Suspendu depuis 1997, et non pas abrogé comme nous l’entendons çà et là sur des chaînes de grandes écoutes, le service national (SN) a connu ses derniers appelés de « longue durée » fin 2001 (les jeunes français effectuant leur journée défense citoyenneté ont ce statut l’espace d’un jour). Depuis lors, les armées, principalement l’armée de terre pour qui la suspension de la conscription a été une véritable révolution, se sont réorganisées en fermant des centaines de sites sur l’ensemble du territoire national et en procédant à une rationalisation drastique de leurs effectifs[1].

Lors de l’écriture de notre thèse qui donna lieu à la publication d’un ouvrage et de nombreux articles[2], et alors que nous étions encore cadre d’active, nous insistions sur le fait que la suspension du service national, ceci malgré ses inégalités et son caractère « décalé » par rapport aux attentes des jeunes générations, laissée un vide civique que rien n’était alors venu combler. Malgré la création de quelques ersatz ayant perdu peu à peu de leur ambition initiale[3] il demeure au sein de la société française une véritable nostalgie liée au SN.

Il a notamment fallu attendre les émeutes des banlieues de 2005 pour que de nombreuses voix, issues de tous bords politiques, commencent à s’élever pour le rétablissement du SN. Cette tendance, jamais vraiment suivie d’effets à ce jour, n’a cessé de croître et de perdurer depuis lors jusqu’à la toute récente déclaration surprise du candidat Macron à l’élection présidentielle de ce dernier week-end de mars 2017…

Le rétablissement du SN national est donc vu de manière positive et est prôné par 3 des 5 candidats « majeurs », c’est-à-dire crédités du plus d’intentions de votes à ce jour, à l’élection présidentielle.

Voilà qui constitue un événement politique d’importance car l’origine et le profil desdits 3 candidats (Le Pen, Macron, Mélenchon) est pour le moins hétérogène. Alors pourquoi un tel retour en grâce du SN alors que tant a été fait pour transformer l’armée de notre pays et que cette dernière n’est pas en mesure, à l’heure actuelle, tant en termes de masse salariale que d’infrastructures, d’accueillir et de former 600 000 jeunes par an ne serait-ce que pour une durée minimale d’un mois[4]?

Selon nous, la réponse est assez simple et tient en quelques lignes. Malgré tous ses défauts, le SN demeurait l’un des derniers lieux de brassage sociologique de notre pays. Il offrait une occasion unique, pour une partie d’une génération, de servir son pays via le fameux impôt du temps. C’était aussi un moment permettant de détecter les jeunes souffrant de pathologie sociale telle l’analphabétisme. Enfin, ce moment offrait l’opportunité à certains jeunes en marge de notre société de retrouver du sens (civique, morale, patriotique) et de découvrir pour le plus grand nombre la nécessité pour un pays de se défendre, nécessité que les attentats terroristes des dernières années ont révélée/réveillée dans les consciences de tous.

N’oublions pas que la suspension du SN a été décidée de manière non concertée par le président Jacques Chirac, en son statut de chef des armées et ceci sans que la représentation nationale soit, a minima, saisie de cette question de société majeure. Il est vrai que nous étions à l’époque à l’heure des dividendes de la paix suite à l’effondrement du bloc soviétique et que rien, du moins du point de vue occidental, ne semblait en mesure d’empêcher le développement de l’économie de marché et de notre modèle démocratique à travers la planète. L’Histoire récente est venue nous rappeler le prix à payer de toute vision trop « européano-centrée » quant à la marche du monde…

Le SN comme nous l’écrivions il y a de cela presque 10 ans aurait dû faire l’objet d’aménagements nécessaires tant en termes de durée que d’affectations des ressources offertes par les jeunes conscrits ainsi que d’universalité (le SN était ouvert aux jeunes femmes sur volontariat à l’exception des diplômés de l’Ecole polytechnique).

Plutôt que penser une transition, nous avons choisi la radicalité ; tendance finalement bien française et qui déborde les clivages politiques…

Remettre sur pied le SN aura un coût énorme pour notre Etat (on estime à 15 milliards par an ce dernier) et un coût humain pour une armée qui souffre déjà, en silence mais de moins en moins, de devoir répondre à tant de sollicitations opérationnelles majeures : projection de forces et de matériel sur plusieurs théâtres d’opérations en simultané ; missions de sécurité intérieure (Sentinelle et Harpie pour ne citer que les plus connus, toutes deux hautement consommatrice en termes de ressources humaines.

Cela veut-il dire que cette volonté n’a aucun sens et relève du délire ? Certes pas. Elle est un choix politique au sens fort du terme ; un choix de modèle social mais aussi un choix de civilisation qui signe le potentiel retour du citoyen soldat en lieu et place, ou tout du moins aux côtés, du citoyen consommateur pour donner dans la formule…

Il s’agit donc d’un modèle et d’une organisation à repenser, de moyens financiers à trouver (le financement interministériel semblant la seule solution viable), d’une volonté politique à promouvoir auprès de l’ensemble du pays.

Une des pistes majeures pour la mise en œuvre de cette possible restauration semblant résider dans la nécessaire montée en puissance et valorisation des effectifs de réserve au sein de la Garde nationale dans l’ensemble de ces composantes….

Enfin, ne perdons pas de vue que la question récurrente et incontournable liée au retour du SN est celle de l’esprit de défense. Or, comme nous l’avons maintes fois démontré il ne peut y avoir d’esprit de défense sans devoir de défense et l’idée d’esprit de défense doit s’incarner dans un devoir si elle veut s’actualiser…

[1] Plus de 100 000 cadres de moins depuis 2001, aucun autre ministère n’a eu à procéder à une telle déflation de ses effectifs dans de telles proportions.

[2] Sur cette question nous renvoyons le lecteur à notre ouvrage : L’Esprit de défense à l’épreuve de la professionnalisation des armées françaises, Le fantascope, 2009 ainsi qu’aux articles : Un esprit de défense à réinventer, revue défense nationale janvier 2012 et Esprit de défense et résilience collective confrontée aux attentats de 2015 consultable sur le site d’Opérationnels, rubrique L’œil de Romain Petit.

[3] Nous pensons notamment au premier projet de journée d’appel de préparation à la défense (JAPD), ancêtre des JDC, dont la durée devait s’étendre sur plusieurs jours ainsi qu’ à l’ambition affichée en 2001 pour une réserve opérationnelle riche de 100 000 hommes, chiffre n’ayant jamais été honoré.

[4] Macron propose un SN d’un mois, Le Pen de 3 mois et Mélenchon entre 6 et 9 mois.

 Photo: Scène de combat : hoplites et lanciers vers 560-550 av. J.-C. hydrie à figures noires © [Louvre.edu]