D’un livre blanc l’autre : l’affirmation de la notion de sécurité nationale dans le paysage stratégique français (2008-2013)
La notion de sécurité nationale s’est imposée dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN) de 2008. Embrassant aussi bien les notions de sécurité intérieure que de sécurité extérieure, le concept de sécurité nationale transcrit l’idée d’un continuum, d’essence interministérielle, capable de répondre de manière graduée aux risques et aux menaces qui pèsent sur les français. Plus lisible à l’international que la défense nationale, elle s’intègre mieux au droit européen également.
Face à la menace terroriste, il a fallu repenser un nouveau cadre d’emploi pour les armées sur le territoire national. De facto, les récents attentats nous ont rappelé que la mission principale des armées est bien d’assurer le respect de l’intégrité du territoire national, mission passée au second plan dans le contexte d’opérations extérieures continues qui est le nôtre depuis la Guerre du Golfe. Le contrat opérationnel « protection » du territoire national a donc évolué depuis l’instruction ministérielle de 2010 relative à l’engagement des armées sur le territoire national jusqu’à la création de la mission Sentinelle en 2015.
Force est de constater que l’affirmation du concept de sécurité nationale va de pair avec l’affirmation que l’enjeu majeur d’aujourd’hui est de maîtriser la violence dans un contexte de “guerre du sens” (Loup Francart) permanente. Il s’agit bien en effet de maîtriser une violence polymorphe qui va des violences urbaines, en passant par le trafic de stupéfiant jusqu’au terrorisme. De plus, ce dernier a changé de visage ; il est moins politisé, et donc moins identifiable, mais plus radical et fanatique.
Le polymorphisme de la violence contemporaine prospère à la fois sur un refus de plus en plus prégnant de l’autorité de l’Etat, mais aussi sur le contexte de crises financière, morale et civique qui secoue nos sociétés de manière régulière. A ce polymorphisme s’ajoutent des menaces transverses telles les circuits de blanchiment d’argent, les cyberattaques et la mondialisation du crime organisé.
Les opérations extérieures s’inscrivent également dans ce contexte de maîtrise de la violence, car il ne s’agit pas uniquement de gagner la guerre, mais surtout de gagner la paix (l’Afghanistan et l’Irak nous le rappellent quotidiennement). Les armées françaises doivent réussir à garantir sous de nouvelles formes la sécurité, d’où la mise en œuvre combinée d’actions de coercition mais aussi humanitaires, diplomatiques et économiques avec la promotion de logiques de reconstruction.
Le concept de sécurité nationale se veut plus réactif et permanent que celui de défense nationale et donc moins militaro-centré, même si les armées demeurent un pilier majeur et incontournable de cette doctrine. Une de ses ambitions majeures est de gagner la guerre du sens qui est aussi une guerre de l’information. La formule “gagner les cœurs et les esprits” demeure à cet égard d’une pleine actualité, car celui qui l’emportera demain sera celui qui racontera la meilleure histoire. En altérant – voire en décrédibilisant l’image de l’adversaire -, on diminue ses capacités d’action et de réaction en usant d’armes de persuasion massive. En effet, la guerre de l’information est au carrefour des logiques de défense et de sécurité, car elle comprend : la guerre du commandement, la guerre électronique, la guerre informatique, la guerre économique et la guerre psychologique.
Dans un monde où le distinguo entre état de guerre et état paix s’estompe au profit d’une permanence de l’état de crise, la notion de sécurité nationale s’est imposée dans le paysage stratégique français. Le soldat demeure un manager de la violence amené à jouer le gendarme du monde dans un contexte géopolitique où règnent, pour le moment, les menaces asymétriques et hybrides. Détenteur de la violence légitime, le soldat français d’aujourd’hui doit s’en montrer garant aussi bien dans les couloirs des gares parisiennes qu’au milieu des bancs de sable de la bande sahélo-saharienne…