Note de synthèse – publiée ici sous la forme de huit brèves – et réalisée au sein de l’Université de Technologies de Troyes (UTT) sous la direction de Romain Petit,  Luca Buisson, Léa Dieppois et Silvère Raynaud – 

La guerre de l’image

Du côté Ukrainien, Volodymyr Zelensky est rapidement apparu sur l’ensemble des réseaux-sociaux et télévisions mondiales pour s’affirmer en symbole de résistance. Vêtu d’un uniforme militaire, transformé en chef de guerre, il déploie une communication de crise dont les objectifs sont triples :

• Galvaniser le peuple pour l’inciter à prendre les armes avec pour toile narrative la lutte du bien contre le mal : sur ce point, son passé d’acteur lui est probablement très utile.

• Utiliser la tribune politique pour maintenir le soutien des Occidentaux : depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, Zelensky multiplie les discours forts et les remerciements directs. Il parvient à monopoliser l’attention de l’opinion internationale. Il s’efforce également à obtenir le soutien des pays africains au sein de l’assemblée générale des Nation-Unies, qui jusqu’à l’heure, se montrent réticents à condamner la Russie.

• Déstabiliser son adversaire en démontrant à la population russe la détermination du peuple ukrainien et ses capacités guerrières et en opposant l’image d’un Président jeune près à se mettre en danger physiquement face à un Président russe donnant des ordres de loin. L’idée globale est de dégrader dans l’opinion publique russe l’image de Vladimir Poutine et en faire un président isolé.

La stratégie médiatique du gouvernement russe s’est, quant à elle, construite sur des années. Il est important de noter que les élites politiques russes se basent sur deux croyances : le monde extérieur est hostile à la Russie et les Etats-Unis sont omniprésents et leur impérialisme à visée mondiale. Ainsi donc, une certaine paranoïa est entretenue vis-à-vis de l’Occident par la Russie qui lui serait « naturellement » hostile. Les dirigeants russes sont de plus traumatisés par la chute de l’URSS et le déclassement de la Russie sur la scène internationale qui s’en est suivi. Poutine convoque cette histoire traumatique pour légitimer son action. D’où l’importance du choix des mots et de l’emploi du terme d’“opération spéciale” plutôt que de “guerre”(ce qui lui évite de se présenter sous les traits d’un Etat agresseur ce qui est contraire au respect de la Charte de l’ONU), pour placer la Russie en position de libératrice du Donetsk et de Lougansk, des peuples qu’elle définit comme opprimés et surtout en proie aux tentatives de manipulation de l’OTAN.

De la guerre des mémoires à la « muséïfication instantanée »

En Ukraine, comme en Russie, la guerre a d’ores et déjà trouvé sa place dans les musées. C’est non seulement un symbole fort de l’héritage tangible et intangible légué à la postérité mais aussi et surtout le lieu par excellence du développement de nouvelles sémantiques sociales réactivant les traditions des belligérants. Ainsi, depuis mai 2022, le Musée de la Seconde Guerre mondiale de Kiev accueille l’exposition “Ukraine Crucifixion » montée à base d’objets récupérés sur les champs de batailles des villes libérées du Nord de Kiev. Les objets exposés ont été minutieusement sélectionnés : passeport avec date de naissance pour mettre en évidence le jeune âge des soldats russes, bocaux de soupe halal pour symboliser l’enrôlement de combattant tchétchènes, proximité entre jouets d’enfants et armements militaires symbole idéal d’une enfance volée79.

Depuis 2014, le personnel du musée nationale de la Seconde guerre mondiale collecte toute sortes d’objets témoignant du conflit avec l’objectif d’en exposer ses réalités. En choisissant de faire de ces objets des sujets de conservation et en les valorisant au sein d’une exposition, l’Ukraine procède ainsi à une “muséïfication” en direct de la guerre sur son sol80. Un mois seulement après l’invasion Russe naissait l’exposition “ Kyiv: One-Day Report. March 8, 2022” présentée en France, en Allemagne, en Corée… grâce à un partenariat avec le Centre Mondial de la paix81.

Une muséification qui s’exporte donc à l’international, imposant ainsi aux yeux des visiteurs étrangers l’impact de la guerre. En Russie, on applique le même schéma, et on retrouve ainsi une salle consacrée au “nazisme ordinaire en Ukraine” au sein du musée de la Victoire, où pléthore d’artéfacts nazis côtoient le drapeau ukrainien. L’exposition est divisée en deux parties, l’une traitant des exactions de l’organisation des nationalistes ukrainiens, des faits historiquement prouvés, et l’autre traitant de l’histoire de l’Ukraine sous l’angle russe: “le retour du Mal” peut-on lire sur les murs. Pourtant, très peu de cartels venant donner des éléments d’explication sont visibles pour justifier la survivance de l’idéologie nazie en Ukraine. Le directeur du musée, Alexander Schkolnik, explique que “les objets exposés dans la salle racontent les atrocités commises par les nationalistes ukrainiens pendant la Seconde guerre mondiale et montrent également la terreur véhiculée par les néonazis modernes contre les habitants de l’Ukraine, au cours des huit dernières années”. Des nationalistes ukrainiens ayant participé aux exactions nazies il y a 80 ans, les nationalistes actuels ne peuvent qu’être nazis… de l’art de manipuler les esprits, via encore une fois, des procédés de subversion et d’intoxication.

 

Notes de bas de page :

79. Le Point. (2022, 07 juin); “En Ukraine, la guerre en cours est déjà au musée.” lepoint.fr; https://www.lepoint.fr/monde/en-ukraine-laguerre-en-cours-est-deja-au-musee-07-06-2022-2478541_24.php

80. The Guardian (2022, 23 mai) ; “Kyiv museums exkibit Russian artefacts with pride and a warning ;
https://www.theguardian.com/world/2022/may/23/kyiv-museums-exhibit-russian-artefacts-with-pride-and-a-warning

81. Centre Mondial de la Paix. (2022, 13 juin); “Ukraine guerre totale”; cmpaix.eu; https://cmpaix.eu/fr/ukraine-guerre-totale/
     Pour en savoir plus, lire le PDF de présentation de cette exposition en date de juin dernier >>> Exposition Ukraine Guerre Totale – Centre Mondial de la Paix – Verdun