Cet article inaugure un nouveau cycle consacré au thème « Guerre et cinéma » que vous pourrez désormais retrouver dans chaque numéro de notre revue papier et de manière ponctuelle sur notre site web.

Non projeté en salle suite aux attentats de novembre 2015 pour cause de ressemblance d’avec les tragiques événements ayant frappé notre pays et par crainte que la projection publique du film n’entraîne de nouveaux crimes, Made in France[1] est un film qui vaut d’être vu.

Polar contant l’immersion puis la descente aux enfers d’un journaliste initialement infiltré dans une mosquée clandestine et embarqué dans la création d’une cellule djihadiste, le film brosse le portrait de cinq individus qui sont autant de révélateurs de l’embrigadement ordinaire qui sévit aujourd’hui dans de trop nombreux pays dont le nôtre.

Le film démontre comment l’islamisme radical se nourrit de toutes les errances, de tous les espoirs déçus et de tous les ressentiments. Les portraits des apprentis djihadistes frappent par leur réalisme et par leur irrationalité. Aucune classe sociale n’est épargnée par le mal endémique qu’est la radicalisation des esprits et aucune stigmatisation n’est faite dans le film ce qui le rend d’autant plus inquiétant car d’autant plus proche d’un réel à l’œuvre aujourd’hui dans notre pays.

Du leader négatif, pervers narcissique, mythomane et agressif incarné par Hassan en passant par Driss jeune homme révolté complétement sous influence et empli de haine face à tout ce qu’incarne la France jusqu’à Christophe, fils de bonne famille bretonne, paumé à la recherche de sensations fortes qui trouve dans le djihad intégriste un sens à sa vie, les personnages de Made in France[2] nous rappelle que la radicalisation des esprits et l’endoctrinement sauvage des islamistes intégristes peut potentiellement toucher n’importe qui, n’importe quand, n’importe où (Internet, mosquée salafiste, prison, rencontres…) et se parer des vertus et des motivations les plus nobles. Made in France démontre que l’islam radical djihadiste fait feu de tout bois pour parvenir à ses fins. Il surfe sur toutes les vagues et sait toucher les esprits des plus jeunes en faisant appel à des causes en lesquelles ils se reconnaissent et se projettent (action humanitaire, soif de justice, d’action et d’engagement, envie d’un monde meilleur, obsession de la célébrité, désir de reconnaissance…).

Le fait que le film soit tourné comme un polar ne nous laisse pas le temps de nous appesantir ou de méditer l’action qui se dénoue sous nos yeux. Nous sommes embarqués de fait avec notre « héros », Sam, poussait par les événements à prendre tous les risques et à dépasser la ligne rouge qu’il s’était au départ fixé. Nous sombrons avec lui dans cette spirale de la haine, de la manipulation et de la violence qui conduit au pire. Ce qui frappe le plus dans Made in France est qu’il illustre la banalité du mal pour reprendre une expression de Hannah Arendt[3] à l’œuvre aujourd’hui dans notre pays. Avec ce film, nous touchons du doigt l’embrigadement ordinaire et nous comprenons mieux l’effarement de familles et de proches de « terroristes » qui ne comprennent pas comment l’homme ou la femme qu’ils ont pu côtoyer peut en venir à commettre l’irréparable.

Tout comme le livre d’Éric Fromm intitulé La passion de détruire[4] nous permet de comprendre l’agressivité qui a pu animer les pires tyrans que le XXème siècle ait engendré, Made in France nous aide à saisir comment le djihadisme islamiste intégriste gangrène les esprits, assujettit les consciences et constitue une nouvelle peste au sens de Camus[5] à l’échelle planétaire[6].

 

 

[1] Made in France, film de Nicolas Boukhrief, 2015.

[2] Il faut ajouter à cette liste le personnage de Sidi, jeune embrigadé rapidement en proie aux doutes face à l’extrême violence usitée par Driss et Hassan, et Sam, journaliste d’investigation, personnage principal dont les aléas et considérations rythment le film.

[3] Sur cette question lire : Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal, Gallimard, 1991.

[4] Eric Fromm, La passion de détruire, Robert Laffont, 1975.

[5] Albert Camus, La peste, Gallimard, 1947.

[6] Nous mettions déjà en garde contre cette balkanisation sociétale dans le second chapitre de notre ouvrage L’esprit de défense à l’épreuve de la professionnalisation de l’armée française, Le Fantascope, 2009.

Photo © Pretty Pictures affiche du film telle que reproduit sur le site: www.20minutes.fr/cinema/1731307-20151116-attentats-paris-made-in-france-film-djihadistes-paris-deprogramme