(Par Pascal Le Pautremat, historien) – Distincts des mercenaires, au sens générique du terme, les contractors, employés par les Sociétés militaires privées (SMP), apparaissent comme des auxiliaires, en sous-traitance, des affaires militaires. Ils se sont sensiblement imposés dans les crises et conflits à partir des années 2000, même si on les observait dès les années 1970. D’abord employés par les Etats anglo-saxons, ils sont, aujourd’hui, de plus en plus sollicités par des filières privées et transnationales, loin des intérêts régaliens de leurs Etats d’origine.
Durant des siècles, le recours à des mercenaires, professionnels de la guerre, fut dans l’ordre des systèmes impériaux et étatiques. Soit par défaut de troupes permanentes, soit pour leur apporter des renforts déterminants.
L’empreinte de l’Histoire : l’impulsion du mercenariat
Du Moyen-Âge jusqu’à l’époque moderne, le mercenariat fut l’unique moyen, pour des États comme la France ou l’Espagne, de disposer de troupes aguerries alors que les armées permanentes n’existaient pas encore véritablement, sinon avec des effectifs insuffisants. Quelques siècles plus tard, les Cités-Etats italiennes, en pleine Renaissance, s’inscrivaient toujours dans cette tradition ancestrale, remontant aux temps les plus lointains, via les compagnies des condottieri, seigneurs de la guerre qui louaient leurs services aux princes les plus offrant ainsi qu’aux couronnes européennes.
Au XIXe siècle, et durant la première moitié du XXe siècle, les mercenaires se confondent avec le volontariat mû par des mobiles politiques. Ils sont aussi absorbés dans le jeu des conflits majeurs, comme les deux guerres mondiales. Par contre, la phase d’instabilité géopolitique née de la décolonisation, le jeu des grandes puissances, soucieuses de préserver leurs zones d’influence et intérêts auprès de certains Etats africains, assurent une nouvelle période fastueuse pour les mercenaires, pourtant interdits par la convention de Genève (12 août 1949 et l’article 47 du Protocole additionnel I de 1977), ou encore la Convention de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) du 3 juillet 1977, et la Convention internationale contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’entraînement de mercenaires (1989).
Conjointement aux membres des services spéciaux, ils interviennent pour consolider ou défaire des régimes jugés trop peu favorables aux intérêts occidentaux. Ils opèrent ainsi au Congo belge, en Angola, au Biafra, sur fond d’anticommunisme notoire. Des noms sont restés célèbres à l’instar de Robert Denard (dit Bob Denard) (1929-2007) qui conserva tout au long de sa vie de réelles amitiés avec des anciens membres français du Special Operation Executive (SOE) britannique, créé pendant la Seconde Guerre mondiale, ou du SDECE (Service de Documentation et de contre-espionnage).
L’Afrique du Sud n’est pas non plus en reste avec la mise sur pied, en 1989, de la société privées de sécurité, « Executive Outcomes », qui défraya la chronique en menant diverses opérations de sécurisation de territoires, au gré de contrats signées avec des multinationales diamantifères et minières, de la Sierra Leone à l’Angola[1].
A partir de 1998, l’Afrique du Sud a clairement interdit toute forme de service armé inhérent au mercenariat (Regulation Foreign Military Assistance Act du 26 février 1998). Les « contractors » sud-africains se font, depuis, plus discrets mais restent néanmoins présents sur les champs de bataille. Certains ont même été observés, ces dernières années, dans le nord du Nigeria, aux côtés de l’armée nigériane, comme conseillers militaires dans les opérations menées contre la secte de terrorisme islamique, Boko Haram.
Des années 1990 aux années 2010 : le contexte de politiques de défense aux budgets réduits
A partir de la fin de la Guerre froide, de nombreux de pays occidentaux optent pour la réduction des budgets alloués à la défense et à la diminution des effectifs de leurs forces armées. Dans le même temps, les sociétés privées dédiées aux missions de sécurité et de défense, font leur apparition et s’affichent, dans les pays anglo-saxons comme des partenaires à part entière.
Dans les années 2000, elles deviennent d’ailleurs des atouts précieux pour les pouvoirs exécutifs, notamment aux Etats-Unis. Car si, malgré tout, le concept de mercenariat perdure à travers le monde[2], les sociétés militaires privées ne cessent, elles, de s’imposer et de s’étendre. Au point que dans les années 2000, il était fait état d’un marché de près de 200 milliards de dollars environ, avec des sociétés militaires privées cotées en bourse. On peut citer, pour exemples, les sociétés DynCorp, dont James Woolsey, ancien directeur de la Central Intelligence Agency (CIA), fut actionnaire, qui comptait plus de 25 000 employés répartis sur 35 pays[3] , ou encore Academi, l’ex-Blackwater Worldwide créé en 1997, et dirigée par le Texan Erik Prince, ancien Seal, qui avait défrayé la chronique suite à son intervention en Irak, dans les années 2000. Et comme pour des entreprises civiles, les logiques de rachat de Sociétés militaires privées et de leurs filiales par des fonds d’investissement, sont devenues assez fréquentes, comme en témoigne la politique d’achat, menée par le fonds d’investissement Apollo Global Management créé en 1990, de plusieurs SMP dont Academi (SMP qui sont, aujourd’hui, réunies dans Constellis Group).
Dorénavant, que ce soit sur le sous-continent américain (Colombie, Mexique), ou en Afrique, les contractors sont à pied d’œuvre jusqu’au Proche-Orient et Asie centrale.
Evidemment, les relations ont toute leur importance pour ceux qui sont dans la boucle depuis des années. Pour les autres, les processus de candidature sont comparables à ceux observés dans le monde entrepreneurial classique : curriculum vitae, candidatures en fonction des spécialités et profils recherchés.
Missions des Contractors : Un large panel de spécialités
Il existe tout un panel de services proposés par les SMP, entre entraînement/formation, et encadrement et spécificités opérationnelles : maintien de la paix ; missions de sécurité ; protection rapprochée de personnalités ou d’expatriés ; appuis logistique et techniques. Le champ d’activités le plus répandu couvre les domaines suivants : conseil en planification stratégique ; analyse et recherche opérationnelle ; analyse des menaces et développement de projets ; entraînement et opérations spéciales ; guerre électronique et opérations de déminage ; opérations de forces d’action rapide et d’opérations spéciales ; libération d’otages ; restructuration des forces militaires et de police ; entraînement aux opérations contre-narcotiques, contre-terroristes et de contre-prolifération ; opérations de soutien maritime ; soutien et service de soutien aux combats en environnements hostiles… Les rémunérations proposées sont très attractives pour nombre d’anciens militaires, issus des troupes d’élite ou d’unités spéciales, et de policiers qui, tous, en fonction, de leurs spécialités, peuvent obtenir des salaires représentant 3 à 4 fois plus que les soldes acquises dans leurs emplois précédents.
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Pour bénéficier d’une certaine discrétion, les SMP se présentent de plus en plus comme des Entreprises de Services de Sécurité et de Défense (ESSD). Comme dans les années 2000, l’Irak et l’Afghanistan demeurent les espaces d’ancrage privilégiés – et rentables – pour lesdites sociétés de contractors. Si on l’en croit un rapport d’une organisation britannique non gouvernementale, au printemps 2016, War on want, connue certes pour ses positions politiques, mais corroborées par la BBC, entre 2007 et 2012, le ministère des Affaires étrangères britannique aurait investi quelques 150 millions de livres en recours à des SMP à l’instar de G4S, Aegis Defence Services ou encore Control Risks, tandis qu’en 2015, la société G4S aurait obtenu un contrat de 187 millions de livres pour protéger les sites pétroliers dans la région de Bassorah, pour le compte de la Basrajh Gas Company.
Un moyen de contrôle : Le code de conduite international (ICOCA –International Code of Conduct Association)
Ce Code conduite est plus un dispositif visant à rappeler l’importance de respecter les lois internationales et notamment les conventions de la Haye et de Genève, tout en rappelant que les SMP doivent se démarquer du mercenariat susceptible de nourrir des processus de déstabilisation de puissances étatiques et qui est clairement condamné par le Document de Montreux du 17 septembre 2008 « sur les obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques pour les Etats en ce qui concerne les opérations des entreprises militaires et de sécurité privés pendant les conflits armés. » Mais, rien ne se veut contraignant. Les Etats et les Sociétés considérées sont libres d’y adhérer ou non.
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Toujours est-il que les pertes des contractors, d’année en année, ne sont pas négligeables. Ainsi, pour la période de septembre 2015 à septembre 2016, le Département of Labour américain a fait état de 99 contractors tués à l’étranger au service d’agences fédérales ou de Département publics américains, contre 513 en 2010, 302 en 202 et 143 en 2014. Et conjointement, les effectifs des contractors ne cessent d’augmenter notamment en Irak, véritables substitut des forces conventionnelles, sachant que l’US Central Command emploient plus de 42 500 contractors dont plus de 17 000 Américains. Pour le seul territoire irakien, le nombre de contractors est passé de 1 349 juin 2015 à 2 485 fin juin 2016[4].
On constate par ailleurs que certaines ESSP, comme Academi, recrutent des « petites mains » en Amérique du sud. Salvadoriens et Colombiens, Chiliens et Panaméens, en quête d’emplois de contractors, sont rémunérés à hauteur de 1 000 dollars par mois. Plusieurs milliers d’entre eux se retrouvent ensuite en Asie centrale ou au Moyen-Orient. C’est ainsi que la coalition arabe sunnite, menée par l’Arabe saoudite, en guerre contre les rebelles houthis, chiites, au Yémen, aurait recours, en complément de troupes conventionnelles, à quelques 500 contractors sud-américains.
Les brouillards de la guerre témoignent là encore de la complexité des situations et des risques de dérives éthiques inhérentes à notre époque bien tourmentée.
Notes:
[1] La SMP sud-africaine fut composés d’anciens soldats de Rhodésie du 32ème bataillon, impliqués dans les guerre dite du Bus (1975-1989), face au MPLA (Mouvement Populaire de Libération de l’Angola), soutenu par les pays du bloc soviétique (URSS, Cuba, Allemagne de l’Est) ou encore de la SWAPO (South West Africa People Organisation) dans l’actuelle Namibie
[2] On peut citer à cet effet la retentissante affaire qui avait défrayé la chronique au milieu des annéess 2000 lorsque le fils de Margaret Thatcher, Mark Thatcher, avait été impliqué, depuis Londres, dans une opération où 70 mercenaires présumés furent accusés d’avoir fomenté un coup d’État en Guinée équatoriale, contre le régime de Teodoro Obiang Nguema, au pouvoir depuis 25 ans. A la tête de ces hommes, on trouvait Simon Mann, alors âgé de 51 ans, ancien SAS britannique et ancien responsable des opérations de la société Executive Outcomes et ami personnel de Mark Thatcher. Mann fut incarcéré 3 ans au Zimbabwe avant d’être libéré pour bonne conduite, en novembre 2009. Les deux hommes étaient passibles de plusieurs dizaines années de prison selon la justice guinéenne qui avait rendu son verdict en 2008. Mais ils ont été « grâciés » depuis… Aujourd’hui, Simon Mann demeure dans la « boucle » des affaires paramilitaires Il a même fait savoir, en 2015, qu’une SMP pourrait venir à bout de l’Etat islamique.
[3] Voir le site de la société Dyncorp. Cf http://www.dyn-intl.com.
[4] Informations chiffrées diffusées par le Central Command (CENTCOM) et reprises par Philippe Chapleau, « Contractors d’Irak: les effectifs ont plus que doublé sur un an », 21 octobre 0216, sur son blog Ligne de Défense. Cf http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/
Photo © https://special-ops.org/pmc/private-military-contractors-cost-effective-uniformed-personnel/