Devoir de mémoire, tourisme de mémoire, devoir d’Histoire – première partie

Ainsi que l’illustre la récente commémoration du centenaire de la Grande Guerre (voir nos articles précédents), le devoir de mémoire tend à s’accompagner de plus en plus d’un tourisme de mémoire.
Faut-il y voir un symptôme de notre société consumériste venant greffer sur un légitime besoin de recueillement collectif une volonté mercantile ? Ou tout simplement la manifestation d’une tendance lourde propre à notre époque où nous sentons que la paix étant un bien des plus fragiles nous ressentons l’urgence d’inscrire nos pas dans les lieux où nos ancêtres ont combattu et souffert ?
L’étude des possibilités d’inscription du devoir de mémoire associé à la Grande Guerre constitue non seulement une occasion exceptionnelle d’aborder la question précédemment posée, mais aussi de saisir pourquoi, et en quoi, le devoir de mémoire doit s’inscrire dans le champ plus large de ce que nous appelons le devoir d’Histoire.

Devoir de mémoire et itinérance mémorielle
La mémoire participe de la construction de l’identité tant à l’échelle collective qu’individuelle. Ainsi que nous l’écrivions il y a de cela quelques années, la mémoire : « rassemble et est vecteur de solidarité, tout comme le devoir de mémoire oblige et conduit à la réconciliation, tant que ces notions ne font pas l’objet d’une tentative d’instrumentalisation ».
Or, nous vivons une époque marquée du sceau de la guerre des mémoires où la sacralité inhérente à la dimension mémorielle du souvenir devient un enjeu politique, idéologique, économique et culturel.
La récente itinérance mémorielle du Président Macron, ainsi que les réactions qu’elle a suscitées, illustrent bien cet état de fait. L’objectif de cette itinérance était de faire vivre et de se rencontrer les dimensions familiale, communale et internationale de la Grande Guerre, le tout dans un souci plus ou moins explicite de faire ressentir la beauté et la grandeur du projet européen.

In fine, ce sont les problèmes de politique intérieure qui ont pris le pas sur la séquence mémorielle, le prosaïque et ses nécessités vitales venant faire passer au second plan le recueillement, la dignité et les enjeux historico -philosophiques associés à un regard croisé sur la signification de la Grande Guerre dans les différents pays européens.
Faire dialoguer l’histoire et la mémoire était l’objectif de l’itinérance. Mais les leçons du passé ont été éclipsées par l’actualité, tant et si bien que le message subliminal associé à ce moment hautement symbolique – qui était de rappeler que si la France avait gagné la guerre, c’est l’Europe qui avait fait la paix -, est non seulement passé loin du plus grand nombre, mais n’a pas non plus été le thème majeur relayé par les rédactions des grands médias.

Il convient ici de rappeler que si c’est avec la guerre de 1870 que s’est répandue en France l’importance du devoir de mémoire, c’est avec la Grande Guerre que l’impérieuse nécessité de se souvenir de ceux qui se sont sacrifiés pour le pays s’impose avec la création de stèles commémoratives : nos traditionnels monuments aux morts. Ces derniers incarnent aujourd’hui dans notre paysage quotidien le devoir de mémoire. Ils incarnent le geste de gratitude infinie de la Nation vis-à-vis de ses enfants tombés dans la première guerre à l’échelle industrielle de l’Histoire et notre pays inventera pour ces hommes tombés dans l’âpreté des tranchées la mention « mort pour la France » par la loi du 2 juillet 1915.

Illustration telle que reproduite sur le site : http://centenaire.org/fr/en-france/picardie/aisne/diaporamas/les-monuments-aux-morts-autour-du-fort-de-la-malmaison