Contraintes financièrement par la crise économique mondiale qui pousse l’Etat à une politique de rigueur budgétaire, gênées militairement par l’exposition des flux logistiques et la vulnérabilité qui en découle, soumises à l’impact politico-médiatique croissant des tués en opérations, les armées ne peuvent conserver le même modèle de fonctionnement.  Le désengagement d’Afghanistan et les interrogations relatives à la pérennité du modèle expéditionnaire qui a caractérisé les vingt dernières années d’intervention constituent une opportunité pour exploiter les retours d’expérience récents. Les armées françaises doivent adapter les concepts du soutien du soldat en opération et faire évoluer les matériels afférents vers des modèles innovants, moins énergivores.  Maîtriser les consommations d’énergie contribuera à retrouver une certaine souplesse d’intervention et liberté d’action qui leurs sont nécessaires.

Une stratégie de long terme

Au-delà des phénomènes de résistance au changement, consubstantiels à toute organisation humaine, il existe des freins à cette transformation.

– En premier lieu, si le système actuel coûte cher, les coûts de développement en phase de transition s’avèrent eux-aussi élevés. Il  peut donc paraître paradoxal, dans un contexte économique dégradé, de consacrer un effort financier significatif vers de nouveaux modèles.

– En outre, le contexte opérationnel très exigeant dans lequel sont employés ces matériels impose une grande fiabilité, que ne garantissent pas encore totalement les différentes technologies développées actuellement.

– Enfin, il importe de mesurer finement les contraintes d’utilisation que cela ferait peser sur le soldat en opération, utilisateur final,  puisque les rendements dépendent des conditions de mises en œuvre liées aux exigences techniques des matériels (orientation  des panneaux photovoltaïques, réglage des éoliennes…).

Ces obstacles, ponctuels et inhérents à toute transition, sont cependant de peu de poids face aux avantages à moyen et long terme des énergies alternatives et d’une politique de sobriété énergétique. Les coûts de développement liés aux énergies renouvelables doivent être analysés en regard des coûts de fonctionnement sur le long terme et non sur la durée d’une opération ou d’un mandat. Un besoin moindre en carburant entraîne une réduction corrélative des convois logistiques, lesquels constituent une cible privilégiée pour attaquer et désorganiser la force projetée.  Une réduction de la taille des convois se traduit donc par une réduction du nombre d’escortes à fournir et du risque de pertes humaines : moins de cibles offertes à l’ennemi, pour une robustesse et une agilité accrues. De façon générale, la diminution de la dépendance au pétrole en opération réduit  par ailleurs l’exposition des pays importateurs à la volatilité des cours et accroît la liberté de décision des responsables politiques.

“Le désengagement d’Afghanistan et les interrogations relatives à la pérennité du modèle expéditionnaire qui a caractérisé les vingt dernières années d’intervention constituent une opportunité pour exploiter les retours d’expérience récents. Les armées françaises doivent adapter les concepts du soutien du soldat en opération et faire évoluer les matériels afférents vers des modèles innovants, moins énergivores.”

Le développement des programmes d’armement « éco-conçus »

L’impact positif des énergies renouvelables sur la capacité d’action des décideurs politiques et des militaires engagés  encourage donc le développement de nouveaux matériels. Rappelons dans un premier temps que le ministère de la Défense n’évolue pas « hors sol », mais bien en interaction avec des partenaires évoluant eux-aussi pour s’adapter aux nouvelles exigences juridiques relatives à la préservation de l’environnement. Il importe donc de conserver l’adéquation entre les capacités des industriels et les exigences des armées.
De nouvelles technologies et méthodes sont ainsi déjà en phase de test dans le domaine du soutien du soldat en opération. Le service du commissariat des armées expérimente à ce titre un nouveau modèle de tentes à panneaux photovoltaïques souples intégrés directement sur la toile. Ce modèle, couplé à l’équipement en systèmes d’éclairages à faible consommation et d’isolation, assure la quasi-autonomie des besoins énergétiques de ses occupants. En parallèle, et en partenariat avec le service de santé des armées, des études sur le recyclage de l’eau se poursuivent. Un nouveau modèle de douche permettant plusieurs dizaines d’utilisation en circuit fermé à partir d’un système de récupération et filtrage innovant est en phase de développement. Après fiabilisation et validation par les autorités sanitaires, ces techniques pourront être transposées aux autres fonctions grandes consommatrices en eau (laveries et sanitaires notamment), ce qui contribuera à diminuer la pression exercée par une force projetée sur les ressources de son environnement.Lors de la conférence environnementale pour la transition écologique de septembre 2012, les deux axes de la stratégie de transition du gouvernement ont  été confirmés, à savoir : efficacité et sobriété énergétique d’une part, priorité données aux énergies renouvelables d’autre part. Le ministère de la Défense, premier acheteur public et acteur décisif de l’industrie, consacre chaque année dix millions d’Euros de crédits de recherche à la dimension environnementale des équipements de défense  et conduit actuellement une quarantaine de programmes d’armement « éco-conçus ». Cet effort a un coût. Mais c’est à ce prix que la France pourra assurer à la fois l’atteinte de ses objectifs de développement durable et la préservation de ses intérêts stratégiques à long terme.

le Commissaire Commandant Sylvain Coat, 20ème promotion de l’école de guerre.

Crédits photos © Ministère de la Défense