Capitaine, comment procédez-vous pour assurer le soutien de vos opérations ? D’un point de vue purement logistique, quels sont les défis que vous rencontrez spécifiquement en raison du problème d’insularité en termes de délais de projection et d’acheminement de renforts potentiels et de matériels ? En cas de crise s’installant dans la durée, comment assureriez- vous par exemple une permanence d’action ?
La situation à La Réunion est stable : il n’y a ici ni grand banditisme, ni délinquance organisée. Les types de situation grave auxquels nous sommes confrontés relèvent plutôt de la prise d’otages intra-familiale, d’individu retranché, de personnes suicidaires, ou encore de mutinerie de détenus. Dans ces cas de figure, nous intervenons à douze. Je peux au besoin faire appel à un renfort de cinq fonctionnaires de l’unité selon leurs disponibilités. Pour l’instant, nous n’avons jamais eu affaire à des crises dépassant le seuil de nos capacités et de nos compétences. Si nous avions besoin de renforts en cas d’évènement grave, (prise d’otage de masse, crises simultanées dans différentes villes de notre ressort), la Force d’intervention de la police nationale (FIPN) serait déclenchée. Le patron du RAID prendrait la direction des opérations et nous serions renforcés par des effectifs du RAID ou de GIPN métropolitains. Pendant les délais d’acheminement de ces renforts, il nous appartiendrait de confiner autant que possible les lieux de crise, nous resterions bien entendu compétents pour répondre dans l ‘urgence à une situation qui se dégraderait.
La difficulté majeure est l‘étendue de notre territoire de compétence et un réseau routier encombré. L’ouverture d’un nouvel axe routier nord – sud, la Route des Tamarins, a quelque peu amélioré cet état de fait. Néanmoins la projection rapide sur les lieux de crise est une absolue nécessité. Nous bénéficions pour y parvenir d‘un potentiel d’heures de vol sur les hélicoptères de la gendarmerie (EC 145 SAG et Ecureuil V2) comme vecteur de transport : le temps d’intervention de Saint Denis – où nous sommes basés – à Saint Pierre est de une heure trente environ par la route ; ce temps est divisé par deux par hélicoptère. L’emport est limité à l’équipe d’urgence : le chef de groupe ou l’adjoint, un négociateur, un personnel chargé de l’effraction, un binôme d’urgence ou de confinement. Le reste de l’effectif, le matériel de protection et l’armement cheminent par la route. La Réunion est partagée en deux zones de compétences : Gendarmerie et Police. La Gendarmerie posséde un groupe d’intervention (G.P.I.) dédié aux zones rurales. Dans le cas d’une crise grave qui impacterait simultanément les zones police et gendarmerie, l’ Unité de coordination des forces d’intervention (l’UCOFI) serait saisie et aurait en charge la coordination des interventions des différentes unités.
Depuis la départementalisation de Mayotte, notre zone de responsabilité a été étendue officiellement à ce département. Nous sommes compétents sur cette île, où nous n’avons pas eu pour l’heure de crise majeure. Nous avons cependant été projetés douze jours en octobre dernier lors des manifestations contre la vie chère, afin d’éviter les débordements de casseurs. Un avion de ligne de la compagnie Air Austral a été réquisitionné par la Préfecture, afin de nous acheminer (soit un groupe de huit fonctionnaires du GIPN), ainsi que deux sections et un état-major de la compagnie départementale d’intervention (CDI).
« Si nous avions besoin de renforts en cas d’évènement grave, (prise d’otage de masse, crises simultanées dans différentes villes de notre ressort), la Force d’Intervention de la Police Nationale (FIPN) serait déclenchée. Le Patron du RAID prendrait la direction des opérations et nous serions renforcés par des effectifs du RAID ou de GIPN métropolitains. »
En termes d’effectifs et d’organisation, avez-vous connu des évolutions importantes au cours de ces dernières années ? Devez-vous suivre un cursus de formation particulière ?
Notre évolution récente au GIPN La Réunion a en fait suivi celle de la métropole et se caractérise par :
- la création de la Force d’intervention de la police nationale en réponse à la menace terroriste(décembre 2009) ;
- le développement d’un partenariat ou d’une convention avec les SMUR (Structure Mobile d’Urgence et de Réanimation) locaux : à La Réunion nous avons créé en 2011 le Groupe médical d’intervention de La Réunion – le GMIR – composé de quinze médecins urgentistes du centre hospitalier de Bellepierre, chacun ayant suivi une formation initiale (tactique et armement). Nous bénéficions en échange d‘une formation aux gestes de premiers secours et à l‘évacuation d’urgence. Une séance mensuelle d’entraînement tactique est organisée ;
- une augmentation d’effectifs en réponse à la criminalité croissante ;
- Nous sommes dix-sept opérationnels permanents, dont cinq qui viennent du RAID ou de GIPN métropolitains : nous avons une légère rotation de personnel tous les quatre ans qui concerne une partie de notre équipe, ce qui est excellent, car nous bénéficions ainsi de nouveaux apports. Tous les membres de Groupe d’intervention police ont une formation initiale commune (RAIDGIPN/ BRI – Brigade de recherche et d’intervention) qui se déroule à Bièvres, résidence du RAID.
Nous sommes d’une façon générale très dépendants des formations délivrées en métropole (par exemple les stages de négociation se déroulent au RAID), sauf dans certains cas où il est plus intéressant d’avoir des experts qui viennent sur place. Cela a été le cas notamment pour trois moniteurs guides de haute montagne du Centre national d’entraînement à l’alpinisme et au ski (CNEAS) de Chamonix venus nous former aux techniques d’intervention en hauteur. Un module technique d’intervention en milieu particulier a permis de nous préparer à intervenir dans notre environnement avec ses particularités : ravine, rivière en crue, pont de grande hauteur. Nous sommes susceptibles de porter assistance à des personnes isolées en cas de fortes pluies ou de plan cyclone.
En principe, quarante pour cent de notre temps est prévue pour l’entraînement (activité physique ; tir ; sport de combat ; tactique ; maintien des compétences techniques ; etc). Mais bien-sûr si une mission tombe, comme la protection rapprochée lors d’une visite officielle, il est évident qu’elle se fera au détriment de l’entraînement.
En termes de maintien en condition opérationnelle, quel est votre mode de fonctionnement ?
En matière de transport nous disposons de deux 4×4, un monospace et un fourgon d’intervention pour le matériel lourd d’intervention. D’ici à fin de l’année, nous devrions être équipés d’un véhicule léger blindé (VLB). Ce blindé est en cours de réalisation, sachant que le tout premier est arrivé en 2009 au GIPN de Lyon et que les GIPN 13/33/67 en sont dotés depuis 2011. Il s’agit en fait d’un véhicule de transport de fond, dont la configuration intérieure et les équipements extérieurs sont repensés et adaptés en fonction des missions – cheval de Troyes ; PC opérationnel ; transport de détenus, ou de témoin particulièrement menacé ; pousse-barricade ; effraction de portail ; etc. – . Cette acquisition sera un avantage au niveau de notre sécurité lors de nos interventions en cas d’émeutes ou d’approche sous le feu.
Tout l’entretien du matériel est externalisé localement, car nous n’avons aucune capacité de maintenance en interne. En ce qui concerne le matériel spécialisé, tel que robot de surveillance, caméra perche ou encore lunettes de nuit, les services après-vente sont en métropole. Le temps de réparation et de livraison peut de ce fait s’avérer un peu long. Il s’agit de matériels coûteux que nous possédons pour la plupart en exemplaire unique, les délais de réparation sont en ce sens pénalisants. Les quelques années de retard en équipement sont aujourd’hui comblées et nous bénéficions des mêmes équipements qu’un GIPN en métropole. La caméra perche a remplacé le système de miroirs par exemple, tandis qu’ont été développés les armements à létalité réduite, avec en 2009 l’apparition du Lanceur de balle de défense (LBD 40 mn) équipé d’aide à la visée – ayant pour vocation de remplacer le Flash ball trop imprécis –, et la dotation du pistolet à impulsion électrique (Tazer). Nos moyens de transmission radios ne sont en revanche plus performants par rapport à ceux qui sont disponibles sur le marché. Ceci nous met parfois en difficulté lors d’opérations dans des zones peu ou pas couvertes par notre réseau. À partir de janvier 2013, nous allons être rattachés au réseau Quartz de la gendarmerie, ce qui va nous permettre de passer de l’analogique au numérique et d’avoir un système performant. Une salle de commandement départementale devrait voir le jour. Nos véhicules sont pré-équipés et l’installation des terminaux sera faite par un service technique de la gendarmerie : le nouveau réseau devrait être opérationnel en juin 2013.
« À partir de janvier 2013, nous allons être rattachés au réseau Quartz de la gendarmerie, ce qui va nous permettre de passer de l’analogique au numérique et d’avoir un système performant. Une salle de commandement départementale devrait voir le jour. »
La Réunion diffère-telle de la métropole en ce qui concerne vos activités ou les difficultés que vous êtes amenés à rencontrer ?
En termes d’activités, certaines missions particulières nous sont confiées : il s’agit de missions demandant des compétences, capacités ou matériels spécifiques. Aujourd‘hui, nous sommes ainsi employés pour faire de la lutte anti-incendiaire, la Réunion étant fortement exposée à ce risque. Demain, il pourra s’agir de la fouille d’une ravine à l’accès difficile. Il nous faut être réactifs, car nous sommes mis à contribution au gré de l’actualité. Autre particularité réunionnaise, un négociateur se doit de parler créole. Parmi les cinq négociateurs régionaux, trois sont originaires de l’île. Cette spécialité se professionnalise, en ce sens qu’autrefois le chef de groupe était à la fois chef opérationnel et négociateur. Depuis 2008, chaque GIPN compte un groupe de négociateurs, ces derniers étant en fait des opérationnels prenant la casquette de négociateurs le temps d’une gestion de crise.
Crédits photos © Stéphane Bommert, La Réunion, 31 août 2012