Par le Commandant Janik Le Guen, stagiaire de la 22ème promotion de l’École de Guerre à Paris

Le commandant Le Guen est officier de l’armée de l’air française de la promotion Maréchal Leclerc de l’École de guerre. Il a servi au CDAOA en qualité d’interprète image, puis au CSFA et à la SIMMAD en qualité de chef de projet de système d’information.  Il est actuellement stagiaire de la 22ème promotion de l’École de Guerre à Paris.

Les relations entre le monde de la défense et l’industrie de défense aéronautique demandent à être repensées à l’aune de la complexité croissante des systèmes d’armes aériens. Cette sophistication des systèmes d’armes est assortie d’une interdépendance croissante entre l’industrie aéronautique et la défense sur fond de restriction budgétaire. Comment les partenariats peuvent-ils faire de cette interdépendance une force ?

 

Pourquoi Dassault envoie-t-il du personnel en Afghanistan ? Pour se familiariser aux contraintes opérationnelles et leur impact sur les circuits logistiques et techniques et ainsi améliorer leur offre de service à l’export, car plus proche des réalités du terrain.

C’est tout le challenge des nouveaux partenariats défense-entreprise : développer la connaissance mutuelle, partager la connaissance et les risques pour mieux relever les défis de demain et faire de notre interdépendance une force.

 

Mieux se connaître et voir l’autre différemment

 D’abord comme une source d’inspiration…

Dans le cadre des nouveaux projets structurant, il est souvent très tentant dans les armées de lier technologie de pointe à tout crin et mise en place d’un projet sans en évaluer finement la pertinence. Or, l’industriel sous forte contrainte de compétitivité a souvent fait ce chemin avant nous. Il est alors intéressant de s’appuyer sur son retour d’expérience. Alain, philosophe français résume en ces mots le propos: « qui n’imite point n’invente point ». C’est le sens du projet supply chain des armées, s’inspirer des pratiques logistiques éprouvées dans le civil et les adapter aux exigences opérationnelles des armées. En contrepartie, pour Dassault, selon Mr Bazin de Jessay, cela justifie amplement  la présence de réservistes de Dassault sur le théâtre de Kandahar, connaître les exigences des opérations extérieures de l’Armée de l’Air pour inspirer les évolutions du soutien du Rafale. De même, Dassault a créé en 1997 une structure de soutien, la DGSM pour valoriser la part du soutien des aéronefs à des fins d’export à l’image des restructurations de la défense avec la création de la SIMMAD.

…Mais également comme une source d’innovation

L’industriel peut aussi être vu comme un vivier d’innovation. En effet, les grosses entreprises bâtissent des stratégies de captation du potentiel d’innovation des PME et start-up. Ces innovations peuvent être structurantes pour l’organisation du MCO : simulation des actes de maintenances dans le cadre de la formation des techniciens comme sur le Rafale dans le cadre des expérimentations conduites à l’ESTA de Mont de Marsan en partenariat avec Dassault, ou encore assistance en base arrière au profit des unités de maintenance projetées en opérations extérieures  au moyen de lunettes connectées à réalité augmentée dites google glass comme proposé par la société Thalès. C’est l’avènement de l’usine digitale dans le civil comme dans les ateliers de BMW, et des unités de soutien digitales pour la défense.

 

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Les risques

Selon le général Girier, directeur central de la SIMMAD plus que maîtriser les risques entre la défense et l’industriel, il faut dorénavant rechercher à les partager. Cela consiste entre autre à trouver le point d’équilibre entre les deux partenaires quite à réajuster le partenariat en cas d’asymétrie des risques. Il est question de partager la charge et les risques financiers et ceux liés à l’activité opérationnelle. Le partage des risques est fondamental, notamment dès lors qu’il s’agit d’externalisation comme celui des flottes écoles de l’armée de l’air à Cognac et à Avord.

 

Les divergences d’intérêts

Il est aussi capital de partager les divergences d’intérêt. Par exemple, le supply chain management est une démarche largement employé dans le civil. Cette méthode de management moderne permet de gérer des ensembles complexes de façon systémique. Le supply chain management vise à satisfaire le client en termes de délais, de qualité, de normes ou encore en termes d’éthique. Le ministère de la défense a choisi de développer ce projet en interarmées en visant la meilleure performance globale possible et l’efficience de la chaîne logistique. Notamment, il faut veiller à ce que  les optimums locaux n’obèrent pas les optimums globaux. Le projet logistique supply chain oppose ainsi la nécessité de centraliser les stocks, de rentabiliser les navettes, avec des objectifs de temps de livraison très court pour garantir la disponibilité des aéronefs. Ces oppositions traduisent les intérêts divergents des différents intervenants de la chaîne logistique. Les partenariats entre les différents acteurs permettent de traduire ces divergences en contrat d’objectifs de performance.

 

Supply Chain Management (SCM) :

Concept créé par l’américain Peter Drucker dans les années 40, la SCM est l’approche holistique de la chaîne logistique. Dans ce cas la chaîne logistique comprend pour sa partie basse le transport, le stockage, l’approvisionnement, la distribution, et pour sa partie haute le travail d’ingénierie logistique et technique. Son fonctionnement s’appuie sur les Systèmes d’Information Logistique et Technique de milieux (SILT) et de suivi de la ressource. Ainsi, la SCM tant par les flux matériels que par les flux de données qu’elle opère se révèle très proche du traitement de l’information au sens large.

 

La connaissance

A l’aune de la complexité croissante des systèmes d’armes, les relations entre le monde de la défense et l’industrie de défense aéronautique demandent à être repensées. La sophistication des systèmes d’armes contrepartie de leurs polyvalences est assortie d’une interdépendance croissante entre l’industrie aéronautique et la défense sur fond de restriction budgétaire. La maîtrise technique passe alors par une collaboration à tous les niveaux de décision et de réalisation

Notamment, au niveau tactique, un premier dialogue se noue autour des plateaux techniques et logistiques entre les acteurs terrain des forces et les experts techniques industriels. Selon le général Girier et Mr Bazin de Jessay, la mise en place des guichets logistiques et des plateaux techniques Rafale au cœur des unités de maintenance de l’armée de l’air représente une vraie opportunité pour l’armée de l’air et Dassault aviation. Le diptyque plateaux techniques – guichets logistiques  est un multiplicateur de réactivité, de disponibilité avion et surtout de collaboration entre Dassault aviation et les acteurs techniques et logistiques de l’armée de l’air. Il pourrait même être question de déployer des structures équivalentes à Al-Dhafra.

Ce dialogue se concrétise au niveau opératif par des échanges de données informatisées issues des systèmes d’information logistiques et techniques de la SIMMAD  entre les directions militaires et civiles. Ces données informatiques sont cruciales car traduisent l’état technique et logistique du système d’armes et la maintenance des nouveaux systèmes d’armes est de plus en plus infocentrée. De leurs côtés, les industriels comme Dassault, Thalès et Snecma ont développé des outils informatiques puissants pour capitaliser ces informations. La capitalisation s’accompagne d’une étude prédictive technique et logistique grâce aux outils avant-gardistes de datamining.

Datamining : Le datamining de par sa traduction littérale est l’extraction de connaissance à partir de données. Il permet de mieux comprendre les liens entre des phénomènes en apparence distincts et d’anticiper des tendances encore peu discernables

L’interdépendance technique est forte. Elle se nourrit du partage de l’information, de la normalisation des échanges, de la compétence technique de chacun des acteurs. Elle tire notamment sa force de la fiabilité des différents systèmes d’information mais aussi de la capitalisation des informations par les industriels comme le système MARS, base de données aidant à la recherche de panne.

 Se challenger

 

Maîtriser le coût de l’heure de vol

 Les relations contractuelles préalablement établies sur la base de la performance créent les conditions propices au partenariat. Ainsi, contractualiser sur une base d’effet final recherché, comme par exemple l’heure de vol, ou un effet à produire incite l’industriel à augmenter la fiabilité de son matériel. C’est le pari tenu par la SIMMAD sur le marché MCO Rafale Care qui allie forfait à l’heure de vol avec baisse annuelle de son coût. Ces nouveaux forfaits contractuels alliés aux plateaux techniques et logistiques bonifient encore un peu plus les partenariats défense-entreprise. La maîtrise du prix de l’heure de vol constitue aussi un atout indéniable pour l’exportation.

Mesurer la performance

 Mais c’est aussi mesurer et contrôler la performance. C’est tout le sens de la création récente du secrétariat permanent interarmées du Maintien en Condition Opérationnelle aéronautique sur fond de modernisation de sa gouvernance. Ce secrétariat a pour mission d’assister le chef d’état-major de l’armée de l’air dans l’exercice de sa responsabilité et du contrôle de la performance. Cela sous-tend l’optimisation des ressources allouées pour satisfaire les besoins opérationnels.

Dépasser le carcan normatif

 Enfin, c’est aussi dépasser ensemble le carcan normatif, véritable préoccupation commune aux industriels et à la défense : règles REACH pour les uns, normes HSCT pour les autres. L’évolution des normes est dans tous les cas synonyme de coûts supplémentaires et de frein à la productivité. Un mal nécessaire pour tenir les enjeux environnementaux certes, mais là encore une relation partenariale emprunte de pragmatisme aide à surmonter ces écueils comme le projet de déconstruction des matériels de l’armée de l’air. La démarche consiste à céder gratuitement le matériel en fin de vie à l’industriel, qui prend alors à  sa charge sa déconstruction et sa dépollution suivant les standards HSCT. L’industriel valorise pour son propre compte les biens retirés du service et les stocks inactifs. Le stock d’équipement obsolète connaît le même sort. Cette étape de retrait du service du matériel représentait pour l’Etat une réelle charge financière bien souvent sans aucune contrepartie. Dorénavant, Cette charge financière est partagée avec l’industriel.

 La part d’externalisation de la défense ne cesse d’augmenter pour les domaines relevant le moins de l’opérationnel et pour lesquels l’activité demeure la plus prédictible comme les flottes école, ou encore la logistique. Demain,  la défense et le monde de l’entreprise, en plus de leurs propres défis opérationnels, techniques, humains devront  faire face à celui d’une interdépendance accrue.