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Sébastien-Yves Laurent, est professeur à l’Université de Bordeaux où il co-dirige le master 2 professionnel « sécurité globale et analyste trilingue ». Expert et consultant en sécurité, membre du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS), il a co-fondé en 2008 le séminaire de recherche « METIS » à Sciences Po Paris consacré au renseignement. Il vient de publier Atlas du renseignement. Géopolitique du pouvoir aux éditions Presses de Sciences-Po. Il est également l’auteur de l’ouvrage Pour une véritable politique publique du renseignement (Institut Montaigne).
Pourquoi avoir écrit cet ouvrage ?
Ni en France, ni même dans les pays de langue anglaise, alors qu’il y existe une abondante production d’expertise et universitaire sur l’ « Intelligence », n’existait jusqu’à ce jour d’Atlas du renseignement. Il s’agit d’un projet ambitieux : rendre visible ce qui ne l’est pas, à l’aide de diverses formes de représentation (plus d’une soixantaine de cartes, graphiques, tableaux, frises), en le destinant à un public très large. Inscrit au cœur de mon domaine de recherche et d’expertise, cet Atlas composé de 34 chapitres thématiques est aussi le résultat d’une dizaine d’années d’enseignement universitaire, c’est-à-dire de réponse à des questions posées par un public d’étudiants.
Quel paysage du renseignement français décrivez-vous à travers cet Atlas ?
La France est re-située dans son environnement mondial. L’Atlas procède ainsi d’une vision globale. Rappelons une évidence : il s’agit d’une puissance moyenne en dépit de l’arme nucléaire et d’un siège au Conseil de sécurité. Néanmoins, le renseignement produit en France se distingue dans l’environnement mondial par sa qualité, qui l’amène à être sollicitée par ses partenaires occidentaux et parfois au-delà. Notre pays a des capteurs souverains (ce qui n’est pas le cas des Britanniques, par exemple), bien répartis dans les deux hémisphères, en raison de son domaine ultra-marin, maîtrise les technologies de reconnaissance aérienne et satellitaire (imagerie – geoint) et de surveillance (interception des flux internet). Il possède également un tissu d’entreprises nationales capables de fournir aussi bien des moyens techniques de collecte du renseignement que de l’analyser en partie (traitement de l’information, exploitation du big data) qui repose en grande partie sur une recherche fondamentale et sur une recherche appliquée d’excellence grâce aux universités publiques et aux organismes de recherche. Mais le renseignement humain et l’exploitation humaine du renseignement brut sont aussi des domaines où les services français s’appuient sur une longue expérience. Tout ceci débouche sur une autonomie stratégique en matière de renseignement qui n’est pas aussi poussée dans les autres pays européens. Cet élément lui donne des capacités d’appréciations des crises qui lui sont propres. En outre, le renseignement français qui est devenu la 5e fonction stratégique en 2008 a connu une croissance sans précédent de ses moyens financiers qui a selon toute vraisemblance atteint un palier et ce, pour longtemps.
D’un point de vue prospectif, quelle évolution peut-on prévoir du renseignement de manière globale ?
La prévision est un art difficile auquel trop de gens s’adonnent imprudemment. Ce qui est certain c’est que l’on va assister au renforcement de deux tendances à l’œuvre depuis de nombreuses années : d’une part, le poids croissant de la technologie qui engendre des coûts eux aussi croissants et le renforcement du rôle des coopérations entre les Etats. Aucun Etat, quelle que soit sa taille, ne peut pour sa sécurité demeurer dans une situation autonome. Face à des menaces transversales (terrorisme, criminalité financière…etc), les Etats sont contraints de coopérer toujours plus. L’autonomie des Etats-Unis ou de la France en matière de renseignement est donc à nuancer. En fait, les Etats vont aller vers une double dépendance : celle de la technologie et celle des coopérations interétatiques. Il est urgent d’en prendre conscience.
Propos recueillis par Quentin Michaud.