Les événements dramatiques survenus notamment entre 2015 et 2017 sur le territoire national ont marqué la nécessité de disposer d’une réserve opérationnelle éprouvée, qualifiée et ajustable au niveau de menace que connaît actuellement notre pays. La création de la Garde nationale en juillet 2016 concrétise, dans un cadre interministériel, la volonté du pouvoir exécutif de notre pays de disposer d’un réservoir de volontaires permettant de renforcer voire de compléter les éléments des forces d’active à hauteur de 85 000 réservistes, dont 40 000 pour le ministère des armées.

Reste que l’époque pour les armées est à l’oxymore. D’un côté, une suractivité opérationnelle générée par les opérations extérieures ainsi que par les opérations intérieures et de l’autre, une contraction budgétaire qui n’a fait que s’accentuer entre 2008 et 2017[1] et qui s’est notamment traduite par une accélération de la diminution des effectifs, une conduite du changement quasi continue ainsi que des dotations en équipements en berne pour l’ensemble des composantes des forces armées.

A l’heure où cette sur-sollicitation cumulée aux effets de moindre ressources conduit notamment un nombre croissant d’engagés comme de cadres à quitter les rangs des armées, la montée en puissance de la Garde nationale s’impose comme une évidence tant le besoin de renfort pour l’armée d’active s’impose aux yeux de l’ensemble des observateurs avertis. En d’autres termes, l’emploi de la réserve opérationnelle est devenu une priorité pour les armées qui doivent apprendre à l’utiliser comme une force à part entière leur permettant notamment de ne pas finir par embrasser le destin de Penthée[2].

Les avantages de la réserve et ses limites

L’enjeu de la Garde nationale est simple : disposer d’un volume d’hommes et de femmes opérationnels, prêts à participer de la défense de leur pays en renfort des forces armées et de sécurité d’active fortement éprouvées par un phénomène que les états-majors n’hésitent plus à qualifier de « suractivité » opérationnelle et qui se traduit pour certaines unités ou certaines spécialités par une « sur sollicitation[3] » du personnel affecté en leurs seins. Il devient donc essentiel pour un nombre de plus en plus croissant d’unités de se doter d’un référentiel en organisation (REO) « réserve » leur permettant de disposer de personnel compétent, motivé, disponible et de participer ainsi de la régénération organique des hommes et des femmes de l’armée d’active.

L’autre avantage majeur qu’offre la réserve opérationnelle est qu’elle permet de disposer de compétences rares à moindre coût évitant en cela le double écueil d’un recrutement non rentable ainsi que le surcoût associé à une prestation de conseil. En ce sens, l’emploi de réservistes opérationnels très qualifiés et créateur de valeur pour l’institution défense est à la fois un gage d’efficience et d’efficacité. C’est aussi une manière de combler la perte de l’apport fondamental qu’apportait le service national aux armées notamment en termes de circulation de savoir et d’adaptation continue aux transformations majeures de notre société.

Enfin, la réserve opérationnelle permet à l’armée de renforcer ses effectifs dans des fonctions déficitaires sans avoir à s’engager sur le moyen ou le long terme en termes de recrutement, ce qui aide le ministère des armées dans ses objectifs de maîtrise de sa masse salariale et de stabilisation de ses effectifs tout en lui permettant de continuer de remplir son contrat opérationnel. Ainsi, nombre de réservistes opérationnels se retrouvent affectés au profit du renforcement de la protection défense des sites des armées et/ou en soutien de l’opération Sentinelle, véritable mission de sécurité intérieure, dont on a pu constater l’exposition à la menace au vu de l’actualité de ces dernières années[4]. En ce sens, les réservistes opérationnels sont de facto des militaires à part entière, certains faisant même l’épreuve de l’ouverture du feu dans des conditions que ne connaîtront jamais certains de leurs camarades d’active.

Reste que la limite principale associée à la réserve opérationnelle réside en la disponibilité de ses membres tant il est vrai que nombre de réservistes ne sont pas d’anciens militaires d’active bénéficiant d’une retraite à jouissance immédiate leur permettant de subvenir à leurs besoins.

En moyenne, les réservistes opérationnels de premier niveau[5] servent 29,3 jours par an[6]. Le nombre de réservistes opérationnels servant sous un engagement à servir dans la réserve (ESR) est de 61 910 dont 29 607 servent dans la gendarmerie. Nous sommes encore loin de la cible initiale qui accompagnait la professionnalisation des armées françaises qui affichait un objectif de 100 000 réservistes opérationnels en soutien de l’armée d’active…

 

Les nécessaires valorisation et consolidation de la Garde nationale

Nous assistons à un changement de paradigme dans l’emploi et la gestion de la réserve. Comme souvent les contraintes obligent encore et toujours à davantage d’adaptation, d’agilité et de création de solutions. La réserve de notre époque est source de renfort mais aussi d’innovations et de transformations pour les armées. Reste qu’il y a donc encore beaucoup à faire pour améliorer la reconnaissance de l’engagement des réservistes et ceci à maints niveaux.

A cet égard, la responsabilisation des commandants d’unité dans la gestion de leurs réservistes doit être accentuée. Il y a nécessité à valoriser l’engagement si l’on tient à fidéliser les recrues de qualité et cela passe par une reconnaissance symbolique plurielle : propositions pour l’attribution de décorations, lettres de félicitations voire témoignage de satisfaction, promotion, valorisation au sein de l’unité d’emploi… les moyens pour récompenser ne manquent pas mais sont employés de manière disparate d’une armée à l’autre. Force est de constater que l’absence de valorisation du mérite peut varier de manière tellement conséquente qu’il peut être source de frustrations chez certains intéressés. Dans le monde hyper connecté qui est le nôtre, tout le monde se jauge et aucun segment d’activité n’échappe à la comparaison… C’est pourquoi, chaque personnel en charge d’un commandement au sein des forces doit avoir en conscience qu’aucune négligence n’est anodine tant pour le personnel d’active que pour le personnel de réserve notamment à notre époque où la quantité des effectifs se faisant moindre, la ressource humaine de qualité est de plus en plus fondamentale au bon fonctionnement du service…

La valorisation des éléments de valeur est une responsabilité du commandement doublé d’un devoir citoyen de reconnaissance de l’engagement des volontaires. En ce sens, aucun moyen de valoriser l’engagement volontaire et qui s’inscrit dans la durée ne doit être minimisé.

La réserve ou l’incarnation de l’esprit de défense

Dans une société où l’appel sous les drapeaux n’existe plus que sous la forme de la journée défense citoyenneté (JDC), la réserve (opérationnelle ou citoyenne) est l’incarnation de l’esprit de défense, sa réalité concrète et charnelle. La réserve donne corps au lien armées-nation, elle l’incarne et la symbolise plus que jamais. Elle est source de relais avec la société civile et représente un vecteur de communication unique pour les armées. Renfort incontournable en nos temps où la question de la levée en masse pourrait redevenir d’actualités plus rapidement que l’on ne le pense et source d’innovations au sein de la défense, la réserve s’impose comme un levier de conduite du changement majeur au sein des armées françaises.

L’engagement, la disponibilité et l’expertise des réservistes est un atout majeur pour nos armées, à elles d’en prendre toute la mesure dans une période où des arbitrages budgétaires on conduit à la démission un chef d’état-major des armées et où il faudra faire encore preuve davantage d’agilité managériale et de valorisation de tous les talents de bonne volonté pour la pérennité de l’outil de défense français…

[1] L’année 2018 ainsi que la prochaine loi de programmation militaire devraient être marquées par une augmentation du budget des armées.

[2] Dans la mythologie grecque, Penthée, fils d’Échion (l’un des Spartes), et d’Agavé (fille de Cadmos), est roi de Thèbes. Il s’oppose à l’introduction du culte dionysiaque dans son royaume. Alors qu’il est caché dans un arbre du mont Cithéron pour épier la bacchanale, il est découvert et mis en pièces par les ménades, à la tête desquelles figure sa propre mère et ses deux tantes, Ino et Autonoé. Sa fin symbolise le destin tragique de toute chose qui subit la tension de deux forces contraires.

[3] Cette sollicitation est mesurée notamment en termes de découchés annuel par personnel, c’est-à-dire en nombre de jours où un soldat sert son pays sans avoir l’opportunité de rejoindre son lieu de domicile le soir venu. Au sein de certains services ou certaines unités, cette sollicitation se traduit par plus de 180 jours découchés par an.

[4] N’oublions pas en effet, que certains réservistes opérationnels se sont retrouvés en position de faire usage de leur arme dans le cadre de l’opération Sentinelle ; l’usage de la violence légitime de la part de ces réservistes ayant entrainé à deux reprises la mort d’un assaillant (à Orly et Marseille).

[5] La réserve opérationnelle de premier niveau est composée de réservistes ayant souscrits un ESR. La réserve opérationnelle de deuxième niveau est constituée d’anciens militaires soumis à l’obligation de disponibilité.

[6] Source : Bilan social de la défense 2016, page 297.

Illustration telle que reproduite sur le site: https://mythologica.fr/grec/penthee.htm