« D’un point de vue purement logistique, le calendrier annoncé par le Président de la République est un avantage, car non seulement nous avons déjà un temps d’avance puisque le désengagement a en fait commencé depuis décembre 2011 avec un retrait de vingt-huit pour cent de l’ensemble des matériels à ce jour [juin 2012], mais nous sommes en avance de phase et avons ainsi les moyens lourds à disposition. Nous sommes en effet les seuls à nous désengager pour l’instant avec les Américains (lesquels ont des porteurs tels que les Galaxy, leur permettant de rapatrier en deux mois plus de vingt mille hommes) et sommes quasiment les seuls à utiliser la flotte d’Antonov que doit se partager la coalition. Par ailleurs, il faut bien comprendre que ce retrait se fait en deux temps : fin décembre 2012, deux mille personnels combattants partent, mais comme mille devaient déjà partir sous Nicolas Sarkozy, nous avons déjà amorcé le processus et anticipé. Mais nous avons jusqu’à juin 2013 pour faire rentrer le matériel, lequel est en train d’être rassemblé sur la ZRA (Zone de regroupement et d’attente) pour partir petit à petit dès que le pont aérien va commencer. Nous avons en plus la chance de bénéficier d’une escale dans les pays du Golfe où nos bateaux peuvent prendre la relève. Le désengagement est la priorité de la Task Force, ce qui veut dire que, même en mode dégradé, nous aurons toujours des unités pour nous appuyer et assurer notre protection. Ce ne sont pas les logisticiens qui vont fermer la porte des camps dans les FOB, ce sont les unités d’infanterie qui le feront en terminant en rations de combat. Le Bathelico et le soutien santé resteront également pour assurer la sécurité du désengagement. Tout se fait de manière organisée et coordonnée avec la coalition. En tant que militaires, avoir des limites temporelles – décembre 2012, 2 000 hommes ; juin 2013, tout le matériel – nous permet de nous organiser en conséquence. Pour les autres nations, ce sera une autre bataille  certainement plus difficile.

« Le convoi est le fil rouge en ce sens qu’il rassure et intègre les différentes armes et services du soutien. Tout le monde à un moment ou à un autre va se retrouver dans un convoi. »

Le BATLOG « Voie Sacrée » : « Aucune mission ne doit être prise à la légère »

Fédérer le bataillon

> Un nom

Le BATLOG en est à son neuvième mandat en Afghanistan et chaque relève a un nom spécifique, permettant de fédérer les unités autour d’un même objectif. J’ai choisi celui de « Voie Sacrée » en raison de la proximité géographique de mon régiment, unité pilote de préparation de ce BATLOG, avec Verdun : la Voie Sacrée est l’artère logistique entre Bar-le-Duc et Verdun qui, en 1916, avait permis de ravitailler sur une courte distance les forces qui étaient au contact. C’est, toutes proportions gardées, ce que nous vivons ici. D’une part, les élongations sont courtes et il n’y a qu’un seul itinéraire possible, exactement comme la voie sacrée : on part et on revient par le même itinéraire. D’autre part, les missions sont similaires. À Verdun, il a fallu alimenter les forces et la noria des troupes. C’est exactement ce que nous faisons ici : nous alimentons les forces sur les FOB et nous servons de « Taxis de la Marne » (pour poursuivre l’analogie), dès que quelqu’un veut se déplacer sur le théâtre. À titre d’ordre de grandeur, en six mois de temps, le BATLOG précédent a transporté six mille sept cents personnes.

> Une devise

L’existence d’une devise propre au bataillon répond au même souci de fédération : celle que j’ai choisie est « Ne pas subir », qui est celle du maréchal de Lattre de Tassigny, chef de la première armée française pendant la seconde guerre mondiale, notre régiment étant associé à cette bataille de France. Cela nous oblige à être en permanence force de proposition et améliorer ce que l’on trouve. C’est valable en opération, mais aussi dans la vie interne à Warehouse. Nous refaisons ainsi en ce moment le foyer Montmartre, qui dépend du BATLOG, afin qu’il soit le plus convivial possible : tout le monde y participe, ce qui est très important. Cette devise a aussi été mise en exergue par le général Bigeard, lequel est né et mort à Toul, et a une résonance particulière pour mes cent quatre-vingts personnels (sur un total de quatre cents), puisque le 516e RT accompagne sa famille depuis toujours. Mais elle parle aussi à la compagnie de maintenance, qui opère ici sous le commandement du capitaine C., en tant que compagnie parachutiste du 3e RT de Muret à côté de Toulouse, en ce sens que le général Bijeard avait commandé des unités de parachutistes.

> Trois principes

J’ai retenu trois principes essentiels sur un terrain comme l’Afghanistan, car s’ils ne sont pas respectés, ils se paient cash par le prix du sang.

1. Le premier est la rigueur dans l’exécution des missions : aucune mission ne doit être prise à la légère.

Je ne fais aucune distinction entre un convoi majeur d’une quarantaine de véhicules allant vers la Kapisa ou le district de Surobi, où on met des moyens importants (cent soixante hommes), et une petite mission de récupération de quelqu’un à l’aéroport de KAIA par exemple avec deux land cruisers blindés : pour moi c’est la même préparation. Il y aura un briefing avant de partir, on se sera renseigné auprès de la cellule renseignement pour savoir si les axes sont clairs ; on peut visionner les axes avec un ballon américain doté de capteurs au-dessus de Kaboul, ce qui nous permet de regarder tout le trajet et de vérifier s’il n’y a pas une manifestation en train de se préparer, ou s’il n’y a pas des enfants prêts à caillasser le convoi. Rien n’est laissé au hasard et je pense que c’est la clé du succès.

2. Le second est le souci du détail et la responsabilisation des cadres : il nous faut être très proches de nos hommes ; il faut expliquer, vérifier que tout le matériel est bien présent ; vérifier que tout le monde connaît les procédures : j’ai fait faire un petit memento que doit avoir chaque homme sur lui, et ce sont des choses que je vérifie, y compris auprès de mon état-major. Nous faisons des points de situation tous les jours à 18 h 00 : cela peut paraître du détail, mais le diable est dans les détails. Et cela rassure.

3. Troisième principe : s’inscrire dans la durée, car l’aventure de ce mandat en Afghanistan, ce n’est pas six mois, mais un an. Ce sont six mois de préparation denses et puis six mois d’intervention sans interruption. Il n’y a jamais de pause, car même si le confort est réel et que nous opérons dans les meilleures conditions possibles, il y a une crainte et un risque permanents qui ne sont pas anodi ns à supporter psychologiquement. Il faut donc être capable de durer en ménageant des temps de repos auxquels nous devons veiller. Le rythme est élevé, la fatigue est là, et cela va s’accentuer dans le cadre du désengagement.

L’organisation du bataillon

Nous sommes environ quatre cents – dont une vingtaine de personnes détachées dans les FOB et intégrées au GTIA, tels que des « citerniers » chargés de l’avitaillement des hélicoptères – répartis en quatre entités :

> L ’Escadron de commandement et de logistique (ECL) qui comprend tous les petits domaines de la logistique et commande les détachements du soutien de l’homme, le soutien pétrolier et la section de munition de Pol-e-Charki : le soutien de l’homme s’occupe de la gestion des vivres, essentiellement les rations de combat, puisque l’alimentation a été externalisée (c’est l’économat des armées – EDA – qui s’occupe de cela et le fait très bien depuis le Kosovo où une expérimentation réussie avait été faite en 2006 : les produits frais viennent de France et certaines choses viennent de Douchanbé ou d’ici). Le soutien de l’homme s’occupe aussi de l’habillement : c’est lui qui va assurer la réparation des gilets pare-balles sur l’ensemble du théâtre, les casques, les vêtements à remplacer. Il gère aussi la fabrication du pain : les boulangers militaires sont très appréciés surtout pour les Français ! Il s’occupe aussi de la maintenance du petit matériel, frigos, climatisation, etc. Le détachement SEA assure quant à lui l’avitaillement des hélicoptères, le ravitaillement en carburant, la maintenance des matériels pétroliers.

> L ’Escadron de circulation et de transport (ECT) escorte les convois, transporte la ressource humaine et le matériel, et fait de la manutention : il s’occupe donc des flux routiers, des flux de ressources et des flux de personnels.

> Le Sous groupement de maintenance adaptée au théâtre (SGMAT) vérifie et répare les véhicules et leur environnement, soit quinze types de matériel différents (transmissions ; armement ; etc.). Ils ont donc beaucoup de spécialistes différents devant maîtriser les réparations de niveau NTI1 et NTI2 et le contrôle des véhicules des convois logistiques avant leur départ. Un convoi est vulnérable s’il est arrêté. Pour sa sécurité, il faut qu’il soit toujours en mouvement : tous les véhicules sont donc vérifiés avant le départ pour éviter les pannes pendant les trajets. Et quand ils reviennent, ils passent en visite. Les maintenanciers font aussi la réparation importante de l’ensemble des véhicules et des matériels sur l’ensemble du terrain afghan, tels que changer un moteur par exemple, mais aussi le soutien des transmissions, de l’armement, des brouilleurs, etc. Ce travail effectué en symbiose fonctionne : nous revenons à des fondamentaux que nous avons perdus en métropole où nous travaillons moins ensemble. Il y avait avant des régiments de soutien et de commandement où existait cette structure « bataillonnaire », où se côtoyaient des unités de maintenance, des unités du train, des transmissions, des médecins, etc. Avec les restructurations, cette habitude s’est perdue, mais tous les théâtres d’opération ont recréé ces bataillons logistiques où l’on retrouve simplement les fondamentaux.

> L ’hôpital militaire de campagne de KAIA dépend également du BATLOG au niveau administratif et commandement : ce Rôle 3 assure le soutien des militaires de l’ISAF du camp de KAIA soit trois mille cinq cents personnes (un seul dentiste pour tout KAIA), mais aussi l’aide à la population dans nos zones de responsabilité (Kapisa et Surobi) en relation avec un hôpital français civil, car les patients ne peuvent pas être hospitalisés trop longtemps. Cette tradition française d’aide médicale permet d’établir de bonnes relations avec la population et est très importante : le maréchal Lyautey avait coutume de dire : « Donnez-moi un médecin, je vous rends une compagnie. »

> Enfin l’administration et les finances sont de mon ressort.

Un théâtre contraint, mais un dispositif regroupé

L’environnement du logisticien

Les caractéristiques logistiques du théâtre Pamir revêtent des points difficiles, mais aussi des avantages. L’environnement est très contraint pour nous logisticiens et c’est la raison pour laquelle nous faisons référence à ce désengagement de la coalition comme d’un événement logistique n’ayant pas eu lieu depuis la seconde guerre mondiale. Ce sont pour l’ensemble de la coalition soixante-dix mille véhicules qui doivent être désengagés ainsi que cent trente mille containers.

Pour nous Français, la difficulté est que nous sommes à six mille kilomètres de la métropole sans possibilité de voie routière directe comme au Kosovo, ni de façade maritime comme pendant la guerre du Golfe où nous disposions des deux. Ceci est problématique pour un désengagement, d’autant que les pays frontaliers sont peu favorables et que quasiment toute les frontières sont fermées.

En interne, il y a peu de variantement du réseau routier en Afghanistan : on utilise un axe et on revient par le même axe ; il y a de réelles contraintes météo : nous sommes à mille huit cents mètres d’altitude à Kaboul ; l’hiver a été très rude et en été il nous est arrivé de monter jusqu’à soixante-dix degrés à l’intérieur d’un véhicule de l’avant blindé (VAB). Nous devons donc être vigilants, car nous n’avons pas la sensation d’avoir soif, mais nous devons forcer nos personnels à boire régulièrement, car nous en avons besoin (nous avons systématiquement des glacières dans les véhicules).

Côté positif, notre dispositif est de moins en moins éclaté, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années, lorsque nous avions quatre mille hommes sur le théâtre.

« En interne, il y a peu de variantement du réseau routier en Afghanistan : on utilise un axe et on revient par le même axe (…). Côté positif, notre dispositif est de moins en moins éclaté, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années, lorsque nous avions quatre mille hommes sur le théâtre. »

Notre théâtre est marqué par la « surdotation », car nous y avons tous nos véhicules high tech, ce qui peut être contraignant car il y a plus de matériel à rapatrier, mais cela facilite la l’ordre de priorité des matériels devant rentrer, car évidemment ce sont les véhicules les plus modernes qui ne serviront plus qui rentreront en premier : cela nous facilitera la tâche. Nous laisserons certains matériels aux Afghans. Mais nous ramènerons ce dont nous avons besoin et nous pouvons le faire relativement tranquillement, car nous avons un an devant nous.

Autre particularité, nous avons ici le ratio de logisticiens le plus faible de tous les théâtres d’opérations, du fait tout simplement que ce sont les troupes d’infanterie de contact qui étaient les plus nombreuses, soit vingt-cinq pour cent de logisticiens, alors que ce ratio est généralement supérieur sur d’autres théâtres d’opération. Mais au fur et à mesure du désengagement, ce ratio va évoluer, puisque nous sommes assurés de rester jusqu’à au moins juin 2013.

L’ennemi mène des attaques sur les axes et c’est la raison pour laquelle rien n’est laissé au hasard et un convoi est considéré comme une opération de guerre ; la menace prégnante est aussi les engins explosifs improvisés, donc il n’est pas de véhicule de convoi partant à Surobi ou en Kapisa qui ne soit brouillé ou sous une bulle de brouillage. Nous avons en effet des véhicules spécifiques permettant de brouiller le véhicule qui est devant et celui qui est derrière. À ce jour aucun véhicule n’a été victime d’un EEI grâce à ce travail. Ce système de brouillage permet de neutraliser les engins explosifs radiotélécommandés et s’avère efficace. Mais il est évident que nous ne sommes pas à l’abri d’un explosif artisanal ou d’une mine, pouvant intervenir à tout moment, de jour comme de nuit.

La mission

Notre mission est d’assurer le soutien logistique de toutes les unités déployées sur le terrain afghan. Les domaines couverts sont la maintenance, le soutien de l’homme, la santé, le soutien pétrolier, l’administration générale et les finances. Je soutiens notamment le Grand Kaboul, c’est-à-dire tous les Français de la région de Kaboul – qu’ils soient insérés dans un état-major de l’OTAN, dans la mission de formation des Afghans, comme Epidote par exemple, qu’ils appartiennent au BATLOG, ou qu’ils soient à Kaia ou à Warehouse : c’est mon bataillon qui par exemple va leur donner leur avance de solde ou faire des rapports circonstanciés. Au niveau logistique pure, les convois évoluent dans un contexte d’élongations assez courtes, mais Kapisa est le verrou de Kaboul et donc une zone quand même exposée : il faut trente minutes pour aller de KAIA à Warehouse ; pour aller dans le district de Surobi, la distance n’est que de cinquante kilomètres, mais il faut compter près de deux heures avec la difficulté que représentent les gorges de Maïpar, très dangereuses sur tous les plans y compris les accidents de la route en hiver. C’est le cordon ombilical de Kaboul qui va jusqu’au Pakistan et il y a beaucoup de circulation.

De Kaboul à Bagram, il faut une heure trente d’un itinéraire qui se fait assez bien, puis entre Bagram et Nijrab il faut deux heures de route : à partir de ce point dit « Cambronne », tout l’itinéraire est contrôlé par la 2D, donc le génie, qui vient vérifier les IED. Nous disposons d’un appui hélicoptère de l’ALAT on call et nous sommes en liaison permanente, car la vallée de Choki, propice aux insurgés en période de feuillaison, se trouve à proximité. Entre Nijrab et Tagab, ils sont on station, ce qui est très efficace, car les insurgés redoutent particulièrement les interventions du Tigre. Si nécessaire, nous pouvons recourir au tir d’artillerie. Nous entrons ensuite dans la zone de la Task Force La Fayette, que nous pouvons appeler en cas de besoin. La boucle s’arrête à Tagab, car le terrain très verdoyant devient dangereux et n’apporte rien. Nous refaisons donc le même trajet en sens inverse en déployant les mêmes moyens pour prévenir les risques d’embuscade. Tous les véhicules du BATLOG sont maintenant blindés (avec une protection totale de la cabine) ou « Blast-armorisés », c’est-à-dire que des plaques de surblindage ont été rajoutées pour protéger en partie le véhicule, ce qui n’était pas le cas voici un an. Nous sommes donc dans les meilleures conditions de protection, mais si un insurgé vient avec un véhicule suicide chargé de trois cents kilos d’explosif, cela ne sert à rien. Un IED fera des blessés et va secouer, mais on s’en sort. De ce point de vue, le surblindage est utile, mais il n’y a pas que cela : c’est la conjonction des éléments du génie qui passent avant, de brouilleurs performants et d’un appui efficace qui fait que les statistiques sont là. Mais nous ne sommes à l’abri de rien et la protection de nos personnels est notre souci permanent. L’adaptation de l’ennemi est cyclique, car certains spécialistes du Pakistan finissent par être identifiés et ils perdent de leur efficacité. L’adaptation est mutuelle au niveau des modes d’action.

Nous évoluons donc globalement dans un bon environnement, même si le nombre de convois et de missions va augmenter. C’est une belle aventure logistique et elle est dans nos cordes. Nous avons beaucoup d’atouts et je crois par ailleurs aux statistiques : ce n’est pas uniquement de la chance, c’est quatre-vingts pour cent de travail et vingt pour cent de chance. La chance, on l’a « au départ du coup », le reste, c’est le travail répété pendant des années et les six mois avant.

Le soutien des familles en base arrière, une priorité pour le chef de corps du BATLOG

« Le soutien des familles en base arrière, une priorité pour le chef de corps du BATLOG « Le soutien des familles en base arrière est crucial pour la sérénité des personnels déployés. Dans chaque régiment il y a une cellule d’aide aux familles. Je fais en sorte que cette cellule appelle une fois par mois toutes les personnes à joindre en cas d’accident, de façon à prendre des nouvelles. Je l’ai toujours fait dans toutes les opérations auxquelles j’ai participées et cela marche. Si Internet permet de favoriser le lien aux familles, toutes les informations arrivent et peuvent inquiéter, faisant parfois baisser le moral des troupes. Grâce notamment à un réseau des épouses, il nous est possible d’aider à gérer l’absence, ne serait-ce qu’en apportant une aide de proximité par une bonne solidarité. »

Crédits photos © Sébastien Dupont, ECPAD, Kaboul, Afghanistan, 6 juillet 2008