Remise en cause des alliances régionales

La crise vénézuélienne met à mal le multilatéralisme latino-américain. Ce dernier s’incarne au sein de nombreuses organisations internationales qui ont toutes réagi aux troubles majeurs qui perturbent actuellement le quotidien du Vénézuéla.

De fait, la stabilité des relations internationales que ce pays entretient tant avec les Etats-Unis qu’avec l’Union européenne, ainsi qu’au sein des différentes organisations régionales sud-américaines, est profondément perturbée par la tragédie vénézuélienne.

C’est au sein de l’OEA (Organisation des états américains) que la remise en cause des alliances régionales a commencé pour le Vénézuéla. Le 26 avril 2017, Caracas a en effet annoncé son retrait de l’OEA jugeant cette dernière trop inféodée aux intérêts états-uniens et insuffisamment respectueuse du principe de non-ingérence et du respect de la souveraineté vénézuélienne. Peu de temps après, c’est la suspension du Vénézuela au sein du Mercosur pour cause de rupture de l’ordre démocratique qui est acté par cette autre organisation internationale.

Si Caracas appartient par ailleurs à d’autres organisations, telles l’UNASUR (Union des nations sud américaines) ou encore l’ALADI (Association latino-américaine d’intégration) comme membre à part entière ou comme membre observateur dans le cas de la CARICOM (Communauté des Caraïbes), le destin démocratique et économique du pays remet en question la stabilité du régionalisme latino-américain. En effet, la crise vénézuélienne constitue un facteur de déstabilisation majeur de ce dernier notamment à cause de l’ampleur inédite des flux migratoires qui frappent le pays. L’exode massif de la population vénézuélienne a fait passer la majorité des pays sud-américains d’une position de non-ingérence à une position plus ouvertement critique du gouvernement de Nicolas Maduro et de sa politique. Le président Maduro utilise d’autre part le pétrole comme une arme d’influence notamment au niveau de la CARICOM, dont la majorité des membres est dépendant du programme vénézuélien Petrocaribe. Dans ce contexte de vives tensions, le terrain caribéen devient un lieu d’expressions et de réveil des rivalités géostratégiques opposant notamment Cuba et les Etats-Unis, Cuba souhaitant mettre à mal l’influence de l’OEA en se rapprochant du Vénézuéla. Ainsi se dessine depuis quelques années la constitution d’une nouvelle alliance à l’échelle continentale incluant Cuba, le Vénézuéla, certains états insulaires des Caraïbes, la Bolivie et le Nicaragua avec l’appui en arrière fond de la Russie, de la Chine et de la Turquie. Cette fragmentation à l’œuvre représente une véritable bombe à retardement à l’échelle continentale et mondiale.

L’emprise grandissante de la Chine et de la Russie

Autres acteurs majeurs incontournables de cette crise, la Russie et la Chine ont mis en place une stratégie de soutien au gouvernement de Maduro qui rogne peu à peu sur la souveraineté et l’indépendance du pays. Ainsi, la Chine a récupéré via sa banque CITIC la gestion des comptes de la compagnie pétrolière nationale PDVSA pour ses transactions pétrolières les protégeant ainsi de tout potentiel défaut de paiement. La Chine s’est également profondément engagée dans la construction de raffineries permettant de traiter le pétrole lourd en provenance de leur allié. La Russie a pour sa part investi les volets militaires et énergétiques. Peu à peu, le Vénézuéla est ainsi devenu l’un des principaux clients de l’industrie d’armement russe. Par ailleurs, Caracas ne pouvant plus emprunter ni auprès des Etats-Unis ni auprès des banques européennes pour le remboursement de sa dette, la Russie a autorisé Rosneft, une entreprise d’état russe, à prêter plus d’un milliard de dollars à PDSVA transformant ainsi la dette vénézuélienne en livraison obligatoire de pétrole vers la Russie et permettant ainsi à la Russie de mettre la main sur une partie des ressources énergétiques vénézuéliennes. On estime aujourd’hui que plus de la moitié des grands projets pétroliers du pays sont désormais détenus par Rosneft. Enfin, la Russie et la Chine ont conjointement investi au sein de l’arc minier de l’Orénoque, un territoire d’une superficie de 110 000 km2 situé dans le sud du pays, exploité loin de tout regard, ce qui renforce encore un peu plus la captation des ressources premières vénézuéliennes.

La fin de la politique dite de patience stratégique (« Strategic Patience ») pour les Etats-Unis

L’administration Trump a fait des Etats-Unis le pays le plus engagé contre Nicolas Maduro. Alors que Barack Obama avait continué d’inscrire les Etats-Unis dans la lignée de la Strategic Patience vis-à-vis du Vénézuéla, ceci malgré des sanctions prises contre des responsables du régime vénézuélien, Donald Trump a durci le ton en indiquant notamment que toutes les options – y compris militaires – étaient sur la table vis-à-vis de Caracas.

Au-delà des injonctions de l’actuel président américain et des sorties fracassantes dont il est coutumier, il est important de comprendre que pour les Etats-Unis la déstabilisation à l’œuvre de ce grand voisin du Sud représente un risque majeur à double titre. D’une part, la frontière sud des Etats-Unis est une préoccupation, voire une obsession de premier ordre pour Trump, cette dernière étant perçue comme un grand risque pour la sécurité nationale. La crise des mineurs de 2014 et le flux massif de migrants venus du Honduras, du Guatémala et du Salvador qu’elle a entraîné sont dans toutes les mémoires des dirigeants américains. Par ailleurs, l’extension des présences russes et chinoises au sein d’un Etat au bord de l’implosion, ainsi que la constitution d’une nouvelle alliance au sein du bassin caribéen, constituent des menaces sérieuses pour les Etats-Unis qui voient s’implanter des puissances rivales dans une zone d’influence qu’ils souhaitent conserver favorable à leurs intérêts.

C’est dans ce climat international tendu qu’une véritable guerre de l’information est en train de se livrer entre Washington et Caracas. Utilisant le fait que le taux de criminalité du Vénézuéla est l’un des plus élevés au monde, Donald Trump a récemment accusé le Vénézuéla d’être un narco-état, menaçant le pays d’une nouvelle lutte anti-drogue telle que celle menée il y a quelques années en Colombie. Suite à ces accusations, la DEA (Drug Enforcement Agency) ouvert une investigation, alors qu’Interpol n’a pas jugé nécessaire pour sa part d’ouvrir une procédure contre les dirigeants vénézuéliens. Si le Vénézuélade Maduro n’est pas (encore ?) la Colombie d’Escobar, le pays est bien en train de basculer dans une dérive dictatoriale caractérisée, l’armée demeurant le dernier soutien de poids à Maduro. Dans cette ambiance de guerre froide larvée où les actions d’influence et de déstabilisation sont plurielles, on voit bien que désormais le torchon brûle entre les deux Etats et que la présence de plus en plus prégnante de la Chine et de la Russie n’est pas faite pour atténuer les choses…

 

Photo : Interception par la marine colombienne et les forces de sécurité d’Aruba du navire Aressa en provenance du Vénézuéla et à destination de la Grèce avec à son bord cinq tonnes de cocaïne © Marine colombienne (telle que publiée dans >>> https://dialogo-americas.com/articles/withdrawal-from-anti-drug-agreements-benefits-cartels-in-venezuela/)