Par Romain Petit, historien – Reconstruction, stabilisation, droit international et conquête des cœurs et des esprits
Les logiques contemporaines de reconstruction s’inscrivent toutes dans le cadre de la prégnance de l’influence du droit international. Elles appartiennent à une phase que l’on pourrait qualifier de post bellum et appellent un savoir-faire spécifique, où le soldat a toute sa part à prendre dans la conduite de la période de transition dans des pays aux structures étatiques dévastées ou inexistantes.
Agir dans un contexte post bellum suppose que le jus in bello et que le jus ad bellum aient été scrupuleusement respectés durant la phase de conflit actif. Chaque soldat, aussi modeste que soit son rang, ne doit jamais perdre de vue que le monde postcolonial ne tolère la guerre que sous mandat du conseil de sécurité de l’ONU. Même si le Conseil de sécurité ne put arrêter les Etats-Unis en 2003 lors de leur entrée en guerre face à l’Irak, on a pu peser l’importance accordée à la recherche d’un blanc-seing dudit conseil. La vocation universaliste de l’ONU, le primat accordé au respect de la dignité humaine (DDH de 1948, droit et devoir d’ingérence, responsabilité de protéger) a ouvert grand une brèche post souverainiste dans la conduite des affaires internationales même si cette tendance s’affaiblit notamment sous la double influence des Etats-Unis de Trump et de la Chine de Xi Jinping.
Reste que la création de concept tel que la responsabilité de protéger (R2P1) postule qu’un gouvernement agissant contre l’intérêt général de son peuple est illégitime et doit à ce titre être relevé de ses fonctions, ce qui n’est pas sans créer de nouvelles responsabilités pour la communauté internationale.
C’est dans ce contexte que la notion de guerre “populo centrée” retrouve toute son actualité dans le cadre de conflits dits “de quatrième génération”. C’est ainsi qu’il convient d’étudier comment nous sommes passés d’une logique de pacification à une logique de stabilisation et de comprendre comment l’esprit des SAS perdure au sein des entités dédiées à la coopération civilo-militaire (actions civilo-militaires –ACM- ou civil military coordination – CIMIC), notamment afin de mieux saisir en quoi les enjeux liés à la guerre populo centrée conditionnent la possibilité même de la reconstruction.
De la pacification à la stabilisation
La pacification fut une activité de police impériale que mena la France au sein de ses colonies principalement, mais de manière non exclusive, en Algérie. En d’autres termes, la pacification fut une intervention armée pour assurer l’ordre et la maîtrise de la rébellion au sein de l’empire colonial français.
Cette dernière reposait sur une série de principes tactiques, forme de doctrine, au cœur desquels nous trouvons la notion de pénétration progressive selon le modèle de la tâche d’huile et le concept de pression dissuasive. Les opérations de pacification étaient conçues sur une logique de découpage géographique de l’espace en zones (quadrillages) qui devaient être ensuite soumises à des actions de police et de recueil de renseignements (ratissage par colonnes).
La pacification de l’Algérie française aux XIX et XXème siècles a consisté en la répression des mouvements indépendantistes organisés en guérilla par les moyens de la guerre non conventionnelle (ou guerre anti subversive). Deux centres d’instruction à la pacification et à la contre guérilla (CIPCG) furent créés durant la guerre d’Algérie par Raoul Salan et Charles Lacheroy, sur l’initiative de Jacques Chaban-Delmas, ministre de la Défense à l’époque. Lesdits CIPCG étaient destinés à la formation des cadres à la guerre psychologique. Créés en 1958 et placés sous la responsabilité du colonel Bigeard, les CIPCG formeront les commandos de chasse, ainsi que les unités d’élite de l’armée de Terre française aux techniques du renseignement et de la propagande (que cette dernière soit noire et blanche selon les termes Tchakothine2), l’idée étant de former des cadres aux principes de la guerre antisubversive.
Entre 1958 et 1960, environ 8 000 officiers et sous-officiers ont été formés au sein de ces centres. Par ailleurs, ces derniers seront régulièrement visités par des officiers stagiaires de l’Ecole de guerre ou des délégations de pays étrangers et inspireront – Guerre froide oblige – les unités chargés de la guerre antisubversive de l’armée des Etats-Unis d’Amérique, ainsi que la grande majorité des dictatures militaires sud-américaines des années 1960-19703.
Cet « héritage » fut longtemps passé sous silence pour des raisons politiques et de discrétion évidentes et a retrouvé une forte résonnance depuis la conduite de nombreux conflits contemporains. C’est notamment sous l’impulsion du général Petraeus et son « Field manuel 3 24 », ainsi que via son hommage appuyé au travail conceptuel réalisé par David Galula4, que les stratèges du monde entier se sont replongés dans la lecture des œuvres coloniales militaires. Ainsi, la notion de contre insurrection est revenue au goût du jour et la pacification a laissé la place à la stabilisation. Les interventions en Bosnie et au Kosovo, ainsi qu’en Afghanistan et en Irak ont, elles aussi, participé à l’intérêt renouvelé de l’armée française pour les questions liées à la contre-insurrection (COIN). Voir notamment les ouvrages du général Francart consacrés à la question de la maîtrise de la violence et à la guerre du sens5.
Plus exactement c’est la notion de contre-rébellion (CREB) qui est aujourd’hui le terme en vigueur au sein de la doctrine de l’armée de Terre française, terme préféré à celui de à la contre-insurrection, même si une doctrine interarmées de contre-insurrection a vu le jour en 2009 au sein de l’armée française, ainsi que nous le verrons dans notre prochain et dernier volet intitulé : contre guérilla, COIN et CREB.
Notes:
1 C’est sous cette justification que l’intervention en Lybie qui a présidé à la destitution de Kadhafi a eu lieu ; reste que ce modèle connaît ses limites comme en témoignent la non résolution de la crise syrienne, ainsi que l’intervention efficace, mais relativement esseulée (au niveau européen s’entend), de la France au sein de la Bande sahélo-saharienne (BSS).
2 Sur ce sujet lire : Serge Tchakothine, Le viol des foules par la propagande politique. Ce que Tchakothine appelle « propagande blanche » provient d’une source ouvertement identifiée. Principalement usée par les gouvernements, elle sert surtout à renforcer un sentiment patriotique, voire nationaliste déjà acquis par la population civile. La « propagande noire » provient d’une source cachée. Elle vise à déstabiliser et à discréditer la cible contre laquelle elle s’exerce. Enfin, la « propagande grise » n’a pas de source identifiable. Elle provient d’une source soi-disant neutre, mais qui est en réalité hostile. Les techniques employées dans ce type de propagande sont la diffamation, la rumeur et le dénigrement.
3 Voir Marie-Monique Robin, Escadron de la mort, l’école française, La découverte, 2006.
4 Personnage moins connu et moins sulfureux qu’un colonel Trinquier par exemple.
5 Général Loup Francart, Maîtriser la violence, Paris, Economica 2002.
Illustration >>> couverture du livre de David Galula (telle que diffusée en ligne par : http://www.tresordupatrimoine.fr/1717090-pacification-en-algerie.html)