Par le Dr. Romain Petit – Les doctrines russe et chinoise prônent l’instauration d’un nouvel ordre géostratégique mondial : la vision chinoise d’un nouvel ordre mondial selon Xi Jinping  (2/3)

Cet article est le second de notre série « anatomie des conflits contemporains ».

Cette seconde partie fait le point sur la stratégie globale d’instauration d’un nouvel ordre mondial mise en œuvre par Xi Jinping.

La Chine de Xi Jinping a pour ambition de devenir la première puissance mondiale à horizon 2049, année du centenaire de la création de la République populaire de Chine-RPC. Pour ce faire, cette dernière doit poursuivre sa quête de devenir une puissance globale, c’est-à-dire s’affirmer dans les domaines politique, militaire, économique et culturel.

Côté politique étrangère, la Chine s’affirme à l’instar de la Russie comme une puissance contestatrice de l’hégémonie américaine et occidentale et de la prévalence de certaines institutions, telles l’ONU (contestation du Droit international public, promotion du Lawfare ou guerre du droit et par le droit).

Elle est donc moteur au sein des BRICS + et de l’OCS dans la promotion d’un autre ordre géostratégique mondial plus aligné sur son agenda dans le cadres des institutions internationales existantes. Cet agenda passe par la mise en avant du concept de Sud Global et du rapprochement de la Chine avec des pays qui ne remettent pas en cause la nature autoritaire du régime de Pékin. Par ailleurs, les relations internationales pour la Chine sont pensées depuis une vision préférentielle – voire prédatrice – mettant cette dernière au centre d’une série d’accords et de traités bilatéraux tendant à exclure l’influence de l’UE, ainsi que de l’OTAN, alors qu’officiellement Pékin défend une vision des relations internationales d’essence polycentrique et harmonieuse.

Tentant de contrer le pivot géostratégique américain vers l’Asie et l’Indopacifique, les chercheurs chinois ont remis au goût du jour la stratégie de la ligne extérieure héritée de Mao qui pourrait tenir en une formule : « il faut attaquer l’ennemi là où il est faible ». Il s’agit de promouvoir de nouvelles lignes de contestation de la suprématie américaine et de déstabilisation de l’Occident ceci afin de desserrer l’étau et amoindrir la pression que font subir les Etats-Unis sur le flanc est de la Chine (ex : mise en œuvre par le gouvernement chinois des stratégies dites du collier de perles (1) et ligne en 9 traits (2)).

Pour contrer ce qu’elle décrit comme la stratégie d’encerclement adoptée par les Etats-Unis pour lutter au lendemain de la Seconde guerre mondiale contre le communisme dans cette partie du monde, la Chine souhaite donc promouvoir un nouveau maillage d’alliances avec le Sud Global, pendant de la Majorité mondiale russe, afin de renverser la domination occidentale une fois la suprématie américaine diminuée. Jouant habilement sur la promotion de la « civilisation écologique » et sur le développement massif de la surveillance numérique des populations, la Chine entend proposer un modèle de puissance décarbonée qui romprait avec le modèle de la puissance américaine reposant sur les énergies fossiles. Cette vision idéale et idéologique ne résiste pas à l’analyse tant la Chine use et abuse d’énergies fossiles, notamment le charbon, pour poursuivre sa stratégie de développement économique et énergétique.

Côté économie, la Chine poursuit le développement de ses nouvelles routes de la soie, (One Belt, One Road devenue en 2017 la Belt and road initiative ou BRI (3)) et appuie et contrôle le développement de ses géants économiques que sont les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) concurrents directs des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) américains. N’oublions pas également que la Chine demeure le second plus grand détenteur étranger de la dette américaine et que même si Pékin délaisse discrètement pour le moment cette dernière, cela reste une menace pour les Etats-Unis. Enfin, n’oublions pas que la BRI est étroitement liée au plan Made in China 2025 qui a pour objectif de réduire la dépendance technologique de la Chine et d’en faire un leader mondial du domaine, comme en témoigne le développement de la 5G de Huawei au sein des pays partenaires de la BRI.

Culturellement parlant la Chine fait reposer sa stratégie d’influence sur trois leviers principaux que sont :

  • les instituts Confucius ;
  • le réseau de télévision international China Global Television Network (CGTN, anciennement CCTV International) ;
  • et les studios de cinéma de Hengdian, qu’on surnomme le « Hollywood chinois » : on y trouve notamment des studios à perte de vue sur plus de 3 330 hectares et une réplique grandeur nature de la Cité interdite.

Les instituts Confucius sont intéressants à maints titres, car derrière les buts affichés et assumés (dispenser des cours de chinois, soutenir les activités d’enseignement locales, délivrer les diplômes de langue HSK et participer à la diffusion de la culture chinoise), ces derniers fonctionnent également comme de véritables outils de propagande, voire de surveillance et d’espionnage, à tel point que les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Belgique ont notamment fermé leurs instituts Confucius.

Pékin défend également la promotion d’un nouveau type de relations internationales et d’un nouveau système de gouvernance mondiale reposant sur la notion de communauté de destin de l’humanité. Reposant sur l’un des poncifs les plus éculés du communisme, à savoir l’amitié entre les peuples et la promotion de la paix dans le monde, Pékin renforce ses actions d’influence et d’ingérence auprès de personnalités publiques et politiques à la fois d’envergure nationale et locale.

De facto, les grandes stratégies russe et chinoise reposent à la fois sur des concepts et éléments doctrinaux assumés et assumables et sur des capacités offensives de déstabilisation et de contestation hybrides. En effet, ainsi que nous le verrons, tant la Russie que la Chine n’hésitent pas à faire usage de techniques, de procédés et de méthodes qui relèvent tout à la fois de la subversion, de l’intimidation, de l’influence, de l’ingérence voire pire, ce que d’aucuns nomment aujourd’hui « Sharp Power » (4).

 

Notes de bas de page :

(1) La stratégie du collier de perles est une expression désignant l’installation par la marine de guerre chinoise de points d’appui (les « perles ») le long de sa principale voie d’approvisionnement maritime vers le Moyen-Orient. Pour la Chine, cette stratégie consiste dans la construction, l’achat ou la location pour de longues durées d’installations portuaires et aériennes échelonnées jusqu’en Afrique, pour protéger ses intérêts commerciaux en mer.

(2) La ligne en neuf traits ou langue de bœuf est la démarcation indéfinie délimitant une portion de la mer de Chine méridionale, sur laquelle la Chine affirme détenir une souveraineté territoriale. La Chine défend ses revendications par l’installation de bases fixes, notamment celles de la grande muraille de sable au mépris de la convention de Montego Bay.

(3) La nouvelle route de la soie est un ensemble de liaisons maritimes et de voies ferroviaires entre la Chine, l’Europe et l’Afrique passant par le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la république de Djibouti et le Somaliland. Ce projet englobe plus de 68 pays et représente 4,4 milliards d’habitants et 40 % du PIB mondial.

(4) Christopher Walker et Jessica Ludwig ont popularisé le terme « Sharp Power » en 2017 dans un article du magazine Foreign Affairs décrivant les politiques agressives et subversives employées par les gouvernements autoritaires. 

A suivre : les stratégies hybrides russes et chinoises

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