Cette chronique est la première de notre série “Regards vers le futur” destinée à évaluer les facteurs de changement à moyen et long-termes en matière de soutien et logistique, et de défense en général, qu’ils soient humains, technologiques, géopolitiques ou économiques. Prendre le pouls des générations d’ingénieurs à venir à un moment où ils ont tendance à faire défaut dans les pays occidentaux a ainsi paru utile afin d’en mesure l’impact sur le futur échiquier aéronautique et spatial. C’est l’objectif de l’article ci-dessous réalisé à partir d’entretiens et de mini-sondages informels auprès d’étudiants de l’Institut supérieur de l’ aéronautique et de l’espace (ISAE) basé à Toulouse.

***

Ingénieurs aéronautiques nouvelles générations: “les yeux tournés vers les étoiles, mais les pieds bien ancrés sur terre”

Par Amélie Spire, étudiante ISAé/ formation Supaéro 


La Formation d’Ingénieur Aéronautique en France: une “exception culturelle” vouée à disparaître?

Il n’existe pas un type d’ingénieur aéronautique. Derrière ce terme, on retrouve une multitude de profils : ingénieur études et conception, ingénieur calcul, ingénieur production, ingénieur d’essai en vol, etc… Faire voler un avion requiert en effet la maîtrise de nombreuses disciplines qu’il faut savoir allier : électronique, mécanique, aérodynamisme, optique, système embarqué… Un large éventail de possibilités s’offre donc à l’étudiant en aéronautique.La formation se fait de préférence par une école d’ingénieurs spécialisée en aéronautique (ENAC, ENSMA, ISAE, ESTACA ou l’IPSA), qui nécessite d’avoir passé des concours après avoir étudié pendant deux ans minimum en classe préparatoire. Le métier est aussi accessible aux ingénieurs issus d’écoles généralistes ou spécialisées en électricité, informatique, télécoms, etc., ayant effectué des stages dans des entreprises aéronautiques.Concrètement, l’obtention du diplôme se fait à Bac +5, et le salaire débutant brut moyen se situe en général autour de 2700 euros (à cet égard, il convient de souligner les disparités importantes existant entre l’ingénieur à la française et la vision de l’ingénieur à l’étranger: à l’étranger, l’ingénieur semble d’avantage associé au mérite intellectuel plutôt qu’au statut social).A l’issue de sa formation, il est spécialisé dans un domaine technique mais on peut aussi le retrouver à des postes commerciaux (ingénieur d’affaires ou acheteur). Qu’il travaille pour un industriel ou une société de services, dans un bureau d’études ou en usine, il évolue au sein d’équipes multiculturelles et pluridisciplinaires.

Exception culturelle complexe s’il en est (peut-être amenée à disparaître), le système de formation français des ingénieurs attire les élèves avec de bons résultats scolaires, et non uniquement les élèves passionnés par le métier. En conséquence, nombre d’élèves ingénieurs en France ne trouvent pas forcément leur voie, et se dirigent en un deuxième temps vers des voies différentes, telles que la finance, la banque, le management, etc.

Le climat étudiant aéronautique et aérospatial: “température modérée”

Le secteur aéronautique et spatial a toujours fait rêver : dépourvu d’ailes naturelles, l’homme, quelles que soient les générations, cherche à s’en créer et est ainsi attiré irrémédiablement vers le ciel. La crise économique a beau affecter de plein fouet le secteur, l’industrie aéronautique et spatiale continue de créer des emplois. En 2008, 12 000 salariés ont été embauchés mais 2009 devrait connaître une baisse de recrutement. Le transport aérien civil se trouve pour sa part au cœur de la tempête : la baisse du nombre de passagers et la hausse des prix du carburant sont responsables des 6.4 milliards d’euros de pertes prévues pour 2009, après une année 2008 qui s’est soldée par 7.4 milliards de pertes.

1. L’Aéronautique sur fond de crises économique et écologique

Les futurs ingénieurs français, étudiants dans le domaine de l’aéronautique, ont bien conscience d’un tel environnement, mais, malgré une appréhension du futur à la fois liée aux conditions économiques et environnementales mais aussi à la concurrence croissante, ils gardent un optimisme raisonné, arguant que l’aéronautique est un secteur de pointe qui tend à faire progresser nombre d’autres secteurs. Enthousiastes à l’idée de relever les défis qui leur sont proposés, ils n’oublient pas que l’aéronautique a un poids économique non négligeable et ont bien intégré le fait qu’une industrie aéronautique florissante est une vitrine attractive pour un pays.

  • Secteur militaire: concernant le militaire, beaucoup placent leurs espoirs dans les drones, le F-35 étant perçu par beaucoup comme le dernier avion de combat piloté. Mais mis à part l’apparition d’aéronefs « légers » antiguérillas, ils affichent un certain scepticisme quant à la possibilité de développement de nouveautés dans le domaine militaire.
  • Secteur civil: la génération d’ingénieurs à venir est également consciente de la course qui se joue entre les principaux acteurs mondiaux dans le secteur aéronautique civil : la demande continuant d’augmenter (environ 25 000 appareils devraient être commandés dans les vingt prochaines années), les deux constructeurs aéronautiques principaux, l’américain Boeing et l’européen Airbus, doivent faire face à l’émergence de nouveaux concurrents qui entendent bien avoir leur part de ce marché de plusieurs milliards de dollars. En effet, même si les grandes puissances européennes et américaines ont le monopôle de la construction de gros avions de ligne, le Canada et le Brésil entendent bien entrer dans la compétition et visent chacun au moins la troisième place du marché. Comment assurer alors le maintien des puissances européennes et américaines dans la course alors que les budgets alloués diminuent ?

Un ciel qui s’annonce donc voilé non seulement par l’économie mais aussi par les enjeux environnementaux et pétroliers. Pénurie d’énergie, recherche de nouveaux carburant verts et limitation – voire annihilation – de la pollution sont des sujets que les ingénieurs doivent maintenant intégrer à leur problématique de recherche. D’autant que nous sommes amenés à voyager de plus en plus et sur des distances accrues : quels nouveaux outils propres et écologiques développer pour gérer cet afflux ?

2. L’Espace sur fond de concurrence accrue et de crise budgétaire

Cette industrie est soumise à une forte concurrence en provenance des puissances spatiales émergentes, l’industrie spatiale européenne tient son rang grâce aux performances et à la fiabilité de ses systèmes, qui contribuent à l’excellent niveau de sa compétitivité. Le CNES contribue, à travers l’innovation qu’il développe dans les programmes qu’il conduit, à renforcer en permanence cette compétitivité.

  • Des investissements considérés indispensables: avec le développement des satellites de télécommunication et de surveillance de la Terre, le lanceur Ariane 5 (et bientôt Ariane 6), le projet européen Galileo, le remplacement de Hubble dans les prochaines années et le projet de la NASA de retourner sur la lune dans une bonne dizaine d’années, le spatial est un enjeu majeur, le problème restant bien sûr la question du financement dans ce contexte de crise. Les étudiants européens interrogés dans le cadre de cet article s’accordent pour souligner que pour garder la place de leader de mise en orbite de satellite (grâce à Ariane Espace), il va falloir investir dans un nouveau projet de lanceur : en effet, Ariane 5 arrive maintenant en limite de performance au niveau de l’emport de charge utile.
  • Equilibrer secteurs public et privé: les principales interrogations se font sur les budgets : comment gérer l’arrivée d’entreprises privées sur le marché des vols spatiaux sans qu’il n’y ait privatisation excessive de l’Espace ? Où trouver des financements suffisants pour les programmes gouvernementaux ?
  • Quelques sujets d’inquiétude pour l’avenir: parmi les autres sujets d’inquiétude évoqués dans ce rapide tour d’horizon, les pessimistes s’alarment quant à eux du renouvellement des satellites de communication, de l’inertie actuelle de la recherche et de la surcharge de l’espace (déchets, satellites….), tandis que l’utilisation de l’espace à des fins militaires tend à diviser l’opinion.

Les deux pieds ancrés dans les réalités…économiques

Un avenir empli d’interrogation donc pour ces étudiants qui voient par ailleurs leur statut d’ingénieur évoluer avec les mentalités. Responsabilités, titre valorisant, pluridisciplinarité sont des valeurs qui semblent être associées à la conception traditionnelle de l’ingénieur. De plus, même si la concurrence croît fortement avec des pays émergents formant des ingénieurs surqualifiés, le manque général d’ingénieurs offre des perspectives très alléchantes pour ces étudiants. Néanmoins, de nos jours l’ingénieur ne peut pas se cantonner à une simple formation technique : une formation élémentaire d’économie est indispensable, afin qu’il ne reste pas dans des modèles mais qu’il soit bien en lien avec le monde extérieur (exemple : le Concorde, prouesse technologique mais catastrophe économique).

Des défis à relever, des enjeux à respecter… l’aéronautique et le spatial suscitent enthousiasme et confiance pour les ingénieurs de demain. Loin d’être omniscients sur l’ensemble des problématiques, ils sont cependant conscients des difficultés concrètes que le futur leur réserve et qu’il leur incombera peut-être un jour de résoudre.

Photo © www.3af.fr