The Long War, Irlande du Nord 1969-2007, un conflit au cœur des enjeux de sécurité globale (1/4)

The Long War, surnom donné au conflit qui ensanglanta l’Irlande du Nord de 1969 à 2007, se situe au carrefour des opérations de contre-rébellion et de sécurité intérieure et constitue un cas d’étude en termes de sécurité globale.

En l’espace de 38 ans, ce conflit aura causé la mort de plus de 4 000 personnes dont 697 soldats dans le cadre des affrontements qui opposeront forces de l’ordre et organisations paramilitaires. Par ailleurs, plus de 300 000 soldats britanniques seront déployés en Irlande du Nord dans le cadre de l’opération Banner, nom donné à l’opération militaire conduite par les forces armées britanniques durant The Long War.

En l’espace de deux ans, soit de 1969 à 1971, ce conflit dégénéra de l’état de violences sporadiques à celui d’insurrection puis de véritable guérilla urbaine. Cette situation de crise extrême conduira à la mise en œuvre d’opérations de contre-insurrection sur le territoire britannique, situation qui ne sera pas sans rappeler notamment la Bataille d’Alger ainsi que nous l’étudierons plus avant.

On connaît le conflit nord irlandais principalement via ses points d’acmé dont le fameux Bloody Sunday dont le groupe de pop music U2 a fait un succès planétaire et quelques œuvres cinématographiques dont le magistral Le vent se lève de Ken Loach, Bloody Sunday de Paul Greengrass, Au nom du père de Jim Sheridan ou le plus anecdotique Jeux de guerre de Philip Noyce.

Force est de constater que l’analyse de cet interminable conflit a fait l’objet de très peu d’études dans la langue de Molière, elles-mêmes connues d’un public restreint de spécialistes, d’où cet article.

Avant d’en venir à étudier les moments clefs de ce conflit qui aura duré quasiment 4 décennies, il convient tout d’abord de comprendre les origines de ce dernier et ses caractéristiques, notamment à ses débuts. A l’aune de ces éléments, il nous sera alors plus aisé de comprendre en quoi The Long War peut-être caractérisé comme un conflit de sécurité globale, concept que nous définirons plus avant.

Aux origines du conflit

Tout au long de l’histoire qui les lie, les rapports qu’entretiendront l’Irlande et l’Angleterre furent houleux.

De la première occupation britannique de l’Irlande de 1169 sous le règne d’Henry II jusqu’au Cromwellian Settlement de 1652 qui réquisitionnera les trois quarts des terres irlandaises pour les anglais en passant par la bataille de la Boyne de 1690, les Irlandais n’auront de cesse de s’opposer aux colons britanniques jusqu’à s’organiser en sociétés secrètes, sociétés qui deviendront in fine les principaux mouvements nationalistes irlandais après la création du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande en 1801.

Ainsi, lorsqu’éclateront des heurts d’une grande violence au début du XXe siècle, la Grande-Bretagne n’aura pas d’autre choix que de laisser une certaine autonomie à l’Irlande, ce sera le Home Rule. Mais cette première concession politique de taille ne suffira pas à calmer les leaders des mouvements nationalistes les plus radicaux qui n’auront de cesse de réclamer l’indépendance du pays.

En 1919, l’Irish Republican Army (IRA) succède aux Irish Volunteers. L’objectif principal de l’IRA est de mettre fin à la British Rule par l’usage de la force afin d’aboutir à une République irlandaise indépendante. Cet objectif est poursuivi au niveau politique par le Sinn Fein, branche politique de l’IRA. Entre 1919 et 1921, guerre anglo-irlandaise, l’IRA mène des actions de guérilla qui aboutiront à l’établissement de l’Irish Free State. Ainsi l’indépendance de l’Irlande a-t-elle été obtenue par le recours à la violence armée de manière continue ce qui marquera durablement les esprits des Irlandais.

L’indépendance sera finalement proclamée le 21 janvier 1919 mais au prix de la partition du pays en deux, l’Irlande du Nord demeurant membre du Royaume-Uni.

 

Les forces en présence en 1969

L’Irlande du Nord est divisée en 6 comtés, quatre ruraux et deux agglomérations (Belfast et Derry).

De facto, l’Irlande du Nord vit depuis 1921 sous un régime particulier qui a abouti à la prise de contrôle de toutes les institutions politiques et économiques du pays par la majorité protestante au détriment de la minorité catholique.

Quand éclatent les Troubles de 1969, l’IRA comme le Sinn Fein continuent d’exister mais de manière embryonnaire, à partir d’un nationalisme primaire, héritage lointain des années 1920. Ces derniers se cherchent un second souffle et essayent de prospérer en parallèle du mouvement des droits civiques qui lutte contre l’injustice et la ségrégation dans la société nord-irlandaise et qui rencontre un franc succès. En face d’eux, se dressent les Unionistes, appelés aussi Loyalistes, qui souhaitent que la province demeure britannique. En réaction à l’IRA, se crée toute une série de groupes paramilitaires au sein des Unionistes parmi lesquels l’UDA (Ulster Defence Association) et l’UVF (Ulster Volunteer Forces).

Il convient de souligner que depuis la partition de l’Irlande, la sécurité intérieure de l’Ulster a été confiée au RUC (Royal Ulster Constabulary), crée en 1922, ainsi que sa réserve, les B-specials, forces partisanes et très favorable à la communauté protestante du pays.

Le conflit qui éclate en 1969 relève à la fois de l’insurrection, de la guerre asymétrique, de la guerre civile et du conflit ethnique à consonance religieuse. On ne peut l’appréhender aisément tant ses origines, ses causes et son évolution sont complexes. Ainsi, par exemple, la Provisional Irish Republican Army (PIRA) fut considérée à la fois comme une organisation terroriste par les forces britanniques et comme une organisation de résistance à l’impérialisme britannique par certains Irlandais.

En ce sens, ce conflit relève d’une approche de sécurité globale en ce sens qu’il a touché toutes les strates de la société irlandaise et britannique, que son impact médiatique a été mondial, que son évolution tactique a suivi les évolutions des technologies de l’information et de la communication et que sa sécurisation a nécessité la mise en œuvre d’une approche militaro-policière inédite dans ses modalités.

La notion de sécurité globale est notamment étudiée à l’Université de Technologie de Troyes (UTT)  au sein de l’Institut sur la sécurité globale et l’anticipation (ISGA), établissement au sein duquel nous sommes chercheur associé et chargé de cours.