déploiement a généré toute une économie parallèle, mais il ne faut pas que ça en devienne la justification. En plus, trop de gens ont des certitudes. Il n’y a rien de pire dans une guerre que des certitudes : avec des doutes ont peut espérer gagner, avec des certitudes sûrement pas ». Ses photos ont un mérite, elles permettent en tous cas de se poser des questions.
Source : Pierre BAYLE (Pensées sur la planète)
« Afghanistan: Task Force La Fayette », Edition l’Esprit de tous les combats, 256 pages et 480 photos.