La coopération franco-britannique de défense : du bilatéral au multi-bilatéral
Après le référendum britannique sur le Brexit, beaucoup d’interrogations du monde politique, du monde de la Défense, des industriels de la défense ont pu voir le jour.
Le Royaume-Uni allait-il « lever le pont levis », rentrer dans une ère de « splendide isolation » selon les termes empruntés à Michael Fallon, ministre de la Défense du Royaume-Uni ?
Nous verrons que le Brexit non seulement ne tuera pas Lancaster House, mais encore pourra contribuer à renforcer une coopération en matière de Défense avec nos amis anglais à une seule condition : celle de la volonté politique.
Mais tout d’abord, sans les nier, relativisons l’importance des acquis de Lancaster House. Certes un signal fort a été donné en novembre 2010 avec la signature des deux traités du fait d’ailleurs du climat favorable à la coopération de Défense franco-britannique des années 90 (malgré le différend entre nos deux pays sur une défense européenne autonome ou intégrée à l’OTAN).
Ce traité signé de façon pragmatique au moment où déjà les budgets de défense étaient éprouvés, permettait à nos deux pays de coopérer davantage afin de conserver nos capacités militaires.
Néanmoins, Lancaster House ne couvrait à la base qu’un accord très spécifique portant sur le nucléaire militaire visant à développer un centre commun dédié à des tests sur la sûreté des têtes nucléaires.
Par la suite, le projet « One MBDA » d’intégration plus grande du missilier, la coopération envisagée sur les drones tactiques, le démonstrateur anti-mines et le Future Combat Air System (futur drone de combat), la force expéditionnaire commune interarmées (CJEF), le dialogue de nos systèmes de communication ou la mise en commun de nos soutiens logistiques sont venus grossir le menu de la coopération bilatérale.
Pourtant bien des sujets de coopération ont été abandonnés : La France a décidé de s’équiper de drones tactiques Patroller, fabriqués par Sagem, abandonnant le projet de se doter de drones Watchkeeper en service dans l’armée britannique. Les Britanniques, pour leur part, n’ont pas donné suite à la proposition française d’équiper leurs forces armées avec des VBCI. Et d’autres projets ont été étendus à l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, comme le projet de drones MALE.
On le voit, si de belles avancées ont été concrétisées, il ne faut pas surestimer l’importance de Lancaster House.
Il faut pourtant maintenant passer à l’étape 2 qui devrait être une coopération bien plus forte. La France et le Royaume-Uni sont des pays proches en matière de politique de défense, ce qui les incite à rechercher des synergies. Les deux pays sont membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, appartiennent à l’Otan et sont les deux seules puissances nucléaires en Europe. En pourcentage de PIB dédié à la défense, si le budget britannique est supérieur au budget français (1,56 % pour la France et 2 % pour le Royaume-Uni en 2016 en normes Otan hors pensions), leurs dépenses en capital (acquisitions d’équipements, constructions d’infrastructures, dépenses de R&D…) sont équivalentes (près de 11 milliards d’euros en 2014 pour chacun). Ils conservent tous deux des bases industrielles et technologiques de défense majeures.
Cette proximité a ainsi incité nos deux pays à coopérer au niveau stratégique et opérationnel (Libye, Mali, RCA, Syrie…) mais aussi sur le plan de la recherche et au niveau industriel, avec notamment une mutualisation de moyens dans le domaine de l’armement conventionnel et dans le nucléaire La revue stratégique de la défense et de la sécurité (équivalent britannique du Livre blanc de la défense), publiée fin novembre 2015, demeure favorable à la poursuite de la coopération entre nos deux pays.
L’exigence de la coopération, la proximité existante et les mutualisations déjà lancées incitent à aller plus loin dans la coopération de défense entre la France et la Grande-Bretagne, non pas malgré mais à cause du Brexit, la défense devant constituer l’un des piliers essentiels de la relation future entre ces deux pays majeurs de l’Europe.
Plusieurs éléments poussent à une coopération renforcée :
- La tension sur nos finances publiques amplifiée par la remontée des taux d’intérêt qui impactera plus encore la dette souveraine de chaque pays
- L’obligation d’objectif de 2% du PIB dédié à la défense (qui entraînera pour la France un accroissement de ses dépenses militaires de l’ordre de 9 milliards d’euros par an)
- La position américaine : 22 pays sur les 28 qui constituent l’OTAN sont européens. Pourtant, les Etats-Unis financent 2/3 du budget de l’Alliance.
- Le glissement des Etats-Unis vers l’Asie avec en corollaire leur désengagement sur le sol européen
- Le réarmement mondial
- Les conflits aux frontières extérieures de l’Europe
- La nostalgie hégémonique des anciennes puissances, comme la Russie
- La situation préoccupante de la Turquie
Ces mêmes éléments qui poussent à une coopération renforcée avec les Britanniques poussent également l’Europe à avancer fortement vers une politique de défense plus percutante.
La montée des populismes et le sentiment anti-Commission européenne impliquent une relance et une réforme des institutions européennes avec au cœur des discussions, la sécurité et la défense.
L’Europe doit montrer sa détermination à défendre ses valeurs et ses intérêts. Mais restons réalistes, nous n’aurons pas demain une nouvelle politique de défense européenne performante. Tout est à construire et nous devons prendre en compte l’histoire de chaque Nation.
Si en Allemagne les lignes bougent (augmentation du budget de la défense de 7% en 2016 ; Livre blanc allemand qui affiche une volonté de relancer l’Europe de la Défense avec la France ; l’Allemagne reste aussi un acteur clé de l’Europe pour nos relations avec les pays de l’Est), néanmoins le pacifisme constitutionnel et l’opinion allemande (58% des Allemands refusent un engagement militaire) restent un frein.
Malgré les menaces qui pèsent sur le continent européen, je ne suis pas certain que ces freins allemands seront facilement levés.
Ainsi, et pour conclure, devant les enjeux sécuritaires, dans un contexte budgétaire qui deviendra pour les cinq années à venir extrêmement tendu, nous devons :
– réaffirmer une volonté politique réelle de travailler ensemble
– Clarifier les uns et les autres notre contribution à l’OTAN. Michael Fallon l’a rappelé, nous devons nous attendre à ce que les Américains revoient le financement de la sécurité en Europe
– Acter le fait que la donne politique a changé (Brexit ; positionnement des Américains). Cette nouvelle donne politique oblige le continent européen et la Communauté européenne à se réorganiser autour de sa propre défense.
Trois pistes de travail à mon sens sont indissociables et interactives :
– Mise en place de la feuille de route arrêtée lundi à Bruxelles
– Renforcer concrètement la coopération franco-britannique
– Mettre en place aussi de nouveaux accords avec de nouveaux partenaires : Allemagne, Italie, Espagne, et dans une moindre mesure avec les pays de l’Est de l’Europe, comme la Pologne par exemple pour des raisons géostratégiques bien comprises.
Christian de Boissieu, Président du Conseil franco-britannique section française, opposait le multilatéral au bilatéral. Je pense que nous rentrons désormais dans l’ère du multi-bilatéral au sein d’un cadre à la fois européen et atlantiste.
Nous devons donc veiller certes à ne pas créer d’usine à gaz (et on a bien entendu Michael Fallon nous exhorter à nouveau à ne pas créer de doublon avec l’OTAN), mais nous devons renforcer notre sécurité avec tous ceux qui souhaitent travailler avec nous dans le même objectif.
Dans cette période transitoire « In between », la France et le Royaume-Uni doivent être le moteur de cette nouvelle collaboration qui ouvrira une nouvelle ère de défense pour notre continent.
Ainsi, on le voit, non seulement le Brexit ne portera pas un coup d’arrêt à notre coopération bilatérale, mais au contraire nous oblige à aller plus loin encore pour peu que nous le désirions vraiment.
Source >>> Tribune de Olivier Audibert-Troin, député du Var
Crédit photo © http://www.ambafrance-uk.org/Un-engagement-historique-pour-la-cooperation-franco-britannique-de-defense, 2015