Par Chrystelle Roger, Présidente fondatrice de Myceco1  – Biomimétisme : la nature au service de l’innovation technologique2

Cité en France dès 2007 comme l’outil de la prochaine révolution industrielle, le biomimétisme associe innovation et responsabilité sociétale en tirant parti des technologies et systèmes naturels – sélectionnés par 3,8 milliards d’années d’évolution – pour créer de nouveaux produits, services et modèles d’organisation durables .
Le mot est issu du grec bio, vie et mimesis, imitation. Il existe un cadre normatif depuis 2015 avec trois normes ISO (ISO TC 266 – ISO NF 18458) et une norme expérimentale AFNOR. Dans cette acception normée, on parle parfois aussi de bio inspiration, de biomimétique, le biomimétisme étant la philosophie, la méthodologie et l’approche conceptuelle interdisciplinaire prenant pour modèle la nature afin de relever les défis du développement durable (social, environnemental et économique). Le biomimétisme permet en particulier de répondre à différents objectifs de développement durable (dits ODD).
La France dispose d’un capital intellectuel et naturel inégalé :
• une des plus grandes collections naturalistes au monde 68 millions de spécimens détenue par le muséum national d’histoire naturelle
• une expertise académique de niveau international avec près de deux cents équipes de recherche (CNRS, ONERA, CEA Leti, …)
• 10% des espèces connues dans le monde, grâce notamment à ses territoires ultra marins (notamment en Amazonie grâce à la Guyane)
• le second espace maritime mondial après les États-Unis avec onze millions de Km2 et le premier espace sous-marin du monde.

Une dynamique pluridisciplinaire à la croisée de la biologie et des sciences de l’ingénieur

Maîtriser les lois de la physique, de la chimie, de l’acoustique et autres domaines scientifiques est nécessaire dans la poursuite de l’innovation dans le domaine du biomimétisme. La capacité à sortir de son cadre disciplinaire est ainsi fondamentale pour trouver des technologies bio-inspirées performantes.

Domaine exploré depuis des siècles, Léonard de Vinci fut de fait un pionnier en la matière étant tout à la fois inventeur, scientifique, musicien, philosophe ou encore poète. Pour créer une machine volante, il avait observé les particularités de la chauve-souris et du poisson volant, l’oiseau étant surtout étudié pour l’architecture des plumes. Clément Ader reprendra lui aussi l’idée de la chauve-souris pour ses Avion I, II et III (Éole, Zéphyr et Aquilon).

On peut donc retenir les caractéristiques premières du biomimétisme : la pluridisciplinarité et la transversalité. Le biomimétisme permet d’associer des disciplines et des métiers variés pour une fertilisation croisée des connaissances : scientifiques, ingénieurs, biologistes, designers, architectes, etc.

La démocratisation du biomimétisme passe par une vision partagée de la définition de l’approche, la prise de conscience des atouts du biomimétisme par les acteurs publics en fournissant des preuves des externalités positives d’un point de vue économique et écologique, la génération de réflexes pluridisciplinaires permis notamment par des outils de fouille de la donnée biologique et de transposition méthodologiques pour une meilleure appropriation par les industriels, ainsi que la généralisation des formations au biomimétisme dans tous les cursus.

Une prise en compte croissante par le secteur public et notamment le secteur défense

La prise en compte institutionnelle de ce secteur d’activité existe depuis dix ans au travers des politiques publiques dans les domaines de la transition énergétique et écologique, de la bioéconomie et de la biodiversité notamment. La région Nouvelle Aquitaine a de fait créé un pôle « biomimétisme marin » très prometteur en termes de créations d’emplois dans la région, puisque outre la génération de petites et moyennes entreprises (PME) prometteuses, plus de mille cinq cents emplois devraient en découler. En ce qui concerne la recherche, le CNES a également intégré le biomimétisme dans sa stratégie d’innovation, afin d’apporter une réponse face à des contextes « hors normes ».

Le ministère des Armées s’intéresse également à ce domaine, car le biomimétisme répond à des enjeux de transition énergétique, objets du plan « Face au soleil » annoncé par la ministre des armées Florence Parly en septembre dernier. En outre, c’est au travers de La DGA (Direction générale de l’armement) que le sujet a été exploré au cours de la dernière décennie par le biais de thèses ou de dispositifs de financement RAPID (Régimes d’appui pour l’innovation duale) et ASTRID (Accompagnement spécifique des travaux de recherche et d’innovation défense) ou bien encore au travers d’études du CICDE. La PME Serma Group a notamment bénéficié de RAPID pour mettre au point un capteur passif au profit d’Airbus Hélicoptère, une technologie inventée par le chercheur Stéphane Viollet (CNRS), s’inspirant des yeux de la mouche et destiné à doter l’extrémité des pâles d’hélicoptères pour éviter les obstacles.

Le biomimétisme peut apporter une réponse à ces enjeux capacitaires de l’outil de défense et de sécurité nationale car il est un levier d’innovations de rupture pour les futures capacités structurantes du ministère des armées : combat collaboratifs, systèmes automatisé, robotique, furtivité, performance des senseurs, hypervélocité, survavibilité et autoprotection des plateforme, supériorité informationnelle, etc.

Il permet notamment pour répondre à des enjeux de transition énergétiques concernant en particulier le Service des essences des Armées (allègement, hydrogène et autres carburants, pollution, etc.). En effet, le recours aux énergies propres (solaire notamment), la séquestration du dioxyde de carbone atmosphérique et la mise en œuvre de sources diversifiées et décentralisées correspondent bien aux stratégies adoptées par les systèmes vivants.

Le ministère de l’Intérieur, quant à lui, a inventé notamment une technologie d’empreinte olfactive à valeur probante inspirée de la truffe du chien mise en œuvre par l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN).

Aujourd’hui, le Biomimétisme est une réponse aux enjeux sociétaux et aux défis stratégiques du pays, c’est un vecteur de promesses en termes de :
• performance et d’efficacité opérationnelles (augmenter la résistance, la robustesse, la vitesse, etc.) notamment en lien avec les enjeux de défense et de sécurité nationale ;
• performance économique (création d’emplois sur le territoire, génération de PME Deeptech , etc.) ;
• performance environnementale (alternatives et réduction empreintes énergétiques et chimiques, etc.).

Le biomimétisme connaît par ailleurs un essor à l’international depuis plus de dix ans mobilisant des budgets publics significatifs, comme aux Etats Unis au travers des recherches menées par la DARPA, l’ U.S. Navy ou encore le War Institute, mais aussi en Allemagne, Suisse, Chine, Japon, etc.

En outre, le lien entre « défense, sécurité et environnement » apparait de plus en plus évident, compte tenu de la tension sur les ressources, le réchauffement planétaire et les famines induites conduisant des populations à migrer ou bien encore du déclin de la biodiversité due au financement du terrorisme par le trafic d’espèces menacées. L’instabilité géopolitique et la multiplication des conflits armés lié au climat fait de l’écologie un enjeu de souveraineté.

Le numérique, l’intelligence artificielle, le cyber, et plus récemment le quantique, sont rentrés dans le champ de la souveraineté, compte tenu des enjeux de suprématie économique et de sécurité que ces domaines représentent. De la même manière, la question d’un « biomimétisme souverain » et stratégique semble désormais s’imposer pour les acteurs participant à son essor .

 

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1 Myceco est un cabinet de conseil en Biomimétisme, dont l’objectif est de favoriser l’essor du biomimétisme en France au travers notamment d’un catalyseur de compétences, le Centre européen d’excellence en biomimétisme (Ceebios). Leur ambition est d’en faire un levier de soutenabilité environnementale et économique au service des politiques publiques. Sa fondatrice nous explique dans cet article ce que recèle le biomimétisme comme sources d’innovations majeures pour l’industrie et pour les domaines capacitaires de la défense et de la sécurité nationale >>> http://ceebios.com et https://www.myceco.com

Voir la version longue de cet article publiée dans notre dernier numéro d’Opérationnels SLDS et dont la version PDF est téléchargeable en cliquant sur le lien suivant >>> article biomimetisme

 

Illustration © https://biomimetisme2017.wordpress.com