Par Laure Singla – La gestion raisonnée des risques sanitaires majeurs à l’aune du principe de sécurité juridique : plaidoyer pour une vision bio-responsable mondiale des risques sanitaires environnementaux et leur régulation

Laure Singla est commandant de réserve citoyenne dans l’armée de terre. Docteur en droit et spécialiste des questions en stratégie sécuritaire, elle a fondé et dirige le cabinet Juris Eco Conseil. Elle est également observateur international CIDCE près du Groupe de l’Environnement des Nations-Unies, expert près la Cour d’Appel de Montpellier – spécialités D-04.05 Stratégie et politique générale d’entreprise, D-05 conflits sociaux, E-03.01 Pollution Air, E-08 Transport aérien (usage usagers) -, membre CNEJE et médiateur Près les juridictions judiciaires et administratives.

Dans cette série de six articles, elle nous propose d’aborder la crise du Covid-19 sous l’angle juridique en mettant en avant les structures existantes et les aspects méritant d’être améliorés en vue de faire face à toute crise sécuritaire ultérieure. En voici la conclusion et dernière partie.

 

Suggestions de stratégies organisationnelles reposant sur une vision juridique bio-responsable

1- Suggestion d’une  stratégie reposant sur  l’interconnexion organisationnelle 

Aux deux premières stratégies peut venir se greffer cette troisième suggestion qui repose sur une interaction transversale de tous les services précédemment évoqués formés notamment à la médecine de catastrophes et au NRBC, comme aux risques majeurs.

D’abord en les élargissant aux risques pandémiques majeurs accidentels, ce qui permettrait aux dispositifs existants d’intégrer ce risque environnemental exponentiel, de mieux préparer les acteurs en terme de logistique humaine et matérielle de façon rapide et opérationnelle, notamment hospitalière [1]. 

Ensuite en mutualisant transversalement les capacités humaines de chaque unité d’élite par le biais d’une plate-forme nationale commune qui n’existe pas encore. Celle-ci pourrait englober les quatre directions générales précitées et se déclinerait ensuite sur le plan européen et mondial., et ce, en vue d’une interconnexion internationale harmonieuse. En expertisant les stratégies propres à la médecine de catastrophes, aux risques majeurs et aux dispositifs NRBC, on trouve en effet des points de convergence qui pourraient servir de levier à de nouvelles stratégies innovantes et efficaces d’un point de vue opérationnel.

Enfin, il conviendrait de rendre cette plate-forme accessible (par niveau de confidentialité) au grand public au nom du principe d’accès à l’information environnementale pour le grand public, pilier de la convention d’Aarhus.

Pour autant, cette typologie d’idées novatrices reste pour l’instant bloquée en raison d’un processus de décision et d’appels à projets considérés par certains encore perfectible. L’Agence de l’innovation de défense (AID), rattachée au ministère des Armées, souhaitait dès avril dernier promouvoir des  solutions innovantes pour lutter contre le COVID-19 pour « disposer de propositions pour lutter contre la pandémie de COVID19 (…), la recherche de solutions innovantes, qu’elles soient d’ordre technologique, organisationnel, managérial ou d’adaptation de processus industriels, qui pourraient être directement mobilisables afin de : protéger la population, soutenir la prise en charge des malades, tester la population, surveiller l’évolution de la maladie au niveau individuel et l’évolution de la pandémie, ou aider à limiter les contraintes pendant la période de crise  (…) Les projets devront être d’une maturité technologique suffisante pour être employables pendant l’actuelle pandémie. Ces solutions innovantes devront être facilement et rapidement reproductibles et s’appliquer à l’échelle de l’ensemble du territoire national dans l’enveloppe budgétaire définie. Un budget de 10 000 000€ TTC est prévu pour cet appel à projets, qui vise à financer un à plusieurs projets d’intérêt.  » [3]


2- Suggestion d’une stratégie reposant sur l’interconnexion environnementale transversale

Au Moyen-Age (comme d’ailleurs aujourd’hui dans certaines tribus), l’épidémie était considérée comme un châtiment de Dieu. Aujourd’hui, certains, comme Nicolas Hulot, la définissent comme un « ultimatum de la nature ». En un sens, l’appel d’Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, à un « cessez-le feu général » mondial n’est autre qu’une demande modernisée aux trêves de Dieu tel qu’on le pratiquait au Moyen Âge. Cette trêve a certes peut-être permis une accalmie passagère dans certaines zones. Pour autant, les difficultés d’ordre logistique s’accumulent depuis mars 2020 pour les interventions de services de contre-terrorisme,  les missions de soutien de la paix, les médiations ou encore les inspections internationales. L’opportunisme stratégique d’acteurs notamment terroristes est donc à surveiller, car la communauté internationale se concentrant sur la pandémie, sa capacité d’agir est réduite du fait même de cette crise sanitaire qu’on a un peu trop vite qualifiée de « guerre ». L’opportunisme se manifeste également en politique intérieure, avec des licenciements suspects par exemple, ou encore des réformes importantes passées inaperçues, telle la réforme constitutionnelle en Russie.

En guise de conclusion, l’épisode du covid-19 pourrait, cinquante ans après la grippe asiatique et la grippe de Hong Hong, acter le point de bascule d’une vision “bio-responsable” mondiale des risques sanitaires environnementaux et leur régulation, laquelle n’en est qu’à ses balbutiements. Au delà du covid-19, et de tous les coronavirus qui vont arriver, se pose la question de la nécessité d’une vision anticipative des risques sanitaires majeurs, accidentels, comme intentionnels, et ce, sous l’angle de nouvelles stratégies sécuritaires transversales encore embryonnaires, tandis que pourrait prévaloir le principe de sécurité juridique sur la théorie du bénéfice-risque en matière environnementale.

 

Photo © https://www.usine-digitale.fr/article/covid-19-soutenu-par-l-armee-bforcure-developpe-un-laboratoire-sur-puce-pour-depister-le-virus

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Notes de bas de page 

[1] Décret n°1764 du 30 décembre 2005 relatif à l’organisation du  système de santé en cas de menace sanitaire grave ; Guide à l’usage des assistants NRBC du 03.04.2013

[2] http://www.senat.fr/rap/r18-655/r18-65517.html

[3] Appel à candidatures AID mars 2020 >>> https://www.defense.gouv.fr/aid/appels-a-projets/appel-a-projets-lutte-covid-19