Commémoration immédiate et amnésie commémorative ou de la responsabilité de l’oubli volontaire

En cette période de commémoration du centenaire de la Grande Guerre, on ne peut être que profondément frappé par la relative indifférence avec laquelle notre pays traverse ce moment ainsi que par le manque d’ouverture et de rapprochement des faits sociologiques et événements guerriers – d’histoire(s) croisée(s) en somme – qui marquèrent durablement l’imaginaire de nos partenaires européens durant la Première Guerre mondiale.

Si notre pays est traversé par l’onde de choc des récents attentats, comment ne pas être surpris de la façon dont la presse écrite et audiovisuelle s’est emparée des commémorations des tragiques événements du 13 novembre et le caractère routinier de la commémoration du 11 novembre dernier, l’année du Centenaire de Verdun et de la Somme ?

Certes. le traumatisme des attentats précédemment cités est encore fort au sein de la population française et ces derniers constituent un enjeu politique majeur à quelques mois de l’élection présidentielle française. Mais force est de constater que le nombre de reportages consacrés à ce trauma collectif paraît exorbitant et ne semble pas forcément du goût tant des survivants que des familles des victimes du 13 novembre.

Cumulé au goût du sensationnel et à l’obsession de l’audience chez les mass medias, ainsi qu’à la volonté du politique de défendre son « bilan » face à l’horreur,  ce traumatisme créé au niveau national explique cet état de fait, mais n’en excuse pas pour autant la relative indécence.

C’est que nous sommes entrés dans l’ère de la commémoration immédiate et de son exploitation affective.

Dans ce contexte où le temps de l’Histoire semble se mesurer en mois écoulés et non plus en décades et encore moins en siècles, comment être surpris par l’amnésie mémorielle collective qui touche un nombre sans cesse croissant d’hommes et de femmes au sein de nos sociétés occidentales ?

L’absence de recul historique est un mal qui ronge la conscience des peuples de notre époque. L’histoire récente nous a prouvé qu’il n’y a pas que le climat qui connaisse des phases de réchauffement… Ainsi en est-il par exemple d’une guerre qu’on croyait enterrée : la Guerre Froide… Certes l’opposition n’est plus aussi tranchée qu’avant entre ce que l’on appelait autrefois l’Est et l’Ouest, mais la Russie continue de considérer l’existence de l’OTAN comme la principale menace pesant sur la pérennité de son existence et les récentes interventions russes en Tchétchénie, Ossétie du sud, Ukraine et Syrie sont autant de preuves que nous avons à faire à une nation qui n’a rien perdu de ces ambitions continentales et hégémonique sur des pays qui lui furent, jusqu’à il y a peu de temps, complétement inféodés.

Quand les populistes émergent, que les régimes autoritaires s’affirment et que les puissances émergées réarment, il y a nécessité de gagner en capacité de recul historique ne serait-ce que pour prévenir les conséquences de maux bien connus et désormais prévisibles.

Ne pas se pencher avec hauteur de vue, respect et dignité sur les événements de la « guerre de 14 » revient à enterrer les sacrifiés de « 14-18 » une seconde fois à l’heure même où il apparait enfin possible de comprendre la complexité de ce conflit dans ses dimensions plurielles loin de toutes tentatives de récupération comme de manipulation[1].

Loin du culte de l’immédiateté et ses dangers, le souvenir de la Grande Guerre nous ramène à une forme de gravité et de recueillement d’autant plus nécessaire à l’heure où nos esprits sont maintenus, via notamment Internet, les réseaux sociaux et l’influence majeure du petit écran sur la fabrique de l’opinion, dans un climat de culte du buzz et du divertissement (au sens pascalien du terme) quasi permanent. Sans recours, ni plaidoyer au primat de l’analyse vis-à-vis même de nos émotions, nous pouvons nous attendre à toutes les dérives associées à l’oubli. Reste à savoir si nous trouvons important ou pas de souffrir de ce qui pourrait être apparenté à une forme collective de la maladie d’Alzheimer appliquée à l’échelle de notre Nation…

Note de bas de page 

[1] Sur ce sujet voir par exemple le magnifique film de Bertrand Tavernier, “La Vie et rien d’autre”, qui conte notamment comment la commémoration des morts, la recherche des disparus et du soldat inconnu furent des sujets hautement politiques aux lendemains de la Grande Guerre. On peut aussi se référer utilement au classique de Pierre Nora sur cette question, “Les Lieux de mémoire”.

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