Crédits photos © OTAN
Depuis sa prise de commandement d’ACT (Allied Command Transformation) en septembre 2012, le général Paloméros mène une double action : assister les forces de l’OTAN en opération (notamment par la formation des unités déployées en Depuis Afghanistan) et préparer ces forces pour le court et moyen termes. Deux chiffres illustrent l’immensité du défi en jeu :
• Sur les vingt prochaines années, 80% des matériels utilisés par les pays de l’OTAN existent déjà ou sont programmés : de la sélection présente des 20% restant dépendent donc non seulement l’optimisation des équipements actuels – notamment par une meilleure interopérabilité et c’est tout l’objectif de l’Initiative des forces connectées (CFI : Connected Forces Initiative) -, mais aussi la capacité opérationnelle des forces de demain : identifier les programmes porteurs notamment au travers de la Smart Defense
• le soutien et la logistique y tenant une part essentielle et novatrice -, mais aussi les technologies de rupture en multipliant les échanges avec le monde civil font ainsi intégralement partie de la mission d’ACT.
• 90% des capacités de l’OTAN proviennent aujourd’hui des nations, la part du socle OTAN s’étant peu à peu réduite avec la fin de la Guerre froide et l’évolution des engagements de l’Alliance. Le général Paloméros s’est donc efforcé dès 2012, selon sa propre expression, de « semer les graines » pour une Alliance du futur « où chacun prend ses responsabilités », où il est davantage question de partage des tâches et des missions (Task-sharing) que du partage de fardeau traditionnel (Burden-sharing) : réaligner les capacités nationales et les capacités de l’OTAN, afin d’éviter les ruptures capacitaires et assurer la pérennité de l’Alliance à un moment crucial de son existence est le souci constant de SACT. Son effort prioritaire porte pour cette raison sur le développement accru d’une interopérabilité entre alliés – qui a fait en particulier ses preuves en pays afghan et a rendu possible une opération comme Harmattan – tant par le biais d’un calendrier d’exercice ambitieux, nouveau ciment de l’Alliance, que dans l’encouragement de programmes, tels les capacités interalliées de renseignement, observation et reconnaissance (JISR : Joint Intelligence, Surveillance and Reconnaissance), destinés à faciliter le partage des informations non seulement sur le terrain, mais également en amont dans l’anticipation des crises permettant une harmonisation en matière de prise de décision au niveau stratégique.
Dans l’entretien ci-dessous, le Commandant Suprême offre sa vision de l’OTAN à l’horizon 2025 et les outils sur lesquels ACT s’appuie pour que l’Alliance « ne se résume pas à l’addition de moyens individuels » et que « ce processus de transformation permette à chacun de libérer son potentiel de créativité ».
Général, lors la dernière « Chiefs of Transformation Conference » en décembre 2013, vous avez cité un proverbe africain en introduction – « Si tu veux aller vite, marche seul. Si tu veux aller loin, marche avec les autres » – : avec la fin de l’engagement des forces combattantes de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) en Afghanistan, 2014 est une année de jonction pour votre commandement en termes de concrétisation des initiatives qui vous tiennent à cœur. Jusqu’où aimeriez-vous aller dans votre vision idéale d’une OTAN transformée et telle que vous l’imaginez à l’horizon 2025 ? En particulier, quels types d’engagements opérationnels convient-il de préparer : quitte-t-on l’ère des grands engagements et des coalitions massives comme le fut l’Afghanistan pour se diriger vers des coalitions « ad hoc » telles que ce fut le cas pour Harmattan ou Serval et/ou est- il nécessaire de parer à tout scénario ?
Général Paloméros : Avec la fin de l’Afghanistan, l’OTAN est effectivement en train de sortir progressivement d’une période d’engagement opérationnel très dense et en continu depuis une vingtaine d’années. Cette période de transition doit donc nous permettre de préparer l’avenir. Ce qui signifie non seulement re- garder sur le long terme les évolutions en matière de stratégie militaire et les réponses à apporter face aux enjeux stratégiques, mais aussi faire en sorte que l’Alliance soit prête à répondre à toute sollicitation, tel que l’environnement géostratégique d’aujourd’hui peut nous y pousser. L’histoire récente nous a appris qu’il peut y avoir beaucoup de surprises stratégiques. L’alliance doit donc être à même de faire face à ces évolutions plus ou moins imprévues et sans délai. Pour pouvoir répondre à ces enjeux, l’objectif est ainsi de maintenir la crédibilité de nos forces et pour ce faire, de développer et d’entretenir leur interopérabilité, leur ap- titude à travailler ensemble, à optimiser les moyens communs et maintenir une haute disponibilité. Nous devons pour cela tirer le maximum de leçons de tout ce que nous avons appris au cours de ces vingt dernières années, essayer de capitaliser sur ce retour d’expérience qui est une mine de connaissances et de savoir-faire pour se projeter vers l’avenir.
Il est fort probable que les crises du futur ne ressembleront pas aux crises du passé, mais en termes de stratégies et de capaci- tés militaires, nombre de points communs nous paraissent évidents, que ce soit en particulier dans le domaine de l’acquisi- tion et l’exploitation du renseignement – ce que j’appellerais l’anticipation stratégique, à savoir la capacité à se préparer à la gestion des crises en amont -, que ce soit en termes de la souplesse d’emploi nécessaire et indispensable de nos forces et de nos structures de commandement, ou de notre capacité à durer ensemble dans un environnement contraint, en particulier budgétairement parlant. Ceci doit nous pousser évidemment à mieux travailler et préparer l’avenir ensemble, à coopérer et optimiser tous les investisse- ments que nous faisons dans une logique capacitaire pour l’entraînement, pour les exercices, pour le soutien de manière à être plus efficaces.
La clé de l’avenir de l’alliance, c’est la pertinence et l’efficacité.
• La pertinence c’est-à-dire qu’il s’agit d’être prêt à répondre aux défis tels qu’ils se présenteront à nous, en prenant en compte toutes les nouvelles formes de menaces ;
• l’efficacité, je dirais même l’efficience, c’est l’aptitude à le faire en optimisant l’utilisation des moyens et l’emploi des capacités.
L’interopérabilité est en ce sens la véritable clé de cette efficacité. Si nos forces savent travailler ensemble, elles seront plus efficaces et plus souples.
Une des raisons de la réussite d’opérations telles qu’Harmattan et Serval tient à la rapidité du processus de décision français garante d’un effet de surprise crucial pour toute victoire sur le champ de bataille. Qu’en est-il pour l’OTAN qui réunit 28 nations ?
La prise de décision est toujours plus compliquée dans un cadre international et parfois même dans des cadres nationaux, chaque pays ayant son propre système politico-militaire. Le système français a pu montrer son efficacité, mais d’autres pays béné- ficient également de cet atout. Je pense en fait que si nous parvenons à améliorer nos capacités d’anticipation stratégique, le processus de décision en sera grandement facilité. Une partie des difficultés du processus de décision tient à la crédi- bilité du renseignement stratégique que nous pouvons fournir aux décideurs politiques. Si déjà, nous avons cette capacité d’anticipation, les bases d’une discussion au niveau politique sont lancées pour des premières décisions. En revanche, si les politiques sont pris de court parce que nous n’avons pas de moyens d’anticipation stratégique assez performants – ce qui s’est produit par le passé –, la décision politique est extrêmement difficile dans l’urgence. Il faut donc partir du principe que le processus décisionnel est ce qu’il est, que l’OTAN compte 28 pays, et que ce constat est vrai pour toutes les institutions internationales quelles qu’elles soient, l’Union européenne éga- lement. C’est donc effectivement une des contraintes dont il faut tenir compte et voir comment l’alléger. Un des moyens consiste à entretenir un bon dialogue politico-militaire : l’OTAN est de ce point de vue une organisation qui est très adap- tée et a été conçue pour cela en ce sens qu’elle intègre la dimension politique et militaire en permanence au sein de sa structure intégrée. En tant que comman- deurs stratégiques, nous sommes en per- manence en contact avec les décideurs politiques et c’est au final ce qui fait la force d’une organisation comme celle-ci. De nombreux efforts sont par ailleurs en cours en vue d’améliorer cette aptitude à la décision stratégique et politique au sein de l’alliance.
Soldats français et alliés au cours d’une séance de tir sur le camp militaire de Harskamp aux Pays-Bas © NATO
« Avec la fin de l’Afghanistan, l’OTAN est en train de sortir progressivement d’une période d’engagement opérationnel très dense et en continu depuis une vingtaine d’années. Cette période de transition doit donc nous permettre de préparer l’avenir. »
Au début de votre prise de commandement, vous avez identifié la Force de réaction de l’OTAN (NRF : National Response Force) comme le « catalyseur de la réforme » visant à améliorer l’efficacité et la disponibilité opérationnelle des forces de l’OTAN. Comment voyez- vous son rôle dans le cadre de l’Initiative des forces connectées et comment envisagez-vous l’utilisation de la NRF dans un environnement post-ISAF ? Pourrait-elle être utilisée de façon modulaire dans le cadre d’une coalition ad hoc ou est-elle plutôt conçue pour être déployée dans son ensemble pour une mission de sécurité collective ?
La force de réaction de l’OTAN, la NRF, est une organi- sation très originale de par son principe : c’est évidemment une force de réaction immédiate et intensément soutenue, mais qui est d’abord planifiée. Ce n’est pas une force de circonstance, en ce sens qu’elle s’insère dans la planification opérationnelle de l’OTAN avec une certaine vision, puisque tout cela se planifie avec plusieurs années d’avance. La NRF est fondée sur la structure de commandement intégré, mais aussi sur des contributions de forces qui viennent des nations elles-mêmes. Chaque année est mené ce que l’on appelle le processus de génération de force, au sein duquel chaque pays, ainsi que l’OTAN lui-même avec sa structure intégrée, proposent la contribution d’une de leurs composantes destinée à alimenter cette force de réaction. Une fois que cette génération de force est faite, il nous revient d’entraîner ces structures, puis de les certifier. Il s’agit donc d’une sorte de processus de qualité qui est en place et qui permet de garantir aux décideurs politiques et militaires que cette force de réaction rapide qui tourne chaque année est non seulement disponible, mais aus- si qu’elle a la qualité nécessaire et suffisante pour remplir sa mission. Ce processus s’avère donc très avancé et très qualitatif. La phase initiale de génération de forces est évidemment assez difficile, puisqu’il faut convaincre les pays, ou alors aller puiser dans le réservoir de l’OTAN qui n’est pas inépuisable, et ce d’autant plus que l’on vient de le réformer et que les structures de commandement ont encore maigri. Nous sommes donc de plus en plus dépendants des structures nationales, ce qui n’est pas un problème en soi, mais encore faut-il effectivement que les nations contribuent : cela fait partie du dialogue que nous avons avec ces dernières. Ce faisant, nous espérons y gagner en souplesse en incitant au développement d’une force de réaction qui soit effectivement peut-être plus modulable pour répondre aux crises de demain. Se posent la question du renseignement par rapport à l’anticipation de ces dernières, mais aussi la question du soutien de cette force, lequel peut provenir de moyens de soutien intégrés à partir des contributions nationales, ou des moyens collectifs issus des contributions de l’OTAN.
Nous sommes de plus en plus dépendants des structures nationales, ce qui n’est pas un problème en soi, mais encore faut-il effectivement que les nations contribuent : cela fait partie du dialogue que nous avons avec ces dernières. Ce faisant, nous espérons y gagner en souplesse en incitant au développement d’une force de réaction qui soit effectivement peut-être plus modulable pour répondre aux crises de demain.
Pour que tout cet ensemble puisse travailler ensemble, il faut qu’il soit là aussi interopérable, d’où une politique d’exercice et d’entraînement ambitieuse. C’est exactement ce que nous avons proposé dans le cadre de l’initiative des forces connectées (CFI).A la sortie de l’Afghanistan, il paraît essentiel de tirer parti, d’une part, des acquis de pratiquement deux décennies d’opérations et, d’autre part, du fait que nous allons avoir davantage de forces disponibles pour les entraîner. C’est le moment où jamais de réinvestir dans cet entraînement collectif et dans les exercices.Voilà l’ambition majeure de la CFI, car nous devons nous donner toutes les chances pour que la NRF soit l’outil efficace et utile sur lequel nous comptons.
C’est dans cet esprit qu’est actuellement organisé l’exercice Trident Juncture 2015 : il s’agit là d’un exercice extrêmement important, car cela va être le premier exercice de grande ampleur mené en grandeur nature (livex) qui viendra concrétiser l’initiative des forces connectées et la nouvelle structure de commandement. Un exercice de cette nature nécessite près de deux ans de planification, si l’on veut que l’exercice soit utile et efficace. Il ne s’agit pas simplement de générer des forces et de les mettre ensemble, mais d’en tirer le maximum et de les mettre en phase avec notre perception. Exercice de gestion de crise de haute intensité avec projection de force et utilisation des structures de commandement adaptées, Trident Juncture 2015 va se passer dans le sud de l’Europe avec l’Espagne, le Portugal, et l’Italie comme nations soutien et devrait rassembler au moins 25000 hommes. Le but est de tendre vers un exercice très réaliste avec une forte interaction des différents participants incluant toutes les dimensions – terre, air, mer -, les composantes et capacités clés dans tous les domaines en tenant compte à la fois des nouvelles formes de menaces comme la menace balistique, cyber et des formes de menaces plus classiques et en intégrant tous les retours d’expérience. Cet exercice est également important dans sa fonc- tion de certification et de validation de la NRF pour 2016. Il s’agit d’un objectif majeur et d’une responsabilité nouvelle, car ce sera le plus gros exercice organise par ACT.
« La clé de l’avenir de l’alliance, c’est la pertinence et l’efficacité. (…) L’interopérabilité est en ce sens la véritable clé de cette efficacité. »
Si les futures crises, ainsi que le degré de participation des nations et le cadre d’intervention qui prévaudront, sont difficiles à anticiper, ce qui est sûr est que la NRF doit constituer la réponse rapide et efficace de l’OTAN à toute crise quelle qu’elle soit, et s’organiser ensuite en fonction de l’endroit, des intérêts, de la volonté des nations de l’OTAN ou d’autres nations partenaires, voire non partenaires, de s’impliquer dans la crise. Un des objectifs de cette initiative des forces connectées est, dans cet esprit, de faire en sorte que les pays qui souhaitent s’engager puissent venir se « plugger » et venir travailler en coalition avec l’OTAN et avec la NRF. Cette volonté d’obtenir des partenariats utiles et efficaces, fondés là aussi sur l’interopérabilité et sur la contribution des partenaires aux exercices et activités de l’OTAN, fait partie des objectifs de sécurité coopérative qui est une des missions stratégiques de l’Alliance. C’est exactement d’ailleurs ce qui s’est passé en Lybie où nous avons inté- gré de nombreuses forces aériennes de pays partenaires, en l’occurrence qataris, émiratis et, à titre européen, suédoises. Cela s’est également vérifié au fil du temps en Afghanistan avec une contribution de plus en plus forte des pays partenaires et c’est ce que l’on voit aussi dans l’Opération Ocean Shield [de lutte contre la piraterie dans la Corne de l’Afrique] au sein de laquelle un nombre croissant de pays partenaires contribue. Ce qui est intéressant est le fait que cela démultiplie l’effet des forces otaniennes en créant un environnement multinational plus coopératif. La sécurité globale s’en trouve améliorée et le fait que ces forces apprennent à travailler ensemble est un facteur de progrès considérable.
Quand on parle de capacité à durer, il est clair que la contribution de nombreux pays à l’extérieur de l’OTAN est un facteur important. Car lorsqu’il s’agit d’organiser des relèves, comme en Afghanistan par exemple, on soulève la question du partage des tâches et des charges au sens large. Quelle que soit l’opération, lorsque l’on a un partenaire qui veut et sait travailler avec nous, non seulement la charge s’en trouve diminuée, mais la visibilité politique de l’action est accrue.
A la sortie de l’Afghanistan, il paraît essentiel de tirer parti, d’une part, des acquis de pratiquement deux décennies d’opérations et, d’autre part, du fait que nous allons avoir davantage de forces disponibles pour les entraîner. C’est le moment ou jamais de réinvestir dans cet entraînement collectif et dans les exercices. Voilà l’ambition majeure de la CFI, car nous devons nous donner toutes les chances pour que la NRF soit l’outil efficace et utile sur lequel nous comptons.
Exercice Citadel Leopard du 27 mai au 1er juin 2013 © NATO
En termes de capacité à durer justement, allez-vous intégrer les acquis des programmes de Smart Defense en matière de soutien et de logistique (tels que celui piloté par le Service des Essences des Armées dans le domaine du soutien carburant) et d’un exercice comme Capable Logistician 2013 dans l’exercice Trident Juncture 2015 ?
A ACT, nous considérons que la logistique fait partie intégrante du développement des capacités, c’est pour nous un ensemble comprenant la doctrine, l’organisation, l’entraînement, la logistique justement et les équipements : cela fait un tout qu’il ne faut pas dissocier. Chaque pilier, chaque capacité, est aussi important que l’autre et si l’un des piliers est déficitaire, c’est l’édifice qui s’écroule. La chaîne est aussi forte que son maillon le plus faible et la logistique est un maillon essentiel de cet ensemble. Il faut donc que dans nos exercices, notre entraînement, nos concepts, nous donnions une part importante à la logistique dans toutes ses dimensions.
C’est pour cette raison que se sont développés, dans le cadre de la Smart Defense, de nombreux projets multinationaux intéressants touchant à la logistique au sens large (soutien essences, soutien médical, soutien des hélicoptères). Il existe des exemples très concrets de coopération internationale générateurs de gains d’efficacité assez considérables. C’est vrai pour la logistique, mais aussi pour les transports également qui sont associés. Nous avons soutenu l’exercice Capable Logistician, qui était au départ un exercice national pour devenir multi-national. Les procédures otaniennes ont été appliquées dans cet exercice et nous avions des équipes sur place qui ont non seulement veillé à ce que ces procédures soient bien appliquées, mais aussi pour ti- rer les leçons de l’exercice. Le pays hôte qui était la Slovaquie a apprécié le sou- tien et la dimension otanienne : Capable Logistician était presque la préfiguration de l’initiative des forces connectées (CFI). Il s’agit déjà d’un exercice multinational auquel on a donné une dimension otanienne. Et les leçons apprises, liées à l’interoperabilité, aux procédures, à l’organi- sation des structures de commandement logistique ont été extrêmement intéressantes. C’est un sujet compliqué et tous ceux qui ont participé à cet exercice en ont tiré un grand profit. Cela pose des tas de questions qui sont aussi des questions doctrinales et il est pour nous essentiel de faire évoluer nos doctrines en s’appuyant sur l’expérience réelle qu’elle soit en opération ou en exercice. Capable Logistician était un exercice très valorisant permettant d’identifier des domaines où on peut envisager certaines spécialisa- tions et voir si plusieurs nations veulent s’associer dans un domaine (comme dans ce cas précis la Slovaquie et la Ré- publique Tchèque). Cette coopération entre groupes de nations – sur une base de proximité géographique ou de logique capacitaire – correspond exactement au concept de Smart Defense que nous souhaitons promouvoir.
A ACT, nous considérons que la logistique fait partie intégrante du développement des capacités, c’est pour nous un ensemble comprenant la doctrine, l’organisation, l’entraînement, la logistique justement et les équipements : cela fait un tout qu’il ne faut pas dissocier.
Les projets qui touchent au soutien médical sont aussi extrêmement importants et le risque d’aujourd’hui lié aux réductions budgétaires est que la priorité soit donnée aux capacités du haut du spectre et que l’on délaisse plus ou moins ce qui touche au soutien parce que c’est moins visible. Or on sait très bien que si l’on réduit sensiblement ces capacités de soutien, le jour où l’on part en opération, si nos chaînes logistiques sont déficientes et si on n’a pas le soutien médical, c’est non seulement la protection de nos forces qui est en jeu au niveau sécurité, mais aussi l’efficacité opérationnelle de ces forces.
AACT, nous sommes pour l’OTAN les garants de cette cohérence. C’est pour cette raison que je soutiens de nombreux projets de logistique, moins visibles, mais qui fonctionnent bien. Nous avons la chance d’avoir au sein de l’OTAN un Comité lo- gistique au sein duquel les décisions sont prises, ainsi qu’un forum réunissant à la fois la logistique intégrée de l’OTAN et celle des autres pays, lequel promeut l’interopérabilité et la coopération dans ce domaine.
La logistique a toujours été traditionnellement une responsabilité nationale : c’est un fait, mais on se rend de plus en plus compte qu’elle peut donner lieu à un partage et que c’est aussi une responsabilité collective, car toute l’efficacité de l’Alliance en dépend. Secondo, il faut organiser tout le commandement de cette composante logistique et cela fait également partie des attributions de l’OTAN. La logistique est donc importante pour l’OTAN non seulement en termes de conception, mais aussi en termes d’exécution. Tertio, il y a de vraies contraintes budgétaires qui nous poussent à essayer d’harmoniser les choix qui sont faits et de vérifier qu’ils sont bien en cohérence avec nos ambitions. Enfin il faut arriver à concilier les perspectives nationales, chaque pays ayant sa stratégie avec des ambitions différentes, et à tirer le meilleur parti de ce que les uns apportent tout en essayant de compenser le déficit qui existe. Lorsque nous promouvons la flexibilité et la souplesse d’emploi des forces pour essayer de répondre aux crises modernes, cette capacité de projection est absolument fondamentale et ne peut se concevoir qu’avec un soutien logistique intégré. C’est une grande force pour l’OTAN d’avoir un certain nombre de pays qui ont cette aptitude autonome à déployer des forces comme cela a été démontré pendant Serval par la France, mais avec le soutien aussi de nombreux pays de l’alliance.
Dans l’optique d’un nouveau partage des tâches au sein de l’Alliance, quel bilan faites-vous des centres d’excellence et comment voyez-vous leur développement et leur rôle en termes de formation, RETEX, voire spécialisation de certaines nations comme nation-cadre dans des domaines de compétences spécifiques ?
L’investissement dans des centres d’excellence est une initiative remarquable qui repose sur la volonté des nations de promouvoir des compétences particulières. Le rôle en la matière de l’OTAN et en particulier d’ACT est de faire en sorte que la répar- tition des tâches et des charges soit bien harmonisée, de manière à ce que l’on ait un minimum de duplication au sein de ces centres d’excellence et au contraire que l’on développe une fois de plus la synergie. La seconde responsabilité d’ACT en ce domaine est de certifier que ces centres sont bien des centres d’excellence et qu’ils respectent les standards de l’OTAN. A partir de là, on parle de centres d’excellence au standard OTAN qui sont la propriété et la responsabilité des nations, mais dotés de ce label OTAN nous permettant de nous appuyer dessus pour développer nos concepts, entraîner nos forces, nous en servir comme centre expert. Je citerai le cas connu du Centre Cyber de Tallin en Estonie ou encore celui du Centre pour la lutte anti-IEDs en Espagne, un Centre de la conduite des opérations aériennes en France (CASPOA à Lyon), un autre au sein de l’OTAN basé à Norfolk dirigé par l’US Navy et qui porte sur les opérations conjointes à partir de la mer. Nous en avons une vingtaine au total2.
L’objectif maintenant est de mettre en réseau ces centres d’excellence de façon à profiter au maximum de leur expertise et retour d’expérience : par la simulation, les séminaires que nous organisons, le mentorat, le pilotage des programmes d’activité de ces centres. Nous encourageons et facilitons le développement de ces centres auprès des pays intéressés et je constate d’ailleurs que de nombreux pays sont en train de rejoindre le centre d’excellence Cyber de Tallin, ce qui est une bonne nouvelle pour nous. Car sur un domaine aussi critique que la Cyber, mais c’est vrai aussi pour d’autres domaines, il nous faut rassembler nos forces et le fait d’avoir un centre d’excellence contribue aux échanges et à se poser les bonnes questions ensemble. Je crois beaucoup aux centres d’excellence, qui représentent une occasion unique de valoriser les contributions de chaque pays souvent fier d’apporter leur expertise non seulement à l’OTAN, mais aus- si dans le cadre d’ouverture à d’autres partenariats ; le centre d’excellence de Tallin travaille aussi avec l’Union Européenne et avec d’autres pays hors OTAN. Nous ne sommes pas dans des logiques de propriétés, mais dans des logiques de partage.
Nous nous appuyons de façon croissante sur ces centres et faisons même appel à des personnes qualifiées de ces centres dans le cadre de nos exercices et de nos activités. De plus en plus d’interactions existent entre ces composantes nationales et ACT, qui doit lui-même être le Centre d’excellence de laTransformation. Nous faisons partie de la gouvernance des Comités de pilotage et avons donc un rôle très particulier en tant que moniteurs de ces centres: nous devons laisser la place à la concertation, tout en essayant de mettre en place notre plan d’activité, notre plan de charge et le répartir avec ces centres. C’est ainsi que nous leur confions de plus en plus de responsabilités en matière d’entraî- nement. On assiste à une déconcentration des responsabilités, puisque nous ne pouvons pas tout faire et que ces centres possèdent l’expérience. Nous avons d’ailleurs développé un processus de qualité au sein duquel certains centres d’excellence ont déjà acquis le niveau qualité supérieure, leur permettant de n’être qualifié que tous les six ans. Nous avons donc une grande confiance en ces centres et que ce soit dans les domaines de la logistique, de l’énergie, de la santé, du carburant, tout n’a pas été dit et il y a encore beaucoup à faire. Nous avons donc un très beau réseau (civil – military affairs – ; CBRN ; activités maritimes ; etc), même si certains domaines peuvent encore être développés.
Afghanistan © OTAN
D’énormes progrès ont été réalisés dans de nombreux domaines (lutte anti-IED et HME – homemade ex- plosives – ; réseau CAI – Cooperative Airspace Initiative -; etc) et différentes priorités ont été soulignées (Cyber défense ; défense anti-missile …) : quelles sont pour vous les plus grands succès, les plus grandes priorités et les principaux obstacles à surmonter pour les mener à bien (notamment comment réconcilier priorités stratégiques et enjeux industriels divisifs) ? Quel premier bilan faites-vous à l’issue de ces quinze mois comme Commandant Suprême Allié Transformation ?
Quinze mois cela passe vite et donc il faut utiliser chaque heure, chaque jour il n’y a pas de temps à perdre pour préparer l’avenir qui commence aujourd’hui. Une mission passionnante, car l’Alliance fait face à des défis considérables. Avec le redéploiement de sa mission en Afghanistan et d’autres perspectives, elle est peut-être à un nouveau tournant de son histoire, mais elle a aussi des forces considérables qui sont produites par ce réseau des nations et de toutes les compétences qu’il recèle, par l’organisation en tant que telle. Quand on parle de l’OTAN, on parle d’ailleurs de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, tandis que l’Alliance en est l’objectif et la raison d’être.
Les contraintes existent et les défis sécuritaires sont considérables et difficiles à imaginer dans leur nature. La difficulté réside surtout dans le fait que si anticiper les risques relève du domaine du possible, savoir quand ces risques vont se transformer en vraies menaces s’avère beaucoup plus difficile. A quel moment, à quel endroit ? Les Américains ont toujours prévu qu’ils pouvaient être soumis à des risques comme celui du 11 septembre 2001, sauf qu’ils ne savaient pas que cela se produirait à ce moment précis et sous cette forme.
L’avenir est devant nous : il s’agit de le défricher, ce qui est vraiment la mission d’ACT. Ce qui est passionnant est de tra- vailler à la fois sur le futur lointain – ce qui est indispensable si l’on veut préparer nos capacités, nos forces de demain, adap- ter nos concepts et pouvoir anticiper sur cette évolution stratégique -, mais aussi répondre aux défis d’aujourd’hui – c’est- à-dire assurer prioritairement le soutien des opérations de l’OTAN aujourd’hui partout où nos forces sont engagées et plus particulièrement en Afghanistan.
ACT, ce sont les opérations d’aujourd’hui, de demain et d’après-demain. La Transformation, c’est un continuum : le grand Jour de la Transformation n’existe pas. La Transformation est un état d’esprit, un processus et un objectif… Nous devons adapter notre Alliance à l’environnement géostratégique incertain qui caractérise notre monde actuel. Et d’ailleurs si l’OTAN est efficace depuis 65 ans, c’est parce que nos prédécesseurs ont eu l’intelligence de l’adapter aux circonstances et aux situations avec finalement beaucoup de succès que ce soit pendant la Guerre froide ou après. Notre défi est d’imaginer ce que sera cet avenir dans les 20 ans pour essayer d’anticiper les grandes tendances, voire de les influencer si possible là où c’est possible dans le développement capacitaire, dans l’utilisation des technologies, dans la formation, dans l’entraînement des hommes, dans les exercices. Ce sont des domaines où nous avons une responsabilité en propre et où nous devons essayer d’in- tégrer tout ce qui se passe à l’extérieur, ce qui va pouvoir améliorer notre efficacité en créant des partenariats avec des pays, des organisations, avec d’autres institutions, les Nations Unies, l’Union Européenne… Avec 22 pays communs aux deux organisations, il s’agit plus que d’un partenariat, entre l’OTAN et l’UE, je crois que l’on peut parler d’interdépendance active. Il nous faut plus que jamais développer de nouvelles approches pour organiser, tirer le meilleur parti de cette interdépendance et c’est ce vers quoi les Chefs d’état au Conseil européen nous engagent à aller. Je suis certain qu’en septembre, dans le cadre du Sommet de l’OTAN, ils renouvèleront cette volonté de voir l’Union européenne et l’OTAN travailler non seulement main dans la main.
Propos recueillis par Murielle Delaporte.
Article paru dans le magazine Opérationnels SLDS numéro 19 – Printemps 2014 :