(source: Le Point / article abonnés)

Écrivons-le sans détour : à ce stade, personne ne comprend rien aux intentions du président de la République concernant le service national universel, rendant les temps propices à un réexamen de la conscription, de ses objectifs et de sa relation avec la nation. Les questions portent notamment sur la part des armées dans son organisation et sa conduite. Sur ces incertitudes, nous avons choisi d’interroger François Cailleteau. C’est un observateur attentif de la vie militaire. Ancien chef du contrôle des Armées, il fut membre de plusieurs cabinets ministériels et a terminé sa carrière dans l’administration civile comme inspecteur général des Finances. Son regard aiguisé sur le monde de la défense, mais aussi sa connaissance intime des plus profonds rouages de l’État, l’ont conduit à écrire plusieurs ouvrages, dont La Conscription en France, mort et résurrection ? (Économica, 2015).

Le Point.fr : Le président de la République affiche sa volonté de créer un service national universel, d’une durée de trois à six mois. Comment cette initiative s’inscrit-elle dans l’histoire de la conscription ?

François Cailleteau : Une erreur fréquente est de donner à la conscription une valeur de construction du patriotisme, alors que l’inverse a toujours prévalu. La conscription n’a été rendue possible que grâce à l’existence d’un sentiment national. Elle est très liée à un état particulier de la société, quand les valeurs collectives sont jugées prioritaires par rapport aux valeurs individuelles. C’est pour cette raison que la conscription n’a pas fonctionné au début du XIXe siècle, alors qu’elle a réussi à la fin…

Qu’en est-il selon vous, plus de vingt ans après la fin du « service », supprimé en 1996 par le président Jacques Chirac ?

À mes yeux, les jeunes générations n’ont plus guère envie d’être appelées sous les drapeaux et les militaires d’active seraient navrés à l’idée de devoir prendre en charge une forme nouvelle de conscription. Quant aux citoyens d’aujourd’hui et aux décideurs, qui parmi eux possède encore une expérience de la conscription ? Ni les femmes, ni les moins de quarante ans, à tout le moins, ce qui fait une grande majorité de la population… Ce que personne ne comprend plus de nos jours, c’est à quel point le fonctionnement de cette institution exigeait de la contrainte. Il fallait obliger les conscrits à se rendre à la caserne. S’ils refusaient, on les arrêtait, ils étaient envoyés en prison pour insoumission et ceux qui désertaient étaient sanctionnés par de lourdes peines. Pour faire régner un semblant de tranquillité, il fallait disposer d’un encadrement nombreux : même dans ses meilleures époques, la conscription n’a jamais été un long fleuve tranquille que les gens rejoignaient avec enthousiasme. Un service « obligatoire » exigerait donc, sans aucun doute, un appareil répressif que nous ne possédons plus, qu’il faudrait recréer à une échelle énorme puisque l’on évoque des contingents annuels de 600 000 à 800 000 personnes ! D’autant plus qu’il ne serait plus question des taux considérables d’exemptions médicales que nous connaissions à l’époque. Je pense que personne ne se rend compte de l’énormité de la tâche… Car que ferons-nous si les gens ne rejoignent pas le service ou décident de le quitter avant terme ? Que ferons-nous si certains de ces jeunes arrivent avec de la drogue ? Si des jeunes hommes agressent des jeunes femmes ?

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