Note de synthèse – publiée ici sous la forme de huit brèves – et réalisée au sein de l’Université de Technologies de Troyes (UTT) sous la direction de Romain Petit, Luca Buisson, Léa Dieppois et Silvère Raynaud –
« L’opération spéciale » russe : la menace d’un conflit mondial
Le conflit Russo-Ukrainien a pris une nouvelle tournure le 24 février 2022 lors de l’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes, une opération spéciale selon la Russie. L’Union européenne et les Etats-Unis ont imposé en retour un certain nombre de mesures restrictives à l’encontre de la Russie : des sanctions individuelles, des sanctions économiques et des mesures diplomatiques. Néanmoins, ces sanctions n’empêchent pas la prise de possession russe d’une partie de l’Ukraine et l’OTAN décide d’accentuer son aide militaire69. Au sommet de Madrid, en juin 2022, ses représentants adoptent un ensemble de mesures de soutien qui prévoit que soient livrés des moyens défensifs uniquement. Parallèlement, des drones, missiles et obusiers sont envoyés par les Etats-Unis. De son côté, la France envoie des canons Caesar et TRF1 ainsi que des missiles antichars Milan70. L’Ukraine créée par ailleurs une “légion internationale” pour combattre la Russie. D’après le ministre ukrainien des Affaires étrangères, près de 20 000 combattants étrangers se sont portés volontaires par l’intermédiaire d’internet71.
L’univers du numérique est de fait en effet également concerné, il donne une autre profondeur au conflit. Le 25 février 2022, le groupe Anonymous décide de déclarer une cyberguerre à la Russie, piratant plus de 2 500 sites russes et biélorusses, y compris des sites gouvernementaux, des médias, des aéroports et des banques72. Par ailleurs, le 4 mars 2022, la Russie a mené une attaque contre la plus grande centrale nucléaire d’Europe “Zaporijia”, ce qui a généré un incendie au sein de cette dernière. La menace d’un incident nucléaire pouvant altérer la sécurité européenne et mondiale ne semble pas gêner pour autant la Russie. Tout comme nous le montre le discours de Vladimir Solovyov déclarant : “si la centrale nucléaire de Zaporijia venait à exploser, ce n’est pas grave, les soldats sont protégés.”73
En somme, une plus forte internationalisation du conflit reviendrait aujourd’hui à sa mondialisation. La menace de l’emploi de l’arme nucléaire fait également parti du narratif russe qui prospère sur les toutes les peurs et toute la gamme de la guerre psychologique.
GUERRE DES NARRATIFS, UNE CAMPAGNE MULTIDIMENSIONNELLE
La guerre de l’information75
La maîtrise de l’information, à la croisée entre “Hard et Soft powers”, constitue l’élément clé du conflit en permettant d’imposer sa vision et de faire rayonner son influence pour mobiliser les populations et donner du crédit aux actions choisies. Elle revêt pour cela des dimensions multiples et fait appel à des techniques établies76 :
• La propagande, stratégique quand elle vise à convaincre la population que le gouvernement qui en est l’auteur est le meilleur pour elle, ou tactique quand elle vise à détériorer le moral adverse par des actions ciblées associées à la force;
• La désinformation, toujours mensongère, qui cherche à fausser la perception de la réalité de l’opposant et à le faire douter des intentions malveillantes de celui qui en est à l’origine;
• l’assassinat, l’intoxication ou encore la subversion comme mesures actives pour choquer l’opinion publique, paralyser l’adversaire en le noyant sous la désinformation, ou discréditer la cible afin de s’emparer du pouvoir.
Comme vecteur potentiel de ces actions, on peut citer notamment Sputnik, l’agence de presse multimédia lancée par le gouvernement russe en 2014. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, elle relaye dans tous les pays d’Europe les théories et l’idéologie de Moscou en niant l’implication militaire russe en Crimée, ou en propageant l’idée d’un néo-nazisme endémique en Ukraine. Sputnik vise directement l’opinion avec l’objectif d’atténuer la réaction internationale et limiter le soutien à l’Ukraine, tout en favorisant celui de l’opinion publique russe à une intervention militaire. On a également vu naître sur les réseaux sociaux la stratégie des Trolls : harceler la ligne ennemie en surchargeant la toile d’informations fausses. Ainsi, l’usine à Trolls développée par les Russes relaie en boucle depuis le début de la guerre publications et commentaires douteux s’attaquant au régime ukrainien ainsi qu’aux prises de positions occidentales. En amplifiant et en donnant de la visibilité à des utilisateurs ordinaires et pro-russes, le Kremlin parvient à outrepasser les restrictions mises en place à l’encontre de ses médias en Europe. La Russie s’appuie de plus sur des personnalités reconnues dans les milieux politiques, médiatiques et universitaires, ou sur des hommes d’affaires attachés à Poutine, pour diffuser en masse ses informations. Qu’ils soient anti-américains, défenseurs des négociations avec Moscou, partisans de la théorie de l’humiliation, tous concourent à un même objectif: crédibiliser les actions russes en Europe pour déstabiliser les démocraties occidentales et, à terme, permettre une diffusion de ses valeurs et favoriser l’adhésion à ces dernières.
La maîtrise de l’information permet enfin l’instrumentalisation d’une série de menaces avec l’objectif de limiter les options de réponses occidentales en utilisant un mécanisme relativement simple : pousser les démocraties dans une contradiction morale les obligeant à prendre des décisions qui sont contraires à ce qui est censé être leurs valeurs fondamentales. Guerre oblige, le doute sur la vraie nature des convois russes dits humanitaires77 pousse par exemple l’Ukraine et la communauté internationale à empêcher leur action78.
Notes de bas de page :
68 Conseil Européen « Sanctions de l’UE contre la Russie liées à la situation en Ukraine (depuis 2014) – Consilium ». Consulté le 4 novembre 2022. https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/.
69 Le Parisien (2022, 28 février) « Guerre en Ukraine : qui soutient la Russie ? Qui la condamne ? Le jeu des alliances résumé en une carte – Le Parisien ». Consulté le 4 novembre 2022. https://www.leparisien.fr/international/guerre-en-ukraine-qui-soutient-la-russiequi-la-condamne-le-jeu-des-alliances-resume-en-une-carte-28-02-2022-LFDJC5DIFRF33D76JEDCVELVWM.php.
70 NATO – News: Sommet 2022 de l’OTAN, 28-Jun.-2022 ». Consulté le 4 novembre 2022. https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_196144.htm.
71 Le Parisien (2022, 6 mars) « Ukraine: environ 20000 volontaires étrangers pour se battre contre la Russie, assure Kiev ». Consulté le 4 novembre 2022. https://www.leparisien.fr/international/ukraine-environ-20000-volontaires-etrangers-pour-se-battre-contre-la-russieassure kiev-06-03-2022-VM3GFCJCUNEHNP4UKGQ7PWPPCA.php
72 Le Parisien (2022, 25 février) « Ukraine : les Anonymous se déclarent en «cyber guerre» contre le gouvernement russe». Consulté le 4 novembre 2022. https://www.leparisien.fr/high-tech/ukraine-les-anonymous-se-declarent-en-cyber-guerre-contre-le-gouvernementrusse-25-02-2022-THEV4IWC5JGWNH6KGEJAOO6O3U.php.
73 lindependant.fr (2022, 19 aout) “Guerre en Ukraine : si la centrale nucléaire de Zaporijia explose, les soldats russes “ont des combinaisons de protection” – ». Consulté le 4 novembre 2022. https://www.lindependant.fr/2022/08/19/guerre-en-ukraine-si-lacentrale-nucleaire-de-zaporijia-explose-les-soldats-russes-ont-des-combinaisons-de-protection-10496076.php
74 Le Club des Juristes (2022, 30 septembre) ”Menaces nucléaires de V. Poutine : un droit international existant mais qui n’est pas tout puissant – ». Consulté le 4 novembre 2022. https://www.leclubdesjuristes.com/ukraine/menaces-nucleaires-de-v-poutine-un-droitinternational-existant-mais-qui-nest-pas-tout-puissant-par-nicolas-haupais/
75 J.Staron. “Russie-Ukraine : une bataille d’influence, de communication et des perceptions”. Dans revue Défense Nationale 202/5 (N°850) page 21 à 26)
76 Petit, Romain (2019, 6 aout), “Qu’est ce que la guerre psychologique”; operationnels.com https://operationnels.com/2019/08/06/quest-ce-que-la-guerre-psychologique-1-3/
77 Chesnot, Christian (2022, 8 mars) “Guerre en Ukraine : les convois humanitaires ou le syndrome syrien” France Info https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/guerre-en-ukraine-les-convois-humanitaires-ou-le-syndromesyrien_4974486.html
78 20minutes (2014, 16 aout); “Ukraine: Le convoi russe est toujours bloqué à la frontière” 20minutes.fr ; https://www.20minutes.fr/monde/1429035-20140816-ukraine-convoi-russe-toujours-bloque-frontiere