Propos recueillis par Murielle Delaporte (novembre 2014) – Entretien avec l’IC1 Didier Brissaud, Directeur de l’infrastructure de la défense de Djibouti

L’Ingénieur en chef de première classe Brissaud appartient au Corps des ingénieurs militaires d’infrastructure créé en 2010. Ancien directeur de l’établissement d’infrastructure  de la défense de Nancy, il est aujourd’hui à la tête de la direction de l’infrastructure de la défense (DID) pour les Forces françaises stationnées à Djibouti et responsable du détachement du SID  stationné aux Emirats arabes unis. Il nous explique dans l’article ci-dessous ses responsabilités et les défis accompagnant la transformation des emprises françaises à Djibouti. Au travers de son récit, c’est l’histoire de la présence de la France dans cette partie du monde qui se déroule en filigrane…

 

Un périmètre d’action élargi

Une zone de responsabilité plus étendue de Djibouti aux EAU

La DID est une composante du Service de l’infrastructure de la défense (SID), laquelle s’occupe de toutes les infrastructures du ministère de la Défense. Baptisée  Direction mixte des travaux depuis 1990, elle regroupait  à l’époque le service constructeur des travaux maritimes, le service constructeur des bases aériennes et le service du génie de l’armée de Terre. Elle a  pris l’appellation de DID en 2008. Elle est composée de 56 personnels permanents (actuellement issus de l’armée de Terre et de l’armée de l’Air), dont 9 + 2 officiers, c’est-à-dire 9 officiers stationnés à Djibouti et 2 aux Emirats arabes unis, puisque la DID a la particularité de coiffer à la fois les travaux d’infrastructure des FFDj et ceux des FFEAU (une délégation « RPA » – Représentant du pouvoir adjudicateur – de signature de marchés publics au chef du détachement pour faciliter le fonctionnement, les deux entités étant séparées par trois heures de vol). Le détachement aux EAU est composé de 3 personnels. Pendant sa phase initiale de montée en puissance de 2009 à 2011, ce détachement a en effet été rattaché directement à la DCSID, puis à partir de 2011 à la DID de Djibouti pour des raisons de proximité géographique et de similitude en termes de gestion à l’étranger.

Les personnels de la DID ont différentes spécialités et fonctions, allant de dessinateur, climaticien, agent domanial, spécialiste des marchés publics à comptable en passant par secrétaire ou conducteur de travaux. Dix d’entre eux sont des Djiboutiens recrutés localement. Depuis le 1er septembre 2014, les régies infrastructures qui autrefois dépendaient des groupements de soutien des bases de défense pour les petits dépannages et petits travaux ont été rattachées à la direction de l’infrastructure de la défense dans le cadre de la réforme nationale reposant sur le principe du bout en bout, d’où l’adjonction à la DID de 60 personnels, dont 40 Djiboutiens tous spécialisés dans le bâtiment (peintres, électriciens, frigoristes, etc) accompagnés par 15 caporaux-chefs spécialistes infrastructure et 5 sous-officiers.  Le paradoxe veut donc qu’en cette période de déflation, les effectifs de la DID aient provisoirement doublé de volume !

Une activité soutenue : de la gestion de patrimoine aux grands travaux

Parmi les  différentes missions de la DID,  on trouve la gestion du patrimoine, laquelle inclut une première section « ingénierie de la maintenance » (maintenance immobilière) chargée de l’entretien et des petits dépannages réalisés par les entreprises locales : la concomitance de ces dernières avec la régie infrastructure fait que nous arrivons à faire face aux très nombreuses sollicitations en matière d’infrastructures. Le nombre de m² à entretenir est important, la qualité des constructions souvent moyenne, et les conditions climatiques très agressives (forte chaleur, vents de sable pendant deux mois, air marin abrasif). La deuxième section nommée  gestion technique du patrimoine s’occupe de l’entretien préventif (et non pas curatif comme la première) par le biais de contrats de maintenance destinés à pérenniser nos infrastructures en prévenant les pannes et les casses, que ce soit en matière électrique, de réseaux d’eau, de climatisation (vidange des compresseurs ; nettoyage des filtres ; etc).  Nous travaillons ainsi en liaison avec le service vétérinaire dépendant du Service de santé qui fait régulièrement des analyses d’eau.

La division « Projets » s’occupe des grands travaux de la maîtrise d’ouvrage (études de faisabilité) à la maîtrise d’œuvre (rédaction cahier des charges et suivi de chantier).  Elle est composée de 10 personnes (4 personnels militaires et 6 personnels civils). La maîtrise d’œuvre aux EAU a été externalisée auprès de l’Economat des Armées à titre expérimental.

Une préoccupation constante : réduire les coûts en matière d’infrastructure

Rattaché à la fois à la DCSID (direction centrale) et au COMFOR, le directeur de la DID joue un rôle de conseiller en matière d’utilisation des ressources financière et infrastructure, d’autant plus important en période de réduction d’effectifs, la DID devant s’adapter au mieux et au  moins cher aux besoins de demain. L’intégration des coûts de maintenance en amont des chantiers, une meilleure analyse des sources d’économies potentielles et un resserrement des implantations françaises font partie des mesures en cours :

  • Intégration du MCO, MCI et entretien en amont de la conception des projets d’infrastructure

Lorsque l’on parle de maintenance en infrastructure, on raisonne en termes de MCI – maintien en condition de l’infrastructure –  correspondant aux crédits nécessaires pour préserver l’infrastructure, en termes de MCO – maintien en condition opérationnelle – correspondant aux crédits nécessaires à la bonne conduite des missions attribuées, et en termes d’entretien, c’est-à-dire de petits dépannages. A Djibouti, nous faisons beaucoup d’entretien, car les infrastructures sont anciennes. Le MCI est ainsi souvent le parent pauvre de cette adéquation, car la priorité concerne le MCO et l’entretien. Il faut savoir que le budget de maintenance a chuté de 40% au cours de ces trois dernières années. En tant que gardiens des deniers publics, nous nous devons de veiller aux temps de retour sur investissement. Le coût de la maintenance de l’infrastructure est ainsi maintenant systématiquement intégré en amont, ce qui n’était pas le cas voici une quinzaine d’années en arrière. Nous nous sommes inspirés du secteur privé en développant au sein du CETID – centre d’expertise technique de l’infrastructure de la défense –de nombreuses compétences, dont un bureau maîtrise des coûts tel que cela existe dans les grands groupes privés.

  • Un recensement ciblé des infrastructures

Autrefois, les allocations budgétaires étaient évaluées « en Euros par mètre carré » quel que soit le lieu géographique. Depuis 2011, un groupe de travail a été créé pour faire évoluer cette idée et adapter la ressource à la sensibilité opérationnelle et à l’état de vétusté des infrastructures. Dans le cas de Djibouti, si la tour de contrôle était défaillante par exemple, c’est toute la mission des FFDj qui s’en trouverait compromise. Les allocations sont donc dorénavant attribuées en mélangeant ces différents critères de vétusté et de sensibilité. Ce travail de recensement très important sera pris en compte à partir de 2016, car il a débuté seulement en octobre dernier pour les installations Outre-mer et à l’étranger (ces dernières comptent 8 DID, mais ne représentent que 10% des crédits « Infra » du ministère de la défense, par rapport aux 7 ESID situés en métropole, qui consomment donc 90% des crédits).

Autre facteur d’optimisation potentiel, le SID s’est engagé depuis 2010 dans une démarche de maîtrise des coûts et d’économies d’énergie en complémentarité et en coopération avec les travaux du Service des essences des armées: réduire notre « empreinte carbone » est une mission majeure tant en métropole que sur les théâtres. Nous sommes ainsi référents en matière d’énergie. Pour assurer le soutien des 2000 militaires présents à Djibouti, plus de la moitié de l’enveloppe budgétaire part en énergie. Consommer moins et mieux est un véritable défi sur lequel nous nous penchons actuellement. En été, les températures grimpent entre 45 et 52 degrés celsius et les conditions climatiques extrêmes expliquent une consommation importante pour une BdD (base de défense) de taille moyenne. Il nous faut néanmoins trouver des pistes d’économie. Une des premières mesures a donc été d’installer des compteurs divisionnaires, afin de savoir quels sont les bâtiments les plus énergivores, de façon à prendre des décisions en bonne connaissance de cause en fonction de la sensibilité de ces derniers et en appliquant les meilleures solutions existant sur le marché (isolement ou autre).

  • Resserrement des emprises

Nous sommes aussi le « notaire des armées », car responsable de la partie domaniale. L’emprise de Djibouti en quelques chiffres, c’est une surface de 400 hectares, une surface de plancher (SHOD) de 290 000 m2 et plus de 800 immeubles. Nous avons environ 850 familles à loger avec 300 logements domaniaux et c’est le Bureau interarmées du logement qui va bailler (ou débailler) les logements nécessaires. Cette fonction de « notaire des armées » est d’autant plus importante aujourd’hui que nous quittons nombre d’emprises et que nous conduisons les actions de rétrocession au profit de l’Etat djiboutien. Le mouvement s’est amorcé voici quelques années avec le départ de la  Légion étrangère : celle -ci était installée dans le quartier Monclar et disposait d’un poste avancé à Oueha, petite ville à quarante kilomètres de Djibouti. Le départ de la 13e DBLE aux EAU a coïncidé avec le début du concept de Base de défense, d’où la réorganisation suivante qui a eu lieu à l’époque: le 5e RIAOM qui était dans le quartier Brière de l’Ile a basculé sur Monclar et le GS BFFDj a pu s’installer de manière fonctionnelle à la place du 5E RIAOM, lequel s’y trouvait à l’étroit. Oueha a été rétrocédé au service des domaines djiboutiens, lequel l’a affecté à l’armée nationale comme élément avancé des FAD (forces armées djiboutiennes). De même en 2012, nous avons rétrocédé les quartiers Besse et Monjotin, installations techniques (telles qu’une boulangerie des armées) qui se trouvaient en front de mer, ainsi que vingt-quatre logements qu’occupent maintenant les FAD. Nous continuons à minimiser notre empreinte, car en raison des économies budgétaires, plus nous sommes compacts, plus nous réduisons nos coûts d’infrastructure (moins de réseaux d’eau, électricité, téléphone, etc). Courant 2015, nous allons continuer à rétrocéder plusieurs emprises que ce soit à Arta ou à Djibouti ville Nous disposons également d’une vingtaine d’AOT – autorisations d’occupation temporaire -, à savoir des activités commerciales (boulangerie ; souvenirs…) s’installant sur les bases et donnant lieu à des redevances et des loyers, le SID montant le dossier.

A l’heure actuelle, les FFDj sont intégrées à Djibouti de la façon suivante :

  • Pôle Nord : il s’agit de la presqu’île du Héron, où se trouve la Base navale, laquelle dispose du Quai 9 pour les navires français en transit et de l’escale marine co-localisée avec la Marine djiboutienne ;
  • Pôle sud : il inclut le quartier Monclar où réside le 5e RIAOM, le quartier Massart avec la BA 188, le commandement interarmées et une zone service (SID ; direction du commissariat ; direction du service de santé), et le quartier Brière de l’Isle où se situe le GS BdD.
  • Le Pôle Centre est composé de l’hôpital médico chirurgical Bouffard. La rétrocession de cette infrastructure est inscrite dans le traité de coopération de Défense signé entre nos deux gouvernements en 2011. A ce titre, un centre médico chirurgical de moindre ampleur mais tout aussi performent médicalement est en cours de construction sur le quartier Massart. Il sera livré à la fin du premier semestre 2016.
  • A l’Ouest, se trouvent quelques implantations militaires à Arta situé à 600 mètres d’altitude : le centre de transmission et une emprise militaire où sont stationnés les Commandos Marine. Le centre d’estivage de loisirs illustre le poids de l’histoire : il y a 50 ans, avant la généralisation de la climatisation, quitter Djibouti en été et perdre quatre ou cinq degrés étaient déjà un luxe…. De la même façon, les technologies actuelles ont rendu Oueha – au pied d’Arta – moins essentiel : Oueha était traditionnellement le dernier poste avant les déserts du Grand et du petit Bara ; il s’agissait d’une infrastructure avancée où, avant les téléphones portables, les heures de départ et de retour étaient signalées, les Légionnaires déclenchant immédiatement une opération de recherche en cas de retard.

Notre activité est donc soutenue et repose sur une allocation moyenne de 10 à 15 millions d’Euros par an. Notre plan de charge annuel fluctue selon les projets d’investissement : en 2012 un marché à 10 millions d’Euros fut notifié pour la conception et la construction du PAUI, point d’alimentation unique interarmées. En 2014, nous avons notifié le contrat du nouveau centre médical pour 9,5 millions d’Euros.

Le PAUI, grand projet des FFDj du XXIème siècle

 

 

 Conçu par un architecte militaire, le PAUI – point d’alimentation  unique interarmées – doit rassembler tous les cercles et mess existants à l’heure actuelle, de façon à faire des économies de personnels et d’entretien. Il sera livré fin 2015.

Un chantier africain

Le chantier PAUI a démarré le 1er juillet 2013. Le titulaire du marché est la société Colas, société française sous statut Djiboutien implantée depuis une dizaine d’années, laquelle emploi quelques 500 Djiboutiens. D’autres sociétés africaines, et essentiellement djiboutiennes, participent à cette construction en sous-traitance.

Le PAUI est organisé en îlots de distribution et espaces dédiés par fonction (espace alimentaire ; stockage et chambres froides ; laverie ; zone de convivialité ) pour assurer jusqu’à 2000 repas/jour. Tout est conçu de la façon la plus rationnelle et économique possible : une coursive extérieure assure ainsi une climatisation naturelle.

 Un chantier intégrant les « best practices »

La conduite de ce grand projet intègre les retex de décennies de présence dans la région, et ce, à au moins trois niveaux :

  • Une maîtrise d’œuvre très présente compensant le manque d’encadrement existant parfois dans les petites structures locales ;
  • Un contrôle technique est réalisé par une société de contrôle française: dans la mesure où le PAUI est un ERP – établissement recevant du public -, un bureau d’étude est en effet chargé de vérifier la bonne conformité des matériaux et procédés au cahier des charges. Les résultats issus d’échantillonnage sont positifs.
  • Prise en compte de l’environnement : ce suivi technique est d’autant plus important à Djibouti en raison de l’environnement climatique et salin qui domine : si l’enrobage des fers ne respecte pas les 2,5 centimètres de béton entre ces derniers et les parois, les aciers se corrodant deux fois plus vite qu’en métropole, se dilateront, et feront à terme éclater le béton ; la paroi peut se faïencer, les aciers sont à l’air et la structure se fragilise.
  • Anticipation en matière de maintenance : le PAUI a été conçu intégralement de plain-pied, car la maintenance des ascenseurs et monte-charges s’avère ici compliquée. Il s’agit là d’un Retex de l’hôpital Bouffard où le monte-malades est régulièrement en panne. Tous les problèmes potentiels de maintenance ont ainsi été pris en compte en amont de la conception de ce bâtiment moderne dans un souci d’efficience maximale.

 

>>> Photo: IC1 Brisssaud sur le chantier PAUI, M. Delaporte, Djibouti, novembre 2014