Série Les guerrières (5ème article) – Par le Lieutenant-colonel (ER) Michel KLEN – Les reporters de guerre sont des acteurs de terrain, dont le rôle est essentiel dans la compréhension d’une situation dans une zone ravagée par un conflit. Ces globe-trotters du témoignage, passionnés par leur métier périlleux, doivent en effet faire preuve de sang-froid, de courage et d’une grande résistance physique lorsqu’ils sont confrontés à des conditions de vie locale exténuantes et des drames humanitaires bouleversants. Ces baroudeurs de l’information doivent surtout être dotés d’une faculté de changement de posture et d’adaptation aux différents environnements géographiques et contextes sociaux et politiques.

Un journaliste de guerre doit être capable de faire sans préavis un reportage en Syrie, puis en Afghanistan, dans les Balkans, au Soudan ou dans la jungle colombienne où les milieux climatiques et les modes de vie sont totalement différents. Cette vertu cardinale qui exige un dynamisme physique, une souplesse d’esprit, des qualités humaines et une disponibilité opérationnelle à toute épreuve est aussi celle du chef de guerre. Les vocations des reporters de terrain et des militaires ont d’ailleurs des points communs. Sur ce chapitre, les récits font surtout la part belle aux hommes. Or beaucoup de femmes se sont également distinguées dans ces activités exigeantes et à haut risques.

Il y a d’abord les photographes de guerre dont le travail les contraint à agir au cœur de l’action et au plus près du sujet. L’une des pionnières de la prise de clichés dans des conjonctures de conflits est l’Allemande Gerda Taro, la compagne de Robert Capa, qui sera écrasée à 27 ans par un char le 26 juin 1937 pendant la bataille de Brunete (près de Madrid), alors qu’elle effectuait un reportage sur la guerre civile en Espagne. Première femme photographe reporter tuée dans l’exercice de son métier, elle est devenue une icône de la profession.

Il y a également les correspondantes de guerre qui ont connu leurs premières heures de gloire durant la Seconde Guerre mondiale. Certaines, comme l’Américaine  Marguerite Higgins,  ont atteint la célébrité, mais beaucoup sont restées inconnues malgré leurs actions de bravoure, notamment pendant le débarquement allié en Normandie. La notoriété de Marguerite Higgins s’est amplifiée après la guerre à différentes occasions. D’abord lorsqu’elle a couvert le procès de Nuremberg où ses témoignages saisissants sur les camps de la mort et son analyse poignante de la Shoah ont aidé les historiens à forger les fondements du devoir de mémoire sur cette tragédie humaine.

Ensuite, lorsque la journaliste américaine s’est impliquée dans la guerre de Corée (1950-1953). Au début son travail a été perturbé par une décision des autorités américaines qui interdisait la présence de femmes sur le front. L’opiniâtre reporter, fermement déterminée à accomplir ce qu’elle considérait comme la vocation de sa vie, persuadera le général MacArthur, commandant des forces des Nations Unies en Corée, de se rendre sur le terrain pour exercer sa  fonction de journaliste dans des conditions d’authenticité. Galvanisée par la compréhension du prestigieux général  américain, Marguerite Higgins débarquera à Inchon (septembre 1950) avec les marines et rapportera un récit prenant[1]. Cette expérience hors du commun qu’elle a décrite dans War in Korea, lui vaudra  le prix Pulitzer et le titre de « femme de l’année » par  l’Associated Press News Organization.

En 1953, la baroudeuse échappe de peu à la mort en Indochine, alors qu’elle marchait aux côtés de Robert Capa qui sauta sur une mine. En 1965, alors qu’elle couvrait la guerre du Vietnam, elle est terrassée à 45 ans par une maladie tropicale, la leishmaniose. Considérée comme une référence dans l’histoire du journalisme et une avant-gardiste qui a osé braver les préjugés misogynes, Marguerite Higgins sera enterrée au cimetière d’Arlington où reposent les grandes sommités américaines.

Note:

[1] La bataille d’Inchon mettra un terme à une impressionnante série de succès militaires de la Corée du Nord et permettra une contre-offensive des forces américaines et de l’ONU.

Photo © http://nojobforawoman.com/reporters/timeline/1944-marguerite-higgins-1920-1966/