(Histoire) – Cet article est le troisième d’une série de six consacrée aux différents moments, qui ont constitué la très forte diversité des présences militaires françaises en Algérie.

I.3. l’armée d’Afrique

Née avec la conquête de l’Algérie, l’armée d’Afrique ne doit pas être confondue avec l’armée coloniale. En effet, l’armée d’Afrique fut composée de régiments, dont les effectifs étaient majoritairement issus des territoires de l’Afrique française du nord (AFN), à savoir : de l’Algérie française et des protectorats français de Tunisie et du Maroc. Crée à partir du corps expéditionnaire mené par le général de Bourmont lors de la conquête de 1830, cette dernière donna naissance à des régiments de la Légion étrangère, de zouaves, de chasseurs d’Afrique, de tirailleurs algériens, de spahis, ainsi qu’aux compagnies méharistes sahariennes[1].

Une armée qui se déploie sous le Second Empire

Au départ composée de troupes européennes puis « mixtes », c’est-à-dire issues d’Europe comme d’Afrique, l’armée d’Afrique (AA) devint sous l’impulsion du Second Empire majoritairement composée de soldats autochtones, ce qui ne fut donc pas le cas entre 1830 et 1852. En effet, les régiments de la Légion étrangère[2], de zouaves et de chasseurs d’Afrique majoritairement, voire exclusivement, composés de soldats européens durant les dix premières années de la présence militaire française en Algérie, virent croître à leurs côtés des régiments de tirailleurs algériens et de spahis pour leur part composés d’engagés locaux que l’on désignés alors sous le titre d’« indigènes ». Contrairement à ce que pourrait laisser croire certains films, fussent-ils aussi remarquable que l’excellent Indigènes de Rachid Bouchareb (2006)[3], les soldats originaires d’Afrique du nord qui servirent au sein de l’AA ne servirent pas uniquement en qualité de militaires du rang, la qualité de sous-officier, voire d’officier, leur fut ouverte notamment sous les appellations d’officiers autochtones, d’officiers indigènes, d’officiers français-musulmans de statut indigène ou d’officiers musulmans[4]. S’il convient de souligner que ces derniers se trouvèrent “cantonnés” dans des grades subalternes (de lieutenant pour l’immense majorité pour être exact) alors qu’ils servirent au sein des unités parmi les plus exposées au feu, n’oublions pas que l’avancement était âpre pour tous à cette époque[5]. Reste que force est de constater qu’entre 1853 et 1945, l’AA fut de toutes les guerres et que cette dernière offrit à l’armée française parmi ses plus valeureux combattants.

Présente sur tous les fronts ouverts par le Second Empire depuis la guerre de Crimée (1853 1856) les régiments de la Légion étrangère[6] de l’AA ainsi que ceux des zouaves, des chasseurs d’Afrique et des tirailleurs sénégalais se distinguèrent notamment lors du siège de Sébastopol ainsi qu’à Malakoff (le 1er zouave), bataille qui décida du sort final de la guerre. L’AA fut aussi de la campagne d’Italie de 1859 (batailles de Magenta et de Solferino), de Syrie et de Chine (fin de la seconde guerre de l’opium) de 1860. L’Histoire retiendra bien évidemment la participation de l’AA à la campagne du Mexique (1862-1867) avec son point d’orgue qui constitue le mythe fondateur de la Légion étrangère à savoir la bataille de Camerone où la quasi-totalité des effectifs de la 3e compagnie du régiment étranger fut disséminée[7].

Les hommes de l’AA furent aussi de de la guerre contre la Prusse de 1870. Ils servirent sous les ordres du maréchal Mac Mahon et brillèrent par leur courage lors de la prise de Sedan en essayant de dégager l’armée par trois reprises sans succès. Si le Second Empire s’effondra avec la guerre de 1870, il n’en fut pas de même pour l’AA dont les unités rejoignirent leur stationnement jusqu’à la Première Guerre mondiale. Les régiments de l’AA furent surtout employés au maintien de l’ordre notamment dans le cadre d’actions dites de « pacification » lors de l’insurrection de 1871 qui fait suite à la débâcle de 1870, de la révolte du Sud-Orannais de 1881 et de la révolte du haut Chelif d’avril 1901 dans le village de Margueritte.

Au service de la Troisième République, engagée dans les deux guerres mondiales

Durant la première guerre mondiale, l’AA fut d’un apport décisif dans les combats les plus durs. La majorité des poilus demeurèrent frappés d’admiration devant le courage de ces hommes venus combattre l’ennemi allemand sur le sol de la mère patrie si loin de chez eux dans les conditions atroces que l’on sait. 300 000 soldats dont 190 000 maghrébins composèrent les rangs de l’armée d’Afrique venus se battre dans les tranchées de « 14-18 » ; de la bataille de la Marne, à celle de la Somme en passant par Verdun et le Chemin des dames…

Au total, ce ne sera pas moins de 25 divisions qui seront levées pour servir tant sur le front de l’ouest que sur celui du Moyen-Orient et des Dardanelles. Il convient de souligner que sur les 18 régiments de l’armée française qui reçurent la fourragère rouge suite à la Grande Guerre, 10 étaient de l’AA[8].

Si le comportement de l’armée d’Afrique fut exemplaire durant la première guerre mondiale, que dire de celui dont elle fit preuve durant la seconde ? D’ailleurs, aurions-nous pu parler de Forces Françaises Libres (FFL) sans elle ? Il convient en effet de ne pas oublier que l’armée d’Afrique composa 75 % des effectifs des FFL. Depuis les campagnes de Tunisie et d’Italie, avec le point d’orgue de la terrible bataille du Mont Cassin (Monte Cassino) jusqu’au débarquement de Provence et la libération de Toulon et de Marseille, l’armée d’Afrique fut de toutes les heures de gloire de l’armée française de libération. Composant 50% des effectifs de la 2ième division blindée (DB) du général Leclerc et la grande majorité de l’armée B qui deviendra la 1ére armée de De Lattre de Tassigny, la France libre n’aurait pu peser et exister sans ses troupes, leur courage et leur sacrifice. Là encore, sur les 36 régiments d’infanterie qui se verront attribuer le droit d’arborer la fourragère rouge, jaune ou verte (médaille militaire ou croix de guerre), 21 seront de l’AA dont les 11 régiments de tirailleurs marocains.

C’est donc peu dire qu’il existe une dette de la France à l’égard de ces troupes. Régiments cités à l’ordre de l’armée, décorés des plus prestigieuses décorations, objet de tous les satisfécits, l’armée d’Afrique fut l’un des acteurs majeurs de l’histoire militaire française.

L’AA a donc été de toutes les opérations militaires majeures menées par la France de 1852 à 1945. L’élan, le courage et l’abnégation dont firent preuve l’ensemble des hommes qui ont fait l’AA n’a été que récemment redécouvert par le plus grand nombre. On estime aujourd’hui que plus d’un million d’hommes issus de ses rangs sont morts pour la France. L’AA ne put jamais pleinement devenir le lieu d’intégration qu’elle aurait méritée d’être même si nombre d’autochtones vinrent grossir ses rangs conscients que le statut de soldat leur offrirait plus de reconnaissance que celui d’ « indigènes ». Héritière, et dépendante, en cela des préjugés d’une époque, l’AA créera néanmoins une fraternité d’armes qui permit le dépassement de bien des préjugés très ancrés dans la société française du début du XXe siècle. La tentation est dès lors grande de penser que l’Histoire qui ébranla la Nation de 1954 à 1962 aurait pu être différente si davantage de reconnaissances avaient aussi été offerte aux soldats de l’AA notamment lorsque l’on constate le nombre important d’anciens sous-officiers supérieurs qui deviendront cadres voire dirigeants du Front de libération nationale (FLN)[9]… Mais cela est déjà une autre histoire et constitue selon nous une tendance à revisiter notre passé de manière anachronique à l’aune de nos priorités morales actuelles.

De l’armée d’Afrique, il ne reste plus aujourd’hui que 5 régiments[10] (hormis les unités de la Légion étrangère) à proprement parler, la majorité de ceux qui composaient ses rangs ayant été dissous par le Général de Gaulle en 1962. De facto, la majorité des traditions attachées aux régiments de l’AA ont été reprises par des régiments d’artillerie, du génie, des transmissions et du train, ce qui demeure une certaine façon de faire vivre la mémoire.

Notes

[1] Immortalisée par le film Fort Saganne d’Alain Corneau (1984). Voir aussi notre article : « Barkhane : tombeau ou revival de la tentation méhariste ? » Opérationnels n°24 printemps 2015.

[2] L’Algérie accueillit le doyen des régiments de la Légion qu’est le 1er régiment étranger (RE). Basé à Aubagne depuis 1962, date de son arrivée de Sidi Bel Abbès, le 1er RE est aujourd’hui un régiment à vocation essentiellement administrative après avoir été un régiment engagé dans toutes les guerres menées par la France de 1841 à la fin de la guerre d’Algérie.

[3] Nous aurons l’occasion d’analyser ce film dans notre série consacré à la Guerre au cinéma dont le premier volet est paru dans le numéro 33 d’Opérationnels de mars 2017.

[4] En fait, l’accès aux grandes écoles militaires n’étaient pas ouvert pour les populations autochtones d’Afrique du nord ce qui explique que tous les officiers « indigènes » étaient sortis du rang, c’est-à-dire issus du corps des sous-officiers et n’accédèrent pas aux grades d’officiers supérieurs. L’école de Miliana tenta d’en finir avec cet état de fait sans grand succès.

[5] De facto, l’avancement à l’époque était principalement déterminé par le fait d’être saint-cyrien ou pas. Même pour les officiers d’origine européenne servant au sein des régiments de l’AA parmi les plus exposés au feu l’avancement était long et l’accès aux grades supérieurs difficile. Que l’on regarde notamment les carrières d’officiers tels que Adolphe Gans, Armand Novel ou Charles Cointement pour se faire une idée précise sur le sujet.

[6] La Légion compta à un moment de son histoire deux régiments stationnés en Afrique.

[7] Sur les 62 légionnaires qui eurent à lutter durant plus d’une journée contre 2 000 assaillants, 6 demeurèrent en état de combattre et se rendirent sans avoir à déposer leurs armes et en exigeant de pouvoir porter secours à leurs camarades blessés. L’officier dont le nom est à jamais lié à Camerone est le capitaine d’Anjou.

[8] Pour tout approfondissement de la question et concernant nos sources chiffrées la majorité de ces dernières sont issues de : Robert Huré, L’Armée d’Afrique : 1830-1962, Lavauzelle 1977 ; Anthony Clayton, Histoire de l’Armée française en Afrique 1830-1962, Albin Michel, 1994.

[9] Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002.

[10] Il s’agit du 1er régiment de tirailleurs d’Epinal, du 1er régiment de chasseurs parachutistes de Pamiers, du 1er régiment de spahis de Valence, du 1er régiment de chasseurs d’Afrique de Canjuers et 68e régiment d’artillerie d’Afrique.

Photo telle que reproduite sur le site:  www.military-photos.com/couleur.htm 

Légende : Autochrome représentant l’état major du général d’Amade au Maroc en 1907

  • En bas : Médecin Major, Commandant d’EM des  tirailleurs, Capitaine d’EM des tirailleurs
  • En haut : Sous officier du 3e Spahis, Lieutenant du 4em tirailleurs, sosu lieutenant indigène de tirailleurs, sous officier de tirailleurs