Par Romain Petit – Le dernier rapport du GIEC1 (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a été pour partie occulté suite à l’avènement du récent conflit ukrainien. Or, à l’heure du réchauffement climatique, l’environnement s’impose comme un défi majeur pour tous y compris pour les armées. De facto, l’environnement a toujours représenté une priorité pour les militaires mais pas au sens où nous l’entendons aujourd’hui, c’est-à-dire en termes de stratégie de développement durable. En effet, la prise en compte de l’environnement a toujours constitué un enjeu majeur stratégique pour les stratèges et ceci depuis au moins Sun Tsu et son célèbre Art de la guerre. Reste qu’il ne s’agissait pas pour les militaires, et ce jusqu’à une époque récente, de préserver l’environnement, mais bien de le modifier pour en faire un avantage décisif sur l’adversaire dans le cadre de situations de conflictualité.

A l’heure où les impacts pluriels des bouleversements climatiques nous affectent puissamment, force est de constater que les armées occidentales et notamment françaises transforment leur rapport à l’environnement et à sa préservation. Ceci est tout du moins exact en temps de paix, tant il est vrai qu’en temps de crise voire de guerre, et notamment dans le cadre d’un conflit de haute intensité, les armées constituent un vecteur de perturbation majeur environnemental.

Force est de constater que les armées occidentales sont passées de l’exploitation de l’environnement à des fins opérationnelles à la recherche de sa préservation, le tout dans un état d’esprit animé par une tentative de conciliation des impératifs opérationnels de conduite des actions armées avec le respect de la vie et du vivant. Ce paradoxe, qui peut sembler de prime abord comme une contradiction dans les termes, nécessite de comprendre comment historiquement l’environnement est passé, pour les armées en général et celles occidentales en particulier, d’une arme de guerre tactique à un enjeu stratégique de développement durable pour finir par devenir une idée directrice majeure en termes d’adaptation d’emploi des forces dans des contextes climatiques extrêmes.

 

La maîtrise de l’environnement comme enjeu stratégique militaire

Au travers des âges, la maîtrise de l’environnement a toujours constitué un enjeu stratégique et tactique, c’est-à-dire un moyen de prendre l’ascendant sur l’adversaire, de le surprendre. Que ce soit en créant la surprise en franchissant des obstacles naturels réputés infranchissables (Hannibal dans les Alpes au début de la seconde Guerre punique), en détruisant les ressources d’une population par le feu ou en coupant les arbres fruitiers (pratique de la razzia) ou en détournant voire en empoisonnant des cours d’eau (inondation de la rive gauche de l’Yser en octobre 1914 pour bloquer l’avancée des troupes allemandes pour assoiffer ou annihiler les populations et les contraindre à l’exil ou à la reddition), l’environnement a d’abord été pensé comme une finalité stratégique et tactique par les armées.

Avec l’avènement des guerres dites industrielles (Première et Seconde guerres mondiales notamment), l’impact des armées sur l’environnement et le vivant change de dimension. En effet, dans la logique de la guerre totale, la destruction de l’environnement peut devenir une cible militaire majeure, l’effet final recherché pouvant être de réduire le moral de l’adversaire à néant en exerçant la terreur sur les populations civiles comme cela fut notamment le cas lors des bombardements nazis sur Londres lors du Blitz de 1940-1941 ou lors des bombardements alliés sur l’Allemagne nazie et notamment ceux qui touchèrent les villes de Dresde et de Berlin.

L’exemple le plus emblématique et le plus terrifiant de l’emploi d’une arme sur l’ensemble d’un écosystème et de sa population demeurant l’emploi de l’arme atomique sur les villes d’Hiroshima et de Nagasaki, la destruction totale de l’environnement incarnant ici à une échelle apocalyptique cette volonté d’annihiler la volonté de combattre au sein d’une population comme évoqué auparavant.

Au sein de l’imaginaire collectif deux conflits incarnent les effets des campagnes militaires sur l’environnement : la bataille de Verdun et la guerre du Vietnam. En effet, la bataille de Verdun et les séquelles de cette dernière suite aux bombardements d’artillerie exercés dans cette zone continuent d’avoir des conséquences majeures environnementales. De facto, la bataille de Verdun a transformé à la fois l’organisation agraire du territoire (perte de 100 000 hectares labourables devenus incultivables suite à la Grande Guerre) mais aussi la composition des sols jusqu’à la roche-mère. N’oublions pas en effet que sur seulement 200 km² les artilleries allemandes et françaises ont tiré respectivement 34 millions et 26 millions d’obus rien que sur la période allant de février à août 1916. Ce phénomène de perturbation appelé par certains chercheurs bombturbation ou pédoturbation d’origine humaine ont été très importantes durant la Guerre du Vietnam également.  Force est de constater qu’à partir de 1967, Nixon décida de faire un usage massif des bombardiers B52 pour désorganiser et démanteler la guérilla Viêt-Cong, tapie et retranchée sous l’épais feuillage de la forêt, ce qui eut notamment  pour conséquence un phénomène de déforestation et de pollution des sols majeurs à cause de l’usage de défoliant tel que le fameux Agent orange (résidu de dioxine à effet pouvant dépasser cinq années). On estime aujourd’hui que plus de deux millions d’hectares de forêt auraient été détruits suite au déversement de l’Agent Orange. Quant aux conséquences sur la pollution des sols elles se mesurent encore aujourd’hui…

S’ajoutant à ces conséquences environnementales majeures, les conséquences des conflits armés en termes de déplacement de populations ne font que s’ajouter à la liste des effets de perturbation du vivant engendrés par les guerres. Fort de tous ces constats, les opinions publiques, notamment mais non exclusivement, occidentales et donc, par extension, leurs armées ont pris conscience de la nécessité de préserver l’environnement et ce – autant que faire se peut – même pendant la conduite des hostilités. C’est le sens de la Convention sur l’emploi militaire de l’environnement de 1976 et des stratégies de développement durable que les armées occidentales mettent aujourd’hui en œuvre ainsi que nous le verrons dans notre prochain article.

Eléments de bibliographie:

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BOULANGER Philippe, Géographie militaire, Ellipses, 2006

DEVOS Alain, LARATTE Sébastien, TABORELLI Pierre, ORTONOVI Sarah, FRONTEAU Gilles, RABASTE Yoann et DUCHENE Bruno, Approche géotechnique du remplissage des « polémoformes » de la Grande Guerre, Géomorphologie : relief, processus, environnement, vol. 27 – n° 4 | 2021

DUPUY Pierre-Marie, VIÑUALES Jorge E., Introduction au droit international de l’environnement, Bruxelles, Bruylant, 2015

GANDUBERT Claudie, Le droit de l’environnement et les activités de défense, L’armement, n°84, 2003

KERBRAT Yann, MALJEAN-DUBOIS Sandrine (dir.), Le droit international face aux enjeux environnementaux, Actes du colloque de la Société française pour le droit international, Aix-en-Provence, Paris, Pedone, 2010

LAVIEILLE Jean-Marc, Droit international de l’environnement, 4eéd., Paris, Ellipses, 2018

MOLLARD-BANNELIER Karine, La protection de l’environnement en temps de conflit armé, Padone 2001

PETIT Romain, Ariane et Mars, Espace, défense et société en Guyane française, Ibis Rouge Editions, 2013

SUN Tsu, L’Art de la guerre, Stock, 1993

TTA 925, Manuel de droit des conflits armés, Direction des affaires juridiques, MINDEF, 2000

1  Lire le résumé du rapport (version pdf en  anglais) >>> resume rapport Climate Change 2022

 Illustration © Vadim Sadovski