Par Murielle Delaporte – Le seul côté positif des crises est qu’elles tendent à accélérer le processus de réformes qui auraient dû voir le jour depuis longtemps et qu’elles permettent de revenir à l’essentiel.
Faire coïncider deux processus de modernisation parallèles
C’est ce qui se passe au sein de la communauté européenne depuis quelques temps avec une prise de conscience croissante que la menace n’est plus une lointaine notion, mais bien directement à nos frontières (crise ukrainienne et remontée en puissance russe) et au sein même de nos territoires (Daech). Différentes mesures se sont greffées les unes sur les autres au fil des années, mais le véritable ciment permettant de bâtir une Europe de la défense cohérente a jusqu’à présent toujours fait défaut [1].
Exit le Royaume Uni des institutions européennes et renaît l’espoir de repartir sur les traces des Pères fondateurs de la Communauté européenne [2]. C’est de cette logique que sont nés en particulier la proposition franco-allemande de relance de la défense européenne au Sommet de Bratislava en septembre et les travaux du Conseil de l’Union Européenne sur la mise en œuvre de la stratégie globale de l’Union Européenne dans le domaine de la sécurité et de la défense, dont les conclusions ont été rendues publiques le 14 novembre [3].
Arrive l’ouragan Trump et avec lui surgit un nouveau sens d’urgence, qui pourrait être salutaire s’il ne tourne pas au catastrophisme ou à des conclusions hâtives, qui, in fine, conduiraient à un découplage transatlantique – ou pire une désunion entre membres européens -, tels que le souhaitent ardemment nos ennemis.
Même s’il est encore un peu tôt pour évaluer le degré de repli sur soi attendu du « Leader du monde libre » et pour savoir si Donald Trump agira envers ses Alliés européens à la manière d’un Reagan, d’un Roosevelt ou d’un Wilson, on peut essayer de travailler à partir de l’hypothèse d’une mise en œuvre de certains des objectifs annoncés par le futur Président des Etats-Unis pendant la campagne électorale.
Avec l’entrée en fonction de la nouvelle administration Trump le 20 janvier 2017, l’agenda en matière de défense et de politique étrangère va ainsi certainement inclure la modernisation des structures de l’OTAN sur la base de trois objectifs exprimés par Donald Trump lors de son discours d’avril dernier :
- Optimiser l’investissement américain au sein de l’OTAN en fonction de l’intérêt national américain ;
- Conditionner le soutien des Etats-Unis en fonction de l’effort réel et de la réciprocité des pays qui en bénéficient ;
- Moderniser les structures de l’Alliance pour qu’elles correspondent davantage aux menaces actuelles [4].
Les premiers bailleurs de fond de l’OTAN d’une part, ceux de l’UE d’autre part ont donc de facto la même ambition : revenir aux sources du bien-fondé des organisations créées dans le contexte de l’après-guerre et les moderniser face à la résurgence de nouveaux types de menaces en renforçant autonomie stratégique, capacité de résilience et base industrielle de technologie et de défense [5].
Il existe en conséquence une opportunité potentielle de mener cette double-évolution de concert et en parfaite coordination transatlantique, afin de faire converger des approches s’avérant moins antinomiques qu’il n’y paraît au premier abord. Mais comme disent les Anglosaxons, « the devil is in the details », et les difficultés sont multiples face à des ambitions et des intérêts, dont les contradictions pourraient l’emporter sur les motivations rationnelles.
Des défis à la hauteur des enjeux du XXIème siècle
Les difficultés et les écueils sont nombreux, mais on peut en relever au moins deux majeurs :
- Principe de duplication vs principe d’« autonomie stratégique » [6] et de souveraineté
Tant les Américains que les Européens veulent rationnaliser leur investissement en matière de défense et éviter les doublons. Mais comment définir cette ère commune de l’intérêt national (stratégique, mais aussi économique et industriel) – qu’il soit américain ou allemand, ou anglais ou autre – avec un objectif collectif face à une menace exigeant une action en opération extérieure et une action en matière de défense du territoire. De fait, les notions même d’isolationnisme ou d’interventionnisme ont aujourd’hui une connotation différente d’il y a vingt ou trente ans, en raison de la nature de la menace (la guerre contre le Terrorisme est combattue autant sur le sol nation qu’aux fins fonds du Sahel) que de celle de la technologie (la révolution en C2 ou dans la maîtrise des élongations par exemple change la donne là encore).
Faut-il répartir les tâches entre alliés transatlantiques par types de missions, de moyens, de zones géographiques, de façon ad hoc ?
- Homogénéïsation vs optimisation
La disparité des pays membres de l’OTAN et de l’UE en matière de sécurité et de défense en matière d’investissements, de moyens, mais aussi de conception et d’expérience des opérations explique le caractère consensuel inévitable existant au sein de ces institutions, mais pose la question des métriques à utiliser pour mesurer la participation équitable de chacun et du risque de nivellement par le bas.
L’avantage du principe des 2% du PIB comme objectif fixé au sein de l’OTAN est qu’il mesure le degré d’engagement des pays, mais il est clair que ce type de chiffres ne reflète pas l’état de disponibilité et d’utilité des capacités opérationnelles mises en œuvre sur le terrain [7]. On retrouve la question de la répartition des tâches entre membres, dont peu couvrent la totalité du spectre des moyens nécessaires à l’heure actuelle pour protéger les populations.
L’approche européenne de commencer par institutionnaliser les réussites concrètes [8] – type EATC -, de relancer la recherche et développement en créant un fond dédié et en assouplissant les mécanismes de financement, d’accélérer les processus de décision pour favoriser les initiatives sur une base ad hoc de partenaires motivés (Coopération structurée européenne, dite PESCO) est la voie la plus réaliste pour amorcer un processus aussi délicat que nécessaire.
Les solutions technologiques et approches novatrices du XXIème siècle pourraient permettre de contourner (au moins en partie) certaines rigidités traditionnelles pour traduire en actions constructives les intentions de modernisation des alliances.
*** Illustration: appartenance des pays européens à l’OTAN (en orange), l’UE (en bleu) et aux deux organisations (en violet) © https://fr.wikipedia.org/
Notes de bas de page
[1] Pour certains observateurs, des attentats du type de celui mené contre le quartier général de mission EUTM Mali à Bamako en mars 2016 pourraient altérer la donne (cf : Le QG d’EUTM Mali attaqué à Bamako. Une cible nouvelle au Sahel : l’Europe (Maj), 21 mars 2016, https://www.bruxelles2.eu/2016/03/21/qg-deutm-mali-attaque-a-bamako/)
[2] Voir à ce sujet l’intervention du 13 octobre 2016 du Général Paloméros >>> https://operationnels.com/2016/11/14/construction-de-leurope-de-defense-puzzle-image/
[3] Voir >>> Conclusions du Conseil sur la mise en œuvre de la stratégie globale de l’UE dans le domaine de la sécurité et de la defense, Conseil des affaires étrangères, 14 novembre 2016 (Conseil UE 14 nov 2016)
[4] Donald Trump a identifié cinq faiblesses dans la politique étrangère et de défense menée par les Etats-Unis au cours de ces dernières années par rapport à ses alliés traditionnels :
« America First will be the major and overriding theme of my administration. But to chart our path forward, we must first briefly take a look back. We have a lot to be proud of.
In the 1940s we saved the world. The greatest generation beat back the Nazis and Japanese imperialists. Then we saved the world again. This time, from totalitarianism and communism. The Cold War lasted for decades but, guess what, we won and we won big. Democrats and Republicans working together got Mr. Gorbachev to heed the words of President Reagan, our great president, when he said, tear down this wall.
History will not forget what he did. A very special man and president. Unfortunately, after the Cold War our foreign policy veered badly off course. We failed to develop a new vision for a new time. In fact, as time went on, our foreign policy began to make less and less sense. Logic was replaced with foolishness and arrogance, which led to one foreign policy disaster after another.
They just kept coming and coming. We went from mistakes in Iraq to Egypt to Libya, to President Obama’s line in the sand in Syria. Each of these actions have helped to throw the region into chaos and gave ISIS the space it needs to grow and prosper. (…)
Our foreign policy is a complete and total disaster. No vision. No purpose. No direction. No strategy. Today I want to identify five main weaknesses in our foreign policy.
- First, our resources are totally over extended. (…)
- Secondly, our allies are not paying their fair share, and I’ve been talking about this recently a lot. Our allies must contribute toward their financial, political, and human costs, have to do it, of our tremendous security burden. (…)
- Thirdly, our friends are beginning to think they can’t depend on us.(…)
- Fourth, our rivals no longer respect us. In fact, they’re just as confused as our allies, but in an even bigger problem is they don’t take us seriously anymore.(…)
- Finally, America no longer has a clear understanding of our foreign policy goals. Since the end of the Cold War and the breakup of the Soviet Union, we’ve lacked a coherent foreign policy. One day, we’re bombing Libya and getting rid of a dictator to foster democracy for civilians. The next day, we’re watching the same civilians suffer while that country falls and absolutely falls apart. Lives lost, massive moneys lost. The world is a different place.
We’re a humanitarian nation, but the legacy of the Obama-Clinton interventions will be weakness, confusion and disarray, a mess. We’ve made the Middle East more unstable and chaotic than ever before. We left Christians subject to intense persecution and even genocide. (…) »
( cf: Transcript: Donald Trump’s Foreign Policy Speech, 27 avril 2016, repris dans http://www.nytimes.com/2016/04/28/us/politics/transcript-trump-foreign-policy.html)
[5] Voir par exemple le plan Bienkowswka (European Defence Action Plan discours du 10 novembre 2016) cité dans >>> http://club.bruxelles2.eu/2016/11/defense-europeenne-le-plan-daction-de-la-commission-illustre-un-changement-de-focus-bienkowska/
[6] Trois priorités stratégiques ont été identifiées par l’UE : « a) la réaction aux crises et conflits extérieurs, b) le renforcement des capacités des partenaires, et c) la protection de l’Union et de ses citoyens » (cf : conclusions du Conseil…, ibid, pages 2 et 4)
[7] Voir par exemple sur ce sujet : Elisabeth Braw, Can NATO Pay Up ?, http://nationalinterest.org/feature/can-nato-pay-18362
Une réflexion est par ailleurs en cours au sein de l’UE : « S’appuyant sur le cadre d’action pour une coopération systématique et s’inscrivant dans le long terme dans le domaine de la défense, cet examen [annuel coordonné en matière de défense piloté par les Etats membres ] aurait pour objectif de mettre au point, sur une base volontaire, une méthode plus structurée pour assurer la disponibilité de capacités déterminées, fondée sur une transparence accrue, une visibilité politique et un engagement de la part des Etats membres » (cf : conclusions du Conseil…, ibid, page 9)
[8] La mise en place d’un centre commun en matière d’observation par satellite et la mutualisation des capacités dans le domaine du soutien (santé en particulier) et de la logistique font partie des projets porteurs (voir à ce sujet par exemple : Laurent Lagneau, L’initiative franco-allemande en matière de défense européenne se précise, 10 septembre 2016, http://www.opex360.com/2016/09/10/linitiative-franco-allemande-en-matiere-de-defense-europeenne-se-precise/)
L’idée d’un quartier général européen rencontre plus de réticences, mais aurait de nombreux avantages en matière de simplification, de gain de temps et de RETEX (voir par exemple à ce sujet : Touche pas à mon Shape !, 14 novembre 2016, https://www.bruxelles2.eu/2016/11/14/touche-pas-a-mon-shape/)