La refonte des bases aériennes vers le modèle BA XXI : « un système de combat à part entière »

Le Général d'armée aérienne Denis Mercier, Chef d’état-major de l’armée de l’Air © EMAA, novembre 2014

Le Général d’armée aérienne Denis Mercier, Chef d’état-major de l’armée de l’Air © EMAA, novembre 2014

Propos recueillis par Murielle Delaporte – Entretien avec le Chef d’Etat Major de l’Armée de l’Air Denis Mercier

Général, la création du Commandement des forces aériennes est au cœur du plan stratégique « Unis pour faire face » que vous avez initié voici deux ans. Quels sont les éléments ayant motivé cette démarche de fusion entre le CFA et le CSFA et comment inscrivez-vous cette restructuration dans votre conception globale de l’évolution actuelle des forces aériennes françaises ?

Le CSFA, entité issue du plan AIR 2010, prévoyait une intégration au sein d’un même commandement de tous les soutiens contribuant aux missions des forces aériennes. Mais cette idée novatrice a été impactée dès sa mise en œuvre par la réforme interarmées des soutiens. Nous avons donc réfléchi à une nouvelle organisation qui, tenant compte des évolutions dans le monde des soutiens, garantisse la capacité de l’armée de l’Air à réaliser ses missions en toutes circonstances, tout en offrant une vision cohérente du commandement, du stationnement et de l’implantation des unités. Pour chaque base aérienne, nous avons voulu ainsi rassembler les unités aériennes et les escadrons de soutien technique aéronautique sous une même entité : l’escadre. C’est cette démarche, guidée par les opérations et la cohérence, qui a conduit à la fusion du CFA et du CSFA. C’est un projet qui est intégré au plan stratégique de l’armée de l’air, Unis pour « Faire Face », au titre de la simplification des structures de commandement. En deux ans, le projet a franchi deux étapes essentielles. La première est d’avoir placé dès septembre 2013 les deux entités concourant aux missions des forces aériennes (anciennement le CFA et le CSFA) sous le commandement d’un chef unique. La seconde est en train de se terminer avec le rassemblement de l’état-major du nouveau Commandement des Forces Aériennes sur un site unique à Bordeaux en 2015.

Cette restructuration s’est mise en place en septembre dernier et doit s’achever cet été avec la co-localisation des effectifs de la Base aérienne de Dijon à Bordeaux. Comment évaluez-vous le processus de transformation en cours aux vues en particulier de la création des Escadres commencée voici bientôt un an ?

Nous avons créé trois escadres l’année dernière, les premiers retours en sont très positifs. De plus, les enseignements nous permettent déjà d’ajuster le modèle sur certains points spécifiques pour l’étendre dès cette année à la quasi-totalité des bases aériennes. Car derrière la montée en puissance des escadres, il y a la refonte du modèle de nos bases aériennes. Là aussi, cette réorganisation répond à la réalité de nos missions et à l’affirmation de la cohérence d’ensemble de l’armée de l’Air. En effet, le contexte de nos opérations actuelles, couplé aux nouvelles capacités à long rayon d’action (Rafale, A400M Atlas, et bientôt le MRTT Phénix) font que nous opérerons davantage depuis nos bases métropolitaines ou prépositionnées, pour nos missions intérieures comme extérieures au théâtre national.

L’autre caractéristique de nos opérations est l’extrême réactivité avec laquelle nous répondons à leur déclenchement. Ainsi, quelques heures seulement séparent la décision politique du décollage de nos avions à partir de nos bases pour intervenir au-dessus de la Libye, du Mali ou de l’Irak et quelques minutes pour l’alerte de défense aérienne sur le territoire national.

Voilà le sens de la création des escadres, et plus globalement de la refonte de l’organisation des bases aériennes en modèle BA XXI, avec des échelons de commandement qui permettent aux cadres de mieux être à l’écoute de leurs hommes. Constituant un système de combat à part entière, la base aérienne est centrée sur la permanence et la réactivité de ses missions, et la satisfaction prioritaire des besoins opérationnels des unités qui y sont implantées.

Etant donné le fort tempo opérationnel qui affecte l’armée de l’Air depuis quelques années, comment menez-vous de front transformation et exigences opérationnelles ? Les opérations actuelles valident-elles les choix de restructuration en cours et/ou posent-elles de nouveaux défis, notamment en ce qui concerne notre capacité à fonctionner au sein de coalitions internationales ? La participation de la France à la composante aérienne de la force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF), initiée par l’OTAN au Sommet du Pays de Galles, impose-t-elle par exemple un nouveau type de préparation opérationnelle ou s’inscrit-elle dans le contexte actuel des activités du CFA ?

L’armée de l’Air a rarement été engagée à ce point sur le territoire national comme en opérations extérieures : nous dépassons les contrats opérationnels qui nous sont fixés dans le Livre Blanc depuis maintenant près de dix mois. J’ai envie de répondre de deux manières à votre question :
• D’abord, c’est parce que nous nous transformons que nous parvenons à remplir ce niveau d’exigence opérationnelle sans précédent.
• Pour autant, l’activité centrée sur le présent ne doit pas nous conduire à délaisser l’avenir. Transformer, c’est préparer l’armée de l’Air à faire face aux défis du futur en intégrant notamment les nouvelles capacités.

Le degré d’engagement reflète les qualités exceptionnelles de nos aviateurs, qu’ils démontrent au quotidien, et qui sont inscrites dans nos gènes depuis plus de cinquante ans d’alerte ininterrompue de défense aérienne et de dissuasion. Ces deux missions permanentes et régaliennes ont façonné nos structures de commandement et nos bases aériennes autour de la réactivité. La forme actuelle de notre organisation C2 (commandement et conduite des opérations) et de nos bases aériennes type XXI est toujours centrée sur cette réponse ultra-réactive aux opérations intérieures, mais elle s’étend aussi aux missions extérieures. Présente dans tout le spectre des engagements, l’armée de l’Air est immanquablement en première ligne, dès le déclenchement d’une opération.

En d’autres termes, la « Very High Readiness », principe directeur de la VJTF, est déjà dans l’ADN de l’armée de l’Air. La capacité à œuvrer en coalition ou en coopération n’est certainement pas remise en cause, car elle fait partie de la physionomie naturelle de nos opérations extérieures actuelles, dans la bande sahélo saharienne ou en Irak. Les activités actuelles du CFA y préparent parfaitement et une très grande partie de nos entraînements se fait dans un cadre multilatéral.

Qualification opérationnelle du CPA 30 : exercice de recherche et sauvetage au combat (RESCo) et de récupération de personnes isolées (RPI) par les commandos de l'Air © Arnaud Roiné, ECPAD, Pyrénées-Orientales, mars 2010

Qualification opérationnelle du CPA 30 : exercice de recherche et sauvetage au combat (RESCo) et de récupération de personnes isolées (RPI) par les commandos de l’Air © Arnaud Roiné, ECPAD, Pyrénées-Orientales, mars 2010

 

Quelles sont dans ce contexte les difficultés rencontrées et les solutions apportées pour faire en sorte que la préparation opérationnelle dont est chargé le CFA – tant au niveau des hommes que des matériels – corresponde en permanence aux besoins de théâtres d’opération tous différents (géographiquement parlant, mais aussi en termes de capacités et compétences requises) et que l’organisation des relèves de personnels – mais aussi des régénérations de matériels – permettent de maintenir un engagement dans la durée ?

En termes de préparation opérationnelle, les difficultés rencontrées liées à l’engagement important, voire hors norme de nos capacités en opération a un impact sur l’entraînement de nos personnels. Il y a un phénomène de vases communicants. D’une manière générale, le personnel expérimenté est en effet déployé en opération de façon importante, ce qui limite l’encadrement des plus jeunes en métropole.

Mais c’est un phénomène qui dépend aussi des capacités employées.
• En ce qui concerne les avions de transport et de ravitaillement en vol, l’activité générée n’est pas suffisante pour entraîner les plus jeunes équipages au niveau requis.
• Pour l’aviation de chasse, il s’agit au contraire de gérer une suractivité, notamment pour les escadrons de Mirage 2000D.
• Sur les drones, la flotte encore réduite d’aéronefs est tellement sollicitée que nous rencontrons des difficultés importantes pour entraîner suffisamment d’équipages.
• Enfin, en ce qui concerne le personnel mécanicien et commando, nous sommes allés trop loin dans la diminution du format  : un déficit en ressources humaines qui pèse dans nos opérations.

C’est d’ailleurs tout l’enjeu de la loi de programmation militaire actuelle : nouvelles capacités en transport et ravitaillement, rénovation des Mirage 2000D, et non déflation d’effectifs viennent répondre quasiment point par point aux tensions évoquées. J’y ajoute notre réorganisation interne qui répartit mieux les charges sur l’ensemble des unités de l’armée de l’air. Pour diminuer la suractivité des Mirage 2000D, nous avons décidé par exemple de déployer à leurs côtés des Mirage 2000C et N sur deux théâtres d’opération extérieure afin qu’ils volent en patrouille mixtes. Enfin, capitalisant sur la polyvalence des avions modernes comme le Rafale, le décloisonnement des compétences et l’entraînement différencié permettront de disposer d’un nombre plus important d’équipages adaptés aux différentes phases d’une opération.

Mais il faut garder à l’esprit que ces solutions font en fait partie d’une réflexion globale et cohérente qui unit toutes les capacités de l’armée de l’Air.

Les conflits et la nature des adversaires actuels d’un côté, les révolutions technologiques de l’autre imposent-ils d’accroître l’étendue du spectre capacitaire de l’armée de l’Air ? Ou au contraire va-t-on à l’image de la restructuration organisationnelle que vous avez mise en œuvre vers une certaine simplification liée notamment à une moindre diversité des flottes ?

Là encore, je vais vous faire une réponse à double entrée. L’armée de l’Air couvre un spectre très large d’opérations, allant de l’humanitaire aux conflits de haute intensité. Les aviateurs sont entraînés pour y faire face. Si je devais mentionner une rupture technologique, ce serait celle qui a trait aux liaisons de données. Aussi, la clef de nos opérations actuelles, au-delà des plateformes et des aviateurs qui y sont employés, c’est le réseau qui les relie.

Dès lors, plus que d’accroître l’étendue du spectre capacitaire de l’armée de l’Air, il s’agit de repenser notre façon de concevoir les opérations aériennes au travers de ce prisme systémique : passer d’une logique de plateformes individuellement performantes à une logique de système fédérateur et distributeur d’informations. Cette vision est à la source du système de combat aérien futur, envisagé comme un « combat cloud », véritable système de systèmes intégrant des senseurs et des effecteurs de différente nature et de différentes générations. Ceci nous permettra une meilleure réactivité et survivabilité, fondées sur une gestion différente des opérations et des capacités.

Vous pouvez interpréter cette vision comme une démarche d’extension ou de simplification : dans les deux cas, elle est synonyme d’efficacité accrue.

Quelle est votre vision de l’armée de l’Air de demain au travers des réformes entreprises en matière de formation et d’entraînement d’une part, des innovations poursuivies d’autre part en particulier avec l’arrivée de ces nouvelles générations d’équipement ?

Notre vision est contenue dans le plan stratégique de l’armée de l’Air, « Unis pour Faire Face » au travers de ses quatre principaux axes d’effort :
– la modernisation des capacités,
– la simplification des structures,
– le développement des partenariats,
– et la valorisation de l’aviateur.

C’est une vision cohérente, car l’acquisition de nouvelles capacités nécessite de repenser l’organisation de notre armée de l’Air d’une part, et la formation et l’entraînement des aviateurs d’autre part. Les partenariats sont également élargis en conséquence pour tirer parti des opportunités nouvelles offertes par ces capacités, notamment dans le domaine des partenariats multinationaux.

Dans cette optique, l’« Air Warfare Center » créé à Mont de Marsan va jouer le rôle d’une véritable courroie d’entraînement pour l’armée de l’Air, associant au sein d’une même entité le retour d’expérience de nos opérations, l’évolution des doctrines d’emploi, la formation et l’expérimentation des concepts et matériels nouveaux.

Enfin, parce que les aviateurs demeurent au centre du plan stratégique de l’armée de l’Air, le modèle de ressources humaines que nous développons vise à adapter leur parcours aux nouveaux défis. Nous cherchons, au travers des nombreux projets que nous soutenons, à valoriser toujours plus l’excellence de chacun.

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