Inclassable et indomptable ! Voilà certainement deux qualificatifs qui pourraient servir au portrait de Georges Benjamin Clemenceau, qui fut un homme politique à l’humour incisif autour notamment de la célèbre formule : « La guerre, c’est une chose trop grave pour la confier à des militaires ! ».

De retour au pouvoir en qualité de président du Conseil et ministre de la Guerre le 17 novembre 1917, Clemenceau s’affirmera comme un président belliciste assumant la position radicale de la guerre à outrance à une heure où Charles Ier d’Autriche avait entamé des pourparlers de paix secrets avec Poincaré.

Celui qui allait passer de « Tigre » à « Père la Victoire » n’eut qu’une seule obsession une fois redevenue Président du Conseil : « Vaincre pour être juste ». Sa détermination fut un élément fondamental dans la victoire des alliés de 1918.

L’inclassable vendéen

Fils d’un médecin vendéen, Clemenceau fit lui-même des études de médecine avant de se lancer en politique. Il fut maire de Montmartre durant la Commune de Paris et se bâtit une fois élu député pour l’amnistie des communards. Chef de file des républicains radicaux, il s’opposa à Gambetta, chef de file des républicains « opportunistes » qu’il jugeait trop timoré et pragmatique. Ardent défenseur de la séparation des Eglises et de l’Etat, de l’interdiction du travail pour les enfants en dessous de 14 ans et de la suppression du Sénat, son nom reste associé à celui de Dreyfus et de Zola qu’il défendit dans son journal L’Aurore notamment en publiant le célèbre article J’accuse dont il est, par ailleurs, l’auteur du titre. Bien que pouvant être qualifié de Président du Conseil le plus à gauche de la IIIe République, Clemenceau aimait l’ordre et l’ancien ministre de l’Intérieur, « premier flic de France », que l’on surnomma le « Tigre » donna son nom aux premières brigades mobiles dont il fut le créateur[1].

Lorsque la Grande Guerre éclata, Clemenceau fut dès le début du conflit aux antipodes de toute position pacifique et n’eut de cesse de défendre l’Union sacrée et de réclamer la prééminence des civils sur le Grand état-major. Une fois redevenue Président du Conseil en novembre 1917, il mit en pratique ses plus profondes convictions, sans compromis et avec une intraitable volonté qui transcendait tous les calculs partisans et électoralistes ce qui lui vaudra la défiance des socialistes qui lui refuseront la confiance lors de son discours d’investiture à la Chambre.

Du « Tigre » au « Père la Victoire »

Redevenu Président du Conseil et chef de guerre, Clemenceau n’aura de cesse de traquer les embusqués, les défaitistes, les pacifistes et les incompétents, menant une campagne énergique pour le soutien du moral des troupes et de l’arrière. De fait, Clemenceau depuis le début de la Grande Guerre, à la fois dans ses articles au sein du journal L’Homme enchaîné et comme président de commissions au Sénat ne cessera de harceler les hommes au pouvoir dont le Président Poincaré. Subtil tacticien, Clemenceau s’imposera ainsi comme homme providentiel et aura donc à cœur de prouver sa différence une fois de nouveau aux affaires. La composition de son cabinet fait de comparses n’aura qu’un but : renforcer son autorité afin notamment de lui permettre de passer outre le Comité de Guerre et d’imposer son autorité.

Intransigeant et totalement engagé dans la conduite de la guerre, Clemenceau restaura la confiance et mena une politique de salut public qui porta ses fruits durant l’année 1918. Soucieux de faire montre d’exemplarité et de s’attirer la sympathie des poilus, il suscita l’affection de ces derniers lors de ces nombreuses visites de tranchées[2] où ce dernier prit notamment l’habitude de ne jamais se coiffer d’un casque. En ce sens, Clemenceau retint la leçon de Pétain, bien que les deux hommes ne s’appréciaient guère, qui sut se faire apprécier de la troupe après les mutineries de 1917 en améliorant l’ordinaire et en multipliant les visites auprès des régiments.

Parfaitement lucide quant au caractère déterminant de la force morale dans la conduite des hostilités, Clemenceau savait qu’il fallait être celui qui aurait la volonté de tenir le plus longtemps dans cette guerre des nerfs que fut pour les politiques « 14-18 ». Cette ténacité fera même écrire à Guillaume II dans ses mémoires : « La cause principale de la défaite allemande ? Clemenceau… »

Le peuple ne s’y trompa qui l’affubla du surnom de « Père la Victoire ». Force est de constater que Clemenceau joua un rôle considérable pour la création d’un commandement unique interalliés qui fut déterminant dans la conduite des hostilités. Il se bâtît aussi pour imposer à sa tête le général Foch, préféré à Pétain, comme généralissime des armées alliées. Même durant les heures sombres de mai 1918 où la percée allemande sur l’Aisne fait craindre le pire, il soutiendra toujours Foch ainsi que Pétain n’hésitant pas à monter à la tribune de la Chambre pour couvrir les choix de ces derniers…

Le dernier combat de Clemenceau durant la Grande Guerre sera mené contre le Bolchevisme contre lequel il lancera une expédition dans les dernières semaines de 1918 pour soutenir les armées blanches en mer Noire. Cette expédition se soldera par un échec, l’épuisement des soldats et leur incompréhension du bien-fondé de cette opération extérieure conduisant à de nombreuses mutineries.

Clemenceau demeure une grande figure de notre roman national, son courage et la force de ses convictions n’ayant d’égal que la férocité de ses traits d’esprits. Parfois dépeint comme un cynique acerbe et un arriviste sans limites, n’oublions pas de garder en mémoire que parmi les derniers objets qu’il souhaita voir accompagner sa dépouille se trouvait deux bouquets de fleurs desséchées dont un offert par deux soldats sur le front de champagne un jour de juillet 1918…

Sources : Jean-Baptiste Duroselle, Clemenceau, fayard, 1988 ; Pierre Barral, Pouvoir civil et commandement militaire, Presses de Sciences Po, 2005.

[1] Les fameuses brigades du Tigre rendues célèbres par la série télévisuelle éponyme.

[2] Clemenceau consacra un tiers de son temps de président du Conseil à visiter les poilus.

Photo telle que reproduite sur le site: https://www.herodote.net/17_novembre_1917-evenement-19171117.php