(Par Murielle Delaporte ) Série Donald Trump, The Good, the Bad and the Ugly (II)

Alors que Donald Trump a une fois de plus provoqué la stupéfaction, voire la consternation, en annonçant sans préavis la reconnaissance de Jérusalem, il a paru utile d’essayer de comprendre cette décision en la replaçant dans le contexte de la politique de Washington dans la région et au-delà.

Une promesse électorale tenue

Si la plupart des observateurs s’accordent pour éclairer les motivations d’une telle initiative à la lumière de la campagne électorale et s’il est vrai que le lobby juif, premier contributeur financier de cette dernière, ainsi qu’une partie de l’électorat chrétien américain n’ont pu que se réjouir d’un geste jugé courageux par ces derniers, on peut s’interroger sur le « timing » de celui-ci.

Pourquoi annoncer la reconnaissance de Jérusalem maintenant, alors qu’il y a moins d’un an le président américain à peine élu y avait renoncé notamment sous la pression du roi de Jordanie ?

Il semble que la réponse se situe dans les avancées réalisées au fil de cette presque première année de mandat Trump sur deux fronts que l’on ne peut dissocier : celui de la lutte anti-terroriste d’une part, celui du processus de paix au Moyen-Orient d’autre part.

Ryad au cœur de tous les espoirs

Avant de se rendre en Israël au printemps dernier pour s’y entretenir avec le Premier Ministre Benjamin Netanyahou d’une part, le président palestinien Mahmoud Abbas d’autre part, puis d’aller au Vatican dans la foulée, c’est au royaume du Prince héritier Mohammed Ben Salmane d’Arabie Saoudite , « au cœur de monde musulman, auprès de la nation qui est la gardienne des deux sites les plus saints de l’Islam », ainsi qu’il l’a décrit dans son discours de Ryad le 21 mai 20171, que Donald Trump a choisi d’aller pour sa toute première visite officielle à l’étranger. Du jamais vu chez un président américain.

L’itinéraire du premier voyage officiel du Président trump en mai dernier :
un message “œucuménique”

(Source de la carte: The New York Times)

1) Riyadh (20 et 21 mai 2017) 

2) Tel Aviv (22 et 23 mai)

3) Jerusalem (22 et 23 mai)

4) Bethlehem (22 et 23 mai)

5) Rome (24 mai)

6) Vatican City (24 mai) 

7) Bruxelles (24 et 25 mai) 

8) Taormina (26 et 27 mai)

9) Sigonella (26 et 27 mai)

Ce n’est rien de moins que l’ouverture d’un nouveau chapitre dans les relations américano-saoudiennes à l’image de celui débuté par le père du Roi Salmane  – le Roi Abdelaziz – avec le président Roosevelt  que Donald Trump proposa lors de ce discours d’inauguration du Sommet arabe Islamo-américain : « L’Amérique est une nation souveraine, dont la priorité première demeure la préservation de la sûreté et sécurité de nos citoyens. Nous ne sommes pas ici pour faire la leçon – nous ne sommes pas ici pour dire aux autres comment ils doivent vivre, ce qu’ils doivent faire, qui ils veulent être, ou comment prier. (…) nous devons nous unir pour atteindre le seul but qui transcende toute autre considération. Ce but est de faire face au test que nous impose l’Histoire, à savoir vaincre l’extrémisme et les forces du terrorisme (…), dont les victimes les plus nombreuses sont les Musulmans du Moyen Orient.»2

Pour Donald Trump et une partie de son équipe,  « le berceau de la civilisation est à l’aube d’une renaissance » (« the birthplace of civilization is waiting to begin a new renaissance»), et il n’est plus question ni d’imposer l’«American way of life», ni la démocratie à l’occidentale aux autres pays.  On retrouve la même logique que la fin de la politique de « nation-building » mise en œuvre par ses prédécesseurs à grands frais et sans résultat tangible, ainsi qu’il le déclarera trois mois plus tard en annonçant un renfort des troupes américaines sur le front afghan3.

La lutte contre le terrorisme, colonne vertébrale de la politique de défense et de sécurité sous Trump

Priver les organisations terroristes de leur soutien est l’un des objectifs du Pentagone, sous l’égide du Général Mattis, sur tous les théâtres militaires : que ce soit le pétrole vis-à-vis de l’Etat Islamique en Syrie et en Irak, que ce soit en Afghanistan en détruisant une culture d’opium devenue en 2017 la première au monde.  Un objectif passant par l’appui d’autres nations alliées pour veiller à ce que la pieuvre du terrorisme international cesse de développer sans cesse de nouvelles tentacules. D’où la création de deux centres en Arabie Saoudite : d’une part, un nouveau « Centre international de lutte contre l’idéologie extrémiste » permettant aux pays à majorité musulmane de prendre la tête dans la guerre contre la radicalisation ; d’autre part, un centre d’identification des financements du terrorisme (« Terrorist Financing Targeting Center »)  co-présidé par les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite et où participent tous les membres du conseil de coopération du golfe dans le but de tarir les sources de financement du terrorisme.

La coopération militaire au sein de la coalition anti-terroriste  est essentielle et se manifeste sous de multiples formes au quotidien, avec  la participation de “pilotes jordaniens partenaires contre Daech, l’accueil de l’US CentCom au Qatar, l’action saoudienne contre les Houthis au Yemen, la chasse de Daech par l’Armée libanaise, le soutien des Afghans par les troupes émirati,  le soutien américains en Irak aux troupes kurdes, sunnites et chiites,” etc…  (« Jordanian pilots are crucial partners against ISIS in Syria and Iraq. Saudi Arabia and a regional coalition have taken strong action against Houthi militants in Yemen. The Lebanese Army is hunting ISIS operatives who try to infiltrate their territory. Emirati troops are supporting our Afghan partners. In Mosul, American troops are supporting Kurds, Sunnis and Shias fighting together for their homeland. Qatar, which hosts the U.S. Central Command, is a crucial strategic partner. Our longstanding partnership with Kuwait and Bahrain continue to enhance security in the region. And courageous Afghan soldiers are making tremendous sacrifices in the fight against the Taliban, and others, in the fight for their country »). A court terme, c’est cette coopération militaire qui a conduit à une victoire contre l’Etat islamique (même si la guerre n’est pas encore terminée), et les batailles se poursuivent du Yemen à la Somalie, en passant par le Sahel et l’Afghanistan, flancs renforcés par un accroissement de l’engagement militaire et financier américain (avec notamment une participation de 60 millions de dollars, équivalente à celle de l’Union européenne dans l’initiative G5 sahel4).

La politique du « coup de pied dans la fourmilière »

Mais continuer sur le front militaire ne servira à rien à long terme si l’on s’évertue à appliquer les mêmes méthodes que par le passé, estime le gouvernement américain actuel, d’où une politique que l’on pourrait caractériser comme une politique de “coup de pied dans la fourmilière” devant permettre de remettre à plat certaines cartes sur l’échiquier politique mondial. Donald Trump applique la même méthode consistant à remettre en cause l’« Establishment » et le « business as usual » sur le plan intérieur vis-à-vis de Washington comme sur le plan international. La reconnaissance de Jérusalem (certainement avec l’ambiguïté de l’omission essentielle de la précision « Jérusalem Ouest » dans sa déclaration officielle du 6 décembre dernier3 réalisée de façon volontaire) relève de cette logique, consistant à prendre acte des échecs passés.

L’Arabie Saoudite – sous la houlette de son nouveau jeune Prince héritier et vice-premier ministre depuis juin 2017 – a déjà imposé des sanctions au Hezbollah et pourrait jouer le rôle de force stabilisatrice au Moyen-Orient et sur le front du terrorisme en devenant un état islamique laïc (peut-être un peu similaire à l’esprit initial de l’Irak de Saddam Hussein au début de son règne).

Pour Donald Trump, la voie de la paix commence à Ryad, la première étape de ce qui pourrait devenir une politique des petits pas à la Kissinger  («  Terrorism has spread across the world. But the path to peace begins right here, on this ancient soil, in this sacred land »6). Espérons qu’elle aboutira sans subir le sort du processus d’Oslo.

 

Notes

1 Discours de Donald Trump en Arabie Saoudite lors du Sommet arabe islamo-américain des 20 et 21 mai 2017 >>> http://www.arabnews.com/node/1102966/saudi-arabia

2 A hauteur de 95% de l’ensemble des victimes du terrorisme selon certaines estimations et tel que cité dans le discours de Donald Trump (ibid). 

3 Voir notre article >>> https://operationnels.com/2017/08/22/donald-trump-strategie-regionale-resoudre-lepine-afghane/

4 https://www.state.gov/secretary/remarks/2017/10/275175.htm

5 «We want an agreement that is a great deal for the Israelis and a great deal for the Palestinians.  We are not taking a position of any final status issues, including the specific boundaries of the Israeli sovereignty in Jerusalem, or the resolution of contested borders.  Those questions are up to the parties involved. » Discours du 6 décembre 2017 >> https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/statement-president-trump-jerusalem/

6 Discours du 21 mai 2017, ibid

Photo et illustration ©