armee de l'airPar Murielle Delaporte – Le Général Denis Mercier, actuellement en visite pour quelques jours aux Etats-Unis, était ce matin l’invité d’honneur d’une table ronde organisée par le Mitchell Institute de l’Air Force Association à Arlington. C’est en septembre prochain que le Chef d’état-major de l’armée de l’Air va succéder au Général Paloméros (et au Général Abrial avant lui) comme SACT (« Supreme Allied Command Transformation ») à Norfolk en Virginie.

Capitaliser sur la capacité de réaction de l’armée de l’Air

Avant d’évoquer l’évolution de l’armée de l’Air dans les décennies à venir, le Chef d’état-major de l’armée de l’Air a rappelé la fondation historique de cette dernière au cours des cinquante dernières années, son ancrage dans les missions de défense aérienne et de dissuasion nucléaire ayant conduit à une aviation militaire « robuste, dotée de capacités C2 performantes et permanentes, cyber-résistante et fortement opérationnelle ».  Lancé voici deux ans, le plan de restructuration mis en œuvre par le CEMAA a eu précisément pour objectif de capitaliser sur la réactivité de l’armée de l’Air et cette forte capacité opérationnelle (« high readiness »),  qui a caractérisé son action tant en Libye et au Mali, qu’à l’heure actuelle en Irak contre Daesch.  « Etre capable d’intervenir à des milliers de kilomètres de la France avec 24 heures de préavis paraît facile, vu de l’extérieur. Mais une telle aptitude a pu voir le jour, parce que la structure pour le faire existe, avec comme ingrédients un bon système C2, des bases aériennes, un personnel bien entraîné pour un large spectre de missions, et un fort niveau d’interopérabilité permettant de travailler de concert avec d’autres puissances alliées », a-t-il souligné en introduction évoquant le tragique accident d’Albacete comme rappel de la gestion de risques constamment nécessaire dans l’exercice de la force aérienne.  Citant l’initiative stratégique trilatérale établie par son prédécesseur entre les armées de l’Air américaine, britannique et française, ainsi que la Task force expéditionnaire interarmées franco-britannique comme moteurs du renforcement de l’interopérabilité interalliée, le Général Mercier a également mis en avant l’OTAN et ses procédures standardisées comme ciment, mais aussi le fait que les armées de l’air des différents pays alliés travaillent ensemble depuis longtemps en utilisant les mêmes concepts d’opération. « C’est notre force : nous avons toujours opéré de façon intégrée ».

Gary Schaub, Universite de Copenhague, avril 2015

La participation de l’armée de l’Air française au sein d’opérations de coalition s’est accrue à partir de la première guerre du Golfe et surtout de la guerre des Balkans (Deny Flight). Le graphique ci-dessus réalisé par Gary Schaub, chercheur au sein du Centre d’études militaire de l’Université de Copenhague, s’arrête à Harmattan (Unified Protector). La tendance s’est maintenue depuis 2011 avec une participation de la FAF (« French Air Force ») constante et parmi les plus importantes. A l’inverse, la participation de l’USAF a quasiment diminué de moitié au cours des vingt dernières années: une tendance qui devrait se poursuivre à l’avenir, même s’il faut garder en mémoire le fait qu’en raison de l’évolution des technologies et de la précision en matière de ciblage, les frappes aériennes actuelles doivent être plus analysées en termes d’objectifs atteints que de nombre d’avions impliqués.  (Crédit graphique : Dr. Gary Schaub, avril 2015)

 

Opérations en cours: une décentralisation opérationnelle efficace

En ce qui concerne Chammal, le CEMAA a souligné l’importance des forces prépositionnées tant aux Emirats arabes unis qu’en Jordanie, ainsi que la participation jusqu’à ces derniers jours du Groupe aéronaval, estimant que les opérations en cours pourraient durer encore un certain temps, l’objectif final des frappes aériennes étant de « restaurer la liberté d’action au sol ».

En ce qui concerne Barkhane et Sangaris, le Général Mercier a mis en avant le RETEX de Serval dans la constitution d’état-majors opérationnels avancés (au nombre de quatre à l’heure actuelle sur le continent africain) et le prépositionnement de forces aériennes dédiées. Cette « décentralisation du contrôle opérationnel »  est actuellement appliquée et développée en Afrique et préfigure les opérations futures. Et de citer une mission menée voici quelques mois avec succès au Mali : « deux Reapers – un français, un américain – avaient repéré et suivi vingt heures durant un convoi de pick ups de GAT [groupes armés terroristes] venant du sud de la Libye. Nous souhaitions recueillir les informations et avons donc décidé de monter une embuscade au lieu de mener une frappe aérienne. Ont ainsi participé à cette mission un Rafale provenant de N’Djamena, un C130 et des commandos des forces spéciales parachutés provenant du Burkina Fasso, des hélicoptères, un tanker … tout cela commandé à partir du JFACC basé à Lyon ! Cela a parfaitement fonctionné … »

Vers un « Combat Cloud » à bord du MRTT: trouver le bon équilibre entre souveraineté et interopérabilité

Cette distribution des responsabilités au plus près du champ de bataille est rendue possible là encore par une bonne infrastructure en matière de bases aériennes et de C4ISR, tandis que les technologies actuelles conduisent vers la création d’un « Combat Cloud » mettant l’accent sur la compatibilité et permettant à d’autres capacités – y compris le F-35 – et d’autres puissances aériennes de participer aux opérations. L’équilibre entre souveraineté et interopérabilité est bien-sûr la clé de voûte des discussions à engager pour faire évoluer les liaisons actuelles telles que la Liaison 16.

La capacité de survie des chasseurs dépend donc entre autres de leur furtivité et de leurs moyens de guerre électronique, mais aussi de cette aptitude à travailler à plusieurs. Pour le CEMAA, le système de combat futur n’est donc pas un avion ou une plateforme en général, mais un système C4ISR et un « Cloud » que l’armée de l’Air est en train d’explorer, car « 80% des senseurs dont disposent les aéronefs ne sont pas utilisés ». La plateforme de choix pour porter ces senseurs est le MRTT –Block II, lequel sera doté après 2020 de capacités C2 avancées. Ce choix est lié au fait qu’un chasseur ne fera jamais route sans ravitailleur.

Les drones au premier rang des priorités capacitaires

Le Général Mercier a cité, en plus du MRTT et du Rafale, quatre autres priorités en matière d’acquisition : l’A400M, les drones Reaper, les avions légers de reconnaissance et l’ACCS.  En ce qui concerne les drones, le succès rencontré grâce à leur utilisation au Nord Mali parle de lui-même : « les 2 Reaper basés au Niger au côté de nos Harfang volent quotidiennement au-dessus du Niger et du Mali et accumulent déjà 5000 heures de vols. Plus nous en avons, plus nous en avons besoin. Nous en aurons 12 d’ici 2018, une acquisition exceptionnellement rapide grâce à la bonne coopération existant entre l’armée de l’Air française et l’USAF ».

Parmi les restructurations et innovations en cours citées par le CEMAA : le développement du Centre de combat aérien à Mont de Marsan qui sera notamment en charge du RETEX (retour d’expérience) et de la doctrine et réunit déjà en particulier les unités ACCS, Mamba, EW (guerre électronique) et datalinks (liaisons de données). Côté technologie, les recherches sur les missiles hypersoniques sont amorcées, les grandes puissances telles les Etats-Unis, la Chine et la Russie y travaillant d’ores et déjà.

Penser différemment

Répondre à la crise ukrainienne passe par des mesures politiques de réassurance, telles que notre mission de défense aérienne dans les pays baltes, mais aussi par une certaine imprévisibilité, telle que des missions de défense aérienne à proximité de la frontière ukrainienne soutenues par les armées de l’Air de pays voisins. « Nul besoin de déploiement pour assurer nos missions ».

« Nous devons penser différemment et travailler ensemble » a souligné le Général Mercier auprès de ses interlocuteurs américains.

L’armée de l’Air française repose sur certains principes, dont la cohérence de son organisation et la responsabilisation des Aviateurs « Top Down » (du haut vers le bas), et l’entraînement en ce sens s’avère crucial. Une inquiétude cependant pour le CEMAA : « nous fonctionnons depuis neuf mois au-dessus de notre contrat opérationnel ».  Pour conserver la cadence des opérations, le Général Mercier souhaite préserver ses personnels dans la durée, lesquels répondent toujours présents sans défaillir, en instaurant des rotations élargies au niveau hommes et matériels (tels les Mirage 2000-C par exemple), de façon à ce que ce ne soit pas toujours les mêmes unités qui soient au front…

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