Colonel, quelles sont vos responsabilités et vos missions en OPEX ?
La SSH regroupe cinq fonctions : habillement, matériel de projection, matériels divers, alimentation et vivres opérationnels et condition du personnel en opération.
- La fonction habillement : la règle est que le personnel militaire arrive sur un théâtre d’opération en étant équipé, sauf en effets balistiques soit le gilet pare-balles (GPB) et le casque composite. Notre rôle est de veiller à ce que, dès qu’il pose un pied sur le théâtre, chaque combattant ait son paquetage de combat et ses effets balistiques avant d’être déployé sur le lieu de sa mission. Nous disposons de stocks à cet effet, lesquels couvrent les paquetages classiques, mais aussi les tenues dites spécifiques pour des missions du type déminage ou maintien de l’ordre. S’il manque un effet d’équipement dans nos stocks, je peux le commander en urgence : c’est le cas en ce moment de brodequins à remplacer en raison d’une inadaptation aux températures estivales élevées que nous connaissons ici. S’il s’agit d’un besoin nouveau comme celui-ci, c’est le CICLO (Centre interarmées de coordination de la logistique des opérations) qui est sollicité pour action (avec le CESCOF (Centre d’expertise du soutien des combattants et des forces) en copie) ; s’il s’agit d’une simple demande de renouvellement de matériel, c’est l’inverse : le CESCOF pour action et le CICLO en copie
- La fonction matériel de projection : il s’agit de tout le matériel servant à soutenir une troupe en campagne, lequel est fourni par le Service du commissariat des armées (SCA) et se décline en fonction des effectifs et de leur situation opérationnelle. Cela va du réchaud « trente hommes » (en plus des rations individuelles de combat qui comportent toutes un mini-réchaud), aux remorques multifonctions de dix à cinquante hommes et « modules 150 », lesquels incluent de quoi équiper cent cinquante hommes déployés (tentes, remorque-douches, unité de traitement de linge en campagne – UTLC -, élément tracté réchauffable – ETRAC -, sorte de cuisine roulante). On passe au seuil supérieur avec l’introduction d’éléments plus lourds, lorsque l’on commence à basculer dans la durée sur un théâtre davantage stabilisé. C’est là où la grande difficulté réside en termes de planification, car il n’est pas toujours facile de prévoir la durée et l’évolution d’un engagement des mois à l’avance : c’est ce qui s’est passé au Tchad où les troupes sont restées sous tente pendant six à huit mois, mais cette expérience a contribué au développement de tentes nouvelle génération par le CESCOF (Centre d’expertise du soutien des combattants et des forces) permettant le passage entre rusticité et hébergement en dur. Lorsque cette bascule dans la durée et « dans le dur » a lieu, on passe à du gros matériel : il s’agit des éléments lourds de cuisson (ELC 500), des unités mobiles boulangerie de campagne (UMBC), qui sont si importantes pour le moral des troupes, mais aussi des containers frigo. Tout ce matériel et leur climatisation nécessitent un certain entretien dont s’occupent des électromécaniciens frigoristes. On en compte cinq à Warehouse (pour le NTi2), deux à Nijrab, deux à Tagab et deux à Tora (pour le NTi1).
- Le matériel divers SH : il s’agit du couchage et de l’ameublement, l’expression de besoin étant réalisée par l’EdA (Économat des armées).
- L’alimentation et les vivres opérationnels : nous faisons ici de la gestion de stocks de sécurité prévus pour quinze jours. Le CESCOF détermine les rations de combat individuelles (RCI) en fonction des besoins et le réapprovisionnement vient d’Angers.
- La condition du personnel en opération (CPO) : trois sources de crédit différentes – le BOP Opex (budget opérationnel de programme des Opex), l’ASA (action sociale aux armées) et le welfare (ressources dégagées par le foyer du site, qui viennent ici de la contribution des commerçants des petits marchés afghans que l’on trouve sur les bases) – financent tout ce qui peut contribuer à la vie quotidienne des personnels déployés en OPEX longue durée. Il s’agit de l’aménagement de foyers (nous venons ainsi d’inaugurer une petite bibliothèque ici à Warehouse) et de points de convivialité en les équipant de petit électroménager (cafetières) et de postes de télévision (pour lesquels il faut un abonnement, une parabole, un démodulateur et un réglage d’antenne : nous avons recours à un service local externalisé fréquemment mis à contribution en Afghanistan en raison des vents forts). Mais il s’agit aussi, adaptation générationnelle oblige, de forfait téléphonie et internet indispensable pour le lien aux familles. Ces services sont achetés sur place auprès de petits marchés locaux, mais c’est surtout EADS qui fournit les cartes qui seront distribuées à chaque personnel. À raison d’un budget semestriel de l’ordre de deux à deux millions et demi d’euros, l’Afghanistan est ainsi le seul théâtre où sont pris en charge intégralement la connexion à internet et cent quatre -vingt minutes de téléphonie par mois par personne. Astrium doit remplacer le système actuel à Warehouse et KAIA, en raison du blocage de réseau occasionné par les téléchargements : c’est le nouveau contrat Passerel qui va proposer un forfait avec options.
« En matière d’expression des besoins sur le théâtre, il y a l’avant et l’après- Afghanistan. (…) L’amélioration de la protection et de la performance du combattant passe à tous les niveaux par une complexification du MCO et de la formation du personnel de maintenance. »
Quel est l’impact du processus de désengagement sur votre mission, dans la mesure où vous devez faire face à un redéploiement du dispositif devant intégrer départs et arrivée de renforts dans des délais rapides ?
L’impact du désengagement se fait sentir pour nous à trois niveaux : le premier est lié à la réorganisation de notre dispositif consécutif au désengagement des FOB (Forward Operational Bases ou bases avancées) et qui suppose un regroupement sur Warehouse. La construction de nouveaux bâtiments (un de quatre-vingts lits pour l’état-major et deux de cent trente personnes) est ainsi en cours et nous devons préparer leur équipement. Le second est l’« effet tiroir » induit par les départs et les redéploiements : nous sommes en train de fermer les COP (Combat Outpost) d’Anjiran et Uzbeen, tandis qu’à Surobi [FOB Tora], nous fermons la boulangerie et Sodexo qui s’occupait de l’ordinaire part prochainement 1 : nous devons donc alimenter le personnel restant pendant cette période de transition pour clôturer nos emplacements avec des RCI. La fermeture de Surobi nous contraint également à équiper le COP Naghlu qui ne fermera qu’en novembre : situé à dix kilomètres de là, Naghlu dépendait en effet jusqu’à présent de Surobi notamment pour le pain, le blanchiment du linge et l’antenne internet. Le troisième niveau est celui du processus de retrait en lui-même, lequel suppose un inventaire et une organisation de mise en containers qu’il faut absolument maîtriser dès le début en raison d’un calendrier de désengagement soutenu. La première question est celle de savoir ce qui reste sur le théâtre et ce qui repart. Si un matériel est réformé, il peut être soit détruit sur place, soit vendu aux enchères (mais il faut avoir un peu de temps pour organiser cette démarche), soit cédé aux autorités locales ou à des tiers type ONG (Organisation non gouvernementale) : cette décision relève de la Dircom (direction du commissariat), laquelle s’occupe notamment des finances et des passations de marchés sur le théâtre. La seconde question est de savoir comment trier le matériel retournant en France : étant donné le rythme de la manoeuvre logistique, la mise en container doit s’effectuer sur FOB avec un contenu reconditionné, puis trié par typologie de matériel et par destination entre établissements de marque et établissements de maintenance : par exemple tous les containers habillement seront expédiés à Mourmelon. Nous disposons d’une bonne marge de manoeuvre sur le théâtre, car nous avons dégagé l’excédent : il ne reste qu’une trentaine de véhicules (remorques) et environ cent quatre-vingt-dix TC, ce qui n’est pas énorme sur un théâtre comme celui-ci. Notre priorité actuellement est de faire en sorte que cette mise en containers soit la plus exacte possible, afin de disposer le matériel en partance pour la France sur les zones de stockage (ZRA), après quoi il partira par Antonov 124 sur Al Dafra en Arabie Saoudite, puis par bateau, en attendant que d’autres voies d’acheminement s’ouvrent progressivement.
Notre souci, comme nous restons jusqu’à la fin, est de ne pas laisser trop de matériel sur le théâtre, ce qui n’est pas toujours possible : lors du départ précipité de Gwan l’an dernier, nous avons été contraints de laisser une remorque-douche.
Le reconditionnement des GPB : « presqu’un métier à part entière »
Entretien avec le Sergent T.
En matière d’expression des besoins sur le théâtre, il y a l’avant et l’après-Afghanistan, avec de l’avis du colonel Bergé le tournant d’Uzbeen, qui fut le malheureux catalyseur d’avancées radicales dans le domaine des effets balistiques. Les exemples sont nombreux, mais l’évolution des gilets pare-balles/pare-éclats est particulièrement révélatrice : depuis 2010, les améliorations sont constantes tant au niveau protection (requis en opération, le classe IV v2 actuel peut arrêter du 9 mm) que confort (ajout de bandes antidérapantes pour bloquer la crosse du FAMAS afin de mieux épauler ; mousse pour éviter les coupures au niveau du cou ; plaques de céramiques mieux adaptées pour les femmes ; etc). Mais cette réaction permanente a un revers en termes de MCO, ainsi que le souligne le sergent T, technicien formé spécifiquement et chargé du reconditionnement des GPB au sein des ateliers SH de Warehouse : « Nous devons gérer actuellement six modèles de GPB différents, qui ne viennent pas tous du même fabriquant. La différence entre les GPB ancienne génération F3 et les GPB derniers modèles est que rien ne pouvait se détacher des premiers, sauf le porte-chargeur ; aujourd’hui il nous faut faire un suivi comptable d’un nombre croissant de pièces détachées que les combattants prennent parfois pour du consommable. Or, nous ne pouvons pas remettre un gilet en service, s’il est incomplet. Il faut en moyenne vingt minutes pour contrôler chaque GPB au niveau des plaques, du pare-cou, etc. S’il n’est pas conforme parce que trop endommagé, il sera réformé et brulé de façon à ne rien laisser aux insurgés. C’est un travail important, mais notre équipe de huit personnes y suffit. » Une fois triés sur le théâtre, les GPB sont expédiés à Mourmelon où existe maintenant un atelier de reconditionnement spécialisé, qui va pouvoir recréer des GPB complets avec des éléments constitutifs. « Les plaques céramiques abimées sous l’effet de chocs violents sont écartées et le CESCOF doit passer un marché pour que cellesci puissent être refondues et remodelées, afin d’être réutilisées sur le théâtre », précise le colonel Bergé. L’amélioration de la protection et de la performance du combattant passe ainsi à tous les niveaux par une complexification du MCO et de la formation du personnel de maintenance.
Crédits photos © Sandra Chenu Godefroy, Base d’Istres, 24 août 2011